Ils sont au moins un millier à s’être regroupés près de l’arrêt de bus de la Cerisaie. Ce lundi après-midi à Villiers-le-Bel, il y a des amis, des voisins mais aussi des gens venus de plus loin. L’horaire n’est pas propice – il est 17 heures – mais beaucoup se sont libérés, ont quitté leur travail, leur université ou leurs enfants pour être là. Tous sont venus demander justice pour Ibrahima, ce jeune homme noir de 22 ans décédé la veille à Villiers-le-Bel en marge d’un contrôle de police.

Diané, le grand frère d’Ibrahima, est à la manœuvre. Au micro, il commence par remercier les gens de le soutenir dans cette terrible épreuve. Il tient particulièrement à ce que la mobilisation d’aujourd’hui se déroule dans le calme. La consigne est suivie à la lettre. Le cortège commence à converger vers le centre-ville. Il y a en majorité des jeunes, mais aussi des moins jeunes, des gens d’origines et de cultures diverses. Partout, les portables sont sortis, beaucoup immortalisent la scène, certains la diffusent en direct sur les réseaux sociaux, où des milliers de personnes la suivent.

La marche dure à peine huit minutes, puis s’arrête soudainement au rond-point du 19 mars 1962. C’est ici qu’Ibrahima est décédé. Sur sa moto. Les circonstances de sa mort sont troubles et c’est ce qui justifie la colère et l’exigence de vérité qui transparaissent, ce lundi à Villiers. D’après la police, le jeune homme serait mort après avoir percuté un poteau métallique. Les versions de la police et des témoins présents divergent sur ce point précis. Les autorités assurent que les policiers ont simplement demandé au jeune homme de s’arrêter, ce qu’il a refusé de faire, perdant le contrôle de sa moto. Des témoins présents indiquent quant à eux qu’un camion de la police a démarré au moment où Ibrahima arrivait, tentant de lui barrer la route. Ce qui l’aurait contraint à dévier sa trajectoire.

On a le sentiment que nos vies ne comptent pas

A l’endroit même où ces faits se sont produits, ils sont donc un millier, le lendemain, à réclamer la vérité. Des motards arrivent et bloquent le rond-point. Certains stoppent les véhicules, prennent le temps d’expliquer aux automobilistes la raison de leur présence. Les motards se mettent à faire crisser leurs pneus pendant quelques minutes, afin de rendre hommage à Ibrahima. Puis, c’est à nouveau Diané qui s’exprime devant l’assistance : « Il y a des vidéos (une caméra de vidéosurveillance surplombe les lieux, ndlr), on demande à voir ces vidéos, clame-t-il. Mon frère a été tué par les forces de l’ordre. Ce n’est pas un accident. Ce n’est pas une bavure. C’est une violence policière. » Le grand frère demande ensuite de respecter une minute de silence en mémoire de son frère défunt. Les personnes s’exécutent et laissent la place à un silence poignant et lourd. Des larmes coulent sur certains visages. Le grand frère d’Ibrahima déplore l’absence des politiques et des pouvoirs publics, dont il n’a eu aucun signe depuis la mort de son frère.

Après Diané, les interlocuteurs se succèdent au micro. Un membre de la BAN, la Brigade Anti-Négrophobie, prend la parole : « Ibrahima est mort ! Les circonstances doivent être élucidées, éclairées, et nous ne devons pas trembler ! Nous sommes du côté de la justice ! Nous sommes là pour dire que lorsque on nous maltraite et que justice n’est pas faite, on n’est pas là pour se laisser faire ! Nous attendons des réponses de la police ! » Son intervention déclenche une salve d’applaudissements.

La foule scande un slogan devenu emblématique des luttes contre les violences policières : « Pas de justice, pas de paix ! » Un autre emblème de ces luttes, Assa Traoré, est là aussi. « Avant de mener le combat pour mon frère, j’étais éducatrice à Sarcelles. Je connaissais bien Ibo, rappelle-t-elle. Aujourd’hui, on se bat pour tous les Ibrahima, on se bat pour tous les Adama, pour tout le monde. Mais c’est un combat qu’il faut mener ensemble. Ça fait 3 ans que je dois me battre. Avant d’aller sur du national, vous devez porter la lutte ici, entre Villers-le-Bel et Sarcelles. Si vous ne le faites pas, l’extérieur ne va pas suivre. »

Les organisateurs du rassemblement incitent d’autres personnes à prendre la parole. Une jeune fille, bouleversée, fond en larmes : « Je ne connaissais pas Ibrahima, mais priez pour sa famille. » Khodia, 19 ans, a elle aussi pris la parole. Au BB, elle explique pourquoi le décès d’Ibrahima l’a particulièrement touchée : « Demain, ça peut être nos frères, nos cousins, ça peut être n’importe qui de notre entourage. Je me sens très concernée par les problématiques qui touchent nos banlieues. J’ai l’impression de ne pas avoir le droit de vivre en France, et chaque jour me montre que c’est le cas. On a le sentiment que nos vies ne comptent pas. Depuis la mort de Zyed et Bouna, la situation s’est aggravée, c’est quelque chose qui est banalisé. Il ne faut pas attendre que quelque chose nous touche pour se sentir concerné. »

Diané a annoncé qu’il allait porter plainte contre la police par l’intermédiaire de son avocat, Me Yassine Bouzrou. Le rassemblement s’est terminé dans le calme. Sans que la colère et l’exigence ne faiblissent pour autant.

Hervé HINOPAY

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