Des barrières protègent l’entrée de la Cour d’assise n°1 du Tribunal de grande instance de Nanterre. Il est 9 heures. Les parents des deux frères accusés sont arrivés les premiers. Ils s’assoient devant la salle. Silencieux. Des policiers veillent calmement. La sonnerie du tribunal s’agite. La cour s’installe.

Deuxième jour de ce procès en appel qui s’étale sur trois semaines. Cinq accusés, trois incarcérés et deux libres, avaient écopé en première instance de 3 à 15 ans de prison, pour avoir tiré sur des policiers lors des émeutes de Villiers-le-Bel. Ce procès en appel, qui s’est ouvert mardi, a pour ambition d’éclairer les vastes zones sombres de ce dossier.

Dans le box vitré, l’un des trois accusés se lève et répond à la Cour. Le président détaille « son parcours« , sa vie. D’enfant à maintenant. Il décrit « des parents divorcés« , « une grande fratrie« , demande si « tout le monde s’entend bien à la maison« , énumère le parcours scolaire de tous les frères et sœurs. Le président s’arrête sur un « vol de blouson. » L’accusé explique : « J’étais jeune. J’ai fait des bêtises et j’ai payé pour mes bêtises. »
« Depuis, je travaille dans le bâtiment, dans la démolition. J’ai trois enfants » continue-t-il dans un micro grésillant. Une expert-psychiatre lève la main droite à la barre et s’attarde sur le cas de quatre des cinq accusés. Elle n’a rien à signaler. « Vous allez bien » lance le président.

Une pause de dix minutes s’impose. Le président lève la séance. Devant la Cour d’assises, les parents de deux des accusés n’ont pas bougé. « Ils sont témoins dans l’affaire, c’est pour ça » explique leur fille, la sœur des accusés. « On n’est pas une famille de débauche comme on a été présenté tout à l’heure, glisse-t-elle, et puis ça veut dire quoi ? Ça voudrait dire que nos parents nous ont mal élevés ? » s’agace-t-elle, sous le regard attentif de son père.

L’audience reprend. Michel Kokoreff, sociologue, côtoie la barre du tribunal. Il fait un exposé clair sur « les émeutes ». « Qu’est ce qu’une émeute, s’élance le sociologue, c’est d’après le Robert, un soulèvement populaire« . Mais son analyse ne s’arrête évidemment pas là. Michel Kokoreff présente au tribunal un historique des émeutes qui ont secoué le monde depuis le début du XXe siècle.

« On reconnait un même modèle pour chaque émeute : des incidents de police sur fond de conflits avec les jeunes« . Plus tard, le sociologue parlera même « d’abus policiers« . Que ce soit à Los Angeles en 1992, à Clichy-Sous-Bois en 2005 ou plus récemment à Londres en août dernier, le modèle s’étend mondialement. « Mais en France, contrairement à d’autres pays, il n’y a pas de travail après les émeutes. Plutôt des enquêtes administratives » déplore le sociologue. Avant de constater : « Les médiations ont disparu, on se retrouve donc dans un face- à-face jeunes-police explosif. »

Les accusés et la Cour semblent attentifs aux explications sociologiques. L’avocat des parties civiles, qui défend la police dans cette affaire, se demande si « les lampadaires, tous éteints du côté des jeunes lors des émeutes de Villiers-le-Bel, n’implique pas une certaine organisation de groupe. » Le sociologue explique qu’il n’y a « aucun meneur dans ce genre d’émeutes. » Le président demande si ça peut se reproduire. Michel Kokoreff répond clairement : « La situation se dégrade et en particulier pour les quartiers populaires. Objectivement, tous les éléments sont réunis pour que ça pète à nouveau. »

Et, pour répondre à une avocate des parties civiles, il cite Emmanuel Todd : « Pourquoi brûlent-ils leurs bibliothèques ou leurs voitures ? Parce qu’en brûlant des voitures, ils croient en la République et en la Justice. Et on est dans une logique d’auto-destruction. » Al Mamy, qui est venu soutenir les accusés et leurs familles, croit lui en « la justice, mais au sens noble du terme. » Fahima, militante du collectif Réseaux Interventions Réflexions Quartiers Populaires, rode dans les couloirs du tribunal. « Nous, les quartiers populaires, on intéresse personne. D’ailleurs, C’est étrange qu’il n’y ait aucune mobilisation des syndicats, d’une organisation politique ou d’autres associations hors-quartiers. » Le tribunal se vide.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah.

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