« Ma mère est venue chez moi le matin du 28 décembre. Je lui ai ouvert la porte. Elle m’a dit que la police lui avait téléphoné. Qu’ils avaient trouvé le corps de Yasemin. Je ne voulais pas y croire. J’ai failli tout casser dans la cuisine ». Quatre mois après le drame, l’annonce du décès de sa petite sœur continue de hanter Leyla Cetindag, assise sur le canapé de son appartement à Strasbourg. Aujourd’hui, la jeune femme de 30 ans et ses proches, tentent de se reconstruire. « Dernièrement, ce qui a été dur c’était son anniversaire. Elle aurait eu 26 ans le 29 mars. »

Dans son salon, Leyla conserve précieusement un portrait de sa sœur, Yasemin.

Yasemin avait 25 ans, quatre enfants et la vie devant elle. Son ancien compagnon ne lui a pourtant pas laissé cette chance. Leyla parle de sa sœur comme d’une jeune femme « toujours pleine de vie qui aimait beaucoup sortir, profiter et être avec ses enfants ».

Dans la matinée du 23 décembre 2020, Maria, la maman de Yasemin et Leyla, tente de joindre la plus jeune de ses filles. A chaque appel passé, Maria tombe sur le répondeur. Toujours sans nouvelles de Yasemin, Maria, inquiète, se rend chez sa fille en fin de journée, dans le quartier de Hautepierre, à Strasbourg. Sur le paillasson, des baskets boueuses. Leyla se souvient :  « ma mère a tout de suite pensé que c’était celles de l’ex-conjoint de ma sœur. Elle m’a téléphoné, et j’ai eu un mauvais pressentiment ».

Il disait clairement qu’il ne voulait pas la voir refaire sa vie et que si c’était le cas, il la tuerait.

Le soir même, Leyla et sa mère arrivent à joindre l’ex-compagnon de Yasemin. « Il nous a menées en bateau en disant qu’il ne savait pas où elle était. Il a fini par nous dire qu’elle était à l’hôpital. » Mais Leyla l’assure « si c’était vrai, nous sa famille, on nous aurait prévenues ! »

Pendant cinq jours, la famille de Yasemin restera sans nouvelle de la jeune femme. C’est dans la forêt de Vendenheim, à une dizaine de kilomètres de Strasbourg, que le corps de Yasemin sera retrouvé sans vie le 28 décembre par les enquêteurs. Rapidement, l’ex-compagnon a expliqué qu’une dispute avait éclaté entre lui et Yasemin.

Après avoir expliqué à ses proches qu’il ne savait pas où son ex-compagne se trouvait, il avouera lui avoir donné la mort en l’étranglant avant de lui asséner plusieurs coups de couteau. Aidé d’un complice, le meurtrier finira par enterrer le corps de la victime dans la forêt de Vendenheim.

Plusieurs mains courantes et deux plaintes par la jeune femme

6 mois avant le drame, la jeune femme avait trouvé le courage de mettre fin à cette relation de 10 ans. Comme dans beaucoup de féminicides, l’homme n’a pas accepté la rupture. Alors il a commencé à harceler Yasemin et à escalader un échafaudage pour l’espionner par la fenêtre.

A plusieurs reprises, il l’a aussi menacée, et n’hésitait pas à le faire devant les autres membres de la famille. « Il disait clairement qu’il ne voulait pas la voir refaire sa vie et que si c’était le cas, il la tuerait. Il le disait. Mais Yasemin ne le croyait pas. Elle ne le prenait pas au sérieux. Elle disait à ma mère qu’elle n’avait pas peur car c’était le père de ses enfants, qu’il ne ferait rien ».

Des fleurs et des bougies ont été déposées devant l’entrée de l’appartement de Yasemin dans le quartier de Hautepierre, à Strasbourg.

Pourtant, la jeune femme avait déjà déposé deux plaintes et plusieurs mains courantes. Rien n’a été fait pour éviter que ce drame ne se produise. De son côté Leyla n’avait pas de bonnes relations avec l’ancien petit-ami de sa sœur. « On se parlait brièvement, un simple bonjour. C’était pas quelqu’un que j’appréciais ». Elle ajoute « c’est surtout le fait qu’il ne travaillait pas. Il vivait à son crochet et ne la rendait pas heureuse. Yasemin n’arrivait jamais à garder ses boulots car il lui empêchait. Il ne la laissait jamais tranquille. »

Quatre enfants orphelins de leur mère

Maria et Leyla apprendront plus tard que les quatre enfants de Yasemin, âgés de 8 ans, 5 ans, 4 ans et 2 ans, ont été les témoins directs de l’assassinat de leur mère avant que leur père les emmène chez leur tante paternelle. Avec des mots d’enfants, le plus âgé raconte à Leyla ce qu’il a vu. « Au petit déjeuner mon neveu m’a encore raconté ce qu’il a vu », balance Leyla, épuisée. Elle ajoute :  » Le dernier des enfants a eu 2 ans le jour où on a enterré sa mère. Imaginez le choc pour eux ! Ils ont besoin de beaucoup parler, il faut les écouter. Ils vivent avec ma maman aujourd’hui.  » Pour qu’ils puissent se reconstruire, les quatre enfants ont été dirigés vers une autre école pour ne pas rester scolarisés à proximité du lieu du drame.

Ma mère commence juste à comprendre que Yasemin n’est plus là.

« Ma mère commence juste à comprendre que Yasemin n’est plus là. » Une fois le corps de Yasemin retrouvé, Leyla et Maria n’ont pas pu voir le visage de la jeune femme à la morgue. « On nous a dit qu’on n’avait pas le droit car elle avait passé cinq jours enterrée. Donc on n’a pas vraiment pu faire notre deuil. On m’a dit ‘oui c’est elle’ mais ce ne sont que des mots. On se dit que c’est pas réel. »

Depuis le drame, Leyla est suivie psychologiquement par “Viaduq”, une association d’aide aux victimes à Strasbourg. La jeune femme, en congé maternité, reprendra très prochainement le chemin du travail à l’hôpital de Hautepierre à Strasbourg.

Alors que l’instruction de l’affaire est en cours, l’ex-conjoint de Yasemin dort à la prison de Strasbourg. Son procès n’est pas attendu avant 2022. Le défi pour la justice sera de savoir si l’acte était prémédité ou non. Lors de ce procès, mère et sœur souhaitent voir les photos de l’autopsie pour pouvoir enfin commencer leur deuil. « Aujourd’hui la seule chose qu’on veut c’est qu’il paie pour ce qu’il a fait même si ça ne fera pas revenir ma sœur. »

Émue, Leyla se remémore son dernier souvenir avec sa sœur. Deux semaines avant le drame, Yasemin était venue voir les deux jumelles de Leyla âgées d’à peine quelques semaines. « Yasemin était pressée d’être tata » se rappelle Leyla. « Elle n’a pu profiter qu’une seule fois de voir mes filles. On n’a même pas pu se faire un bisou, elle est partie avec son masque. C’était la dernière fois que je la voyais ». 

Camille Bluteau

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