A Bondy, une trentaine de tirailleurs sénégalais, soldats pour la France, ont fait une demande de naturalisation mais se heurtent aux difficultés administratives. Une élue de Bondy a lancé une pétition et les aide pour ce dernier combat. Récit.

C’est dans un nouveau foyer Adoma de Bondy que six anciens tirailleurs sénégalais me reçoivent. L’endroit est nettement plus agréable que l’ancien foyer Sonacotra qu’ils ont quitté. Les odeurs de cuisine et la vétusté du lieu en faisaient un endroit pas très agréable à vivre. Aujourd’hui, il y a de la lumière dans les chambres neuves et des plaques à induction dans le coin cuisine. « C’est un travail mené avec la maire de Bondy, affirme Aïssata Seck, maire-adjointe. On a insisté auprès du foyer Adoma pour qu’ils soient tous logés au même étage, dans des chambres plus grandes. Je fais également en sorte qu’ils soient invités à toutes les cérémonies de commémoration ».

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Yoro Diao , 88 ans. Julien Autier / Le Bondy Blog

Pour ces vieux soldats, Aïssata Seck, chargée des anciens combattants à la mairie de Bondy, est comme leur bienfaitrice. « Elle nous a permis d’être logés dans un meilleur foyer, elle s’occupe de nos problèmes. Grâce à elle, on se sent chez nous à Bondy », confie M. Diao. L’engagement d’Aïssata Seck n’est pas dû au hasard : elle est elle-même petite-fille de tirailleur.

Au total, 33 anciens tirailleurs sénégalais vivent à Bondy. En tant qu’étrangers, ils ont l’obligation de séjourner au moins 6 mois sur le territoire français, sous peine de se voir retirer leurs pensions d’anciens combattants. « Cette année, je suis resté quatre jours de trop au Sénégal, raconte Yoro Diao, ancien soldat de l’Indochine et de la guerre d’Algérie. On m’a supprimé ma pension et on m’a même demandé de tout rembourser. Heureusement, Aïssata était là pour arranger la situation ».

En 2006, elle avait également soutenu l’initiative qui leur a permis d’aligner leurs pensions sur celles de leurs frères d’armes « de souche », comme ils appellent leurs anciens compagnons nés dans le Périgord ou le Poitou. Avant cette décision du gouvernement de Dominique de Villepin, quand un ancien soldat français touchait environ 460 euros, un Sénégalais en touchait 193. « C’est la sortie du film  »Indigènes » avec Jamel Debbouze qui a fait évoluer les choses », raconte l’élue.

Sur 33 tirailleurs sénégalais, un seul naturalisé

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Alioune M’bodji, 85 ans. Julien Autier / Le Bondy Blog.

 Prochaine étape pour améliorer le sort des tirailleurs sénégalais ?  « La naturalisation française », répond Aïssata Seck. « Ils vivent tous en France, 6 mois dans l’année, Ils déclarent leurs impôts ici, ils ont leurs états de service, leurs livrets militaires, mais il manque souvent leurs extraits de naissance ou un autre papier parce que les registres de l’époque, dans leur pays d’origine, étaient mal tenus. Ils font face à d’énormes tracasseries administratives qui font que quasiment tous les tirailleurs sénégalais se voient opposer refus sur refus. A Bondy, un seul tirailleur sur 33 a la nationalité française ».

Face à cette succession de dossiers rejetés, Aïssata Seck a décidé d’agir. Elle est à l’initiative d’une pétition qui demande la naturalisation de tous les tirailleurs sénégalais présents sur le territoire français. A ce jour, près de 40 00 personnes l’ont signée : parmi eux, Omar Sy, dont le père est sénégalais et Jamel Debbouze. « Les documents qu’on leur avait demandés pour qu’ils s’engagent et versent leur sang pour la France, doivent aujourd’hui suffire pour faire d’eux des Français. Un simple décret allégeant les démarches administratives réglerait rapidement le problème ».

Les six tirailleurs rencontrés ce lundi portent, tous, fièrement leurs belles médailles d’anciens combattants accrochées à leurs vestes, mais dans leurs regards, on peut lire un profond sentiment d’injustice. Leurs vies sous les drapeaux français les ont marqués au point que tous se souviennent parfaitement, malgré leur âgé avancé, de la date exacte de leur incorporation, de leur arrivée en Indochine ou en Algérie, les principales guerres auxquelles ils ont participé. « Le 6 mars 1956, je débarquais à Oran, au premier régiment d’infanterie coloniale, raconte le sergent Sagna Ousmane, 85 ans. J’ai fait 28 mois en Algérie, puis 30 mois en Mauritanie. L’indépendance du Sénégal m’a trouvé à l’extérieur des frontières de notre nouveau pays. La loi disait que tout tirailleur sénégalais resté sous les drapeaux en dehors du Sénégal après 1960, devenait français. C’était mon cas, mais on ne m’a jamais accordé la nationalité française ».

« Les balles, les mines, ne faisaient pas de différence entre un Noir et un Blanc »

Verser son sang pour la France, ce n’est pas une expression pour Alioune M’bodji du 6e régiment des tirailleurs sénégalais, octogénaire qui a aussi dû donner un gros bout de clavicule au pays. « En Indochine, au Nord-Vietnam, nous avons roulé sur une mine. J’ai eu une fracture grave de la clavicule. Le chauffeur a eu les poignets cassés par le choc. Les 24 autres tirailleurs sénégalais présents dans le camion sont morts. Les balles, les mines, ne faisaient pas de différence entre un Noir et un Blanc. La paix est revenue aujourd’hui et c’est injuste qu’on nous traite différemment ».

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Gorgui M’bodji, 81 ans. Julien Autier / Le Bondy Blog

A l’indépendance du Sénégal, pourquoi n’ont-ils pas tout simplement choisi la France ? Pas si simple. « Après l’Algérie et la Mauritanie, on m’a bien demandé d’opter pour la nationalité française, raconte Gorgui M’bodji, du sixième régiment d’artillerie coloniale, qui a servi sous les ordres du capitaine Royal, le père de la ministre de l’Environnement. Mais je ne pouvais pas. Je devais rentrer au pays. Mon père était vieux et malade, j’étais son soutien. Je suis resté au Sénégal jusqu’à son décès ».

La situation de Diop Abdoulaye, qui a servi en Nouvelle-Calédonie, parait la plus aberrante : il est né français et non sujet de la France. Un privilège accordé aux Sénégalais qui, comme lui, sont nés dans les communes de Saint-Louis, Gorée, Rufisque ou Dakar. « Pourquoi me l’a-t-on retirée ? Je ne sais pas. J’ai fait trois fois la demande de réintégration. Trois fois, cela m’a été refusé. On m’a dit que j’étais sénégalais et c’est tout ».

« Quel combat ! »

« La naturalisation pour nous c’est très important. Avoir deux nationalités nous permettrait d’être ici et là-bas quand on veut », explique Yoro Diao, deux citations à la Croix de guerre, médaille de l’ordre national du mérite et légion étrangère sénégalaise épinglées au cœur. Il la mérite sa naturalisation, au vu de ses anecdotes du front. « J’ai été affecté dans le Nord-Vietnam, à la frontière avec la Chine. A partir de 1952, ils étaient aussi bien armés que nous par les Chinois. Quand les Vietnamiens attaquaient un poste, généralement, ils le prenaient. J’ai perdu beaucoup de camarades ».

Le sergent Dieme Omar, aussi, a pris cher. « De la basse Casamance où je labourais les champs, on m’a envoyé à Dien Bien Phu mais je suis arrivé après la défaite. J’ai également fait l’Algérie ». Son dernier combat ? La nationalité française. Le seul du groupe à l’avoir obtenue. « Trois ans de procédure pour l’obtenir, grâce à un avocat, qui est monté jusqu’au Conseil d’Etat pour débloquer la situation. Quel combat ! »

Naturalisation pour le symbole et la justice

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Diop Abdoulaye , 82 ans. Julien Autier / Le Bondy Blog

Au vue de leurs témoignages, des blessures reçues au nom de la France, on a du mal à comprendre pourquoi ils ont autant de mal à voir leur souhait de naturalisation se réaliser. Aïssata Seck s’interroge aussi. « Je ne me l’explique pas. Beaucoup de personnalités que j’ai rencontrées ne savaient tout simplement pas qu’ils n’étaient pas français. Ils pensaient que leur naturalisation était déjà faite mais ils confondent avec la réévaluation des pensions qui a été très médiatisée ».

Si le combat d’Aïssata Seck et des tirailleurs sénégalais aboutit, ils ne jouiront malheureusement pas longtemps de leur nouvelle nationalité. « Ils sont vieux oui, acquiesce la maire adjointe. J’ai plusieurs dossiers en cours de personnes malheureusement décédées. Mais pour le symbole, pour la justice, il est urgent que les tirailleurs sénégalais deviennent français. »

Idir HOCINI

Crédits photos : Julien AUTIER

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