Karima, 18 ans, élève en BEP : « Parfois, mon frère me bat » « Mon père et ma mère sont kabyles. Ma mère est née en France, mais, à un moment donné, mon grand-père l’a envoyée en Algérie. C’est là-bas qu’elle s’est mariée. Elle ne sait ni lire ni écrire. Mon père est allé à l’école jusqu’en 6e. Moi-même, je suis née en Algérie. J’ai grandi à Paris. Très tôt, dans mon souvenir, ma mère m’a fait comprendre que la virginité, pour une femme, c’était quelque chose de très important. Cette question-là, c’est la mère qui l’aborde avec sa fille, jamais le père. Lorsque j’ai eu 8 ans, ma mère m’a dit que je ne devais pas aller avec des garçons, que ce n’était pas bien. J’ai un grand frère, il a 21 ans. Il joue avec moi le rôle du  » grand frère  ». Il me surveille.

» Un jour, il m’a vue dans la rue avec un garçon de 16 ans. Nous ne faisions rien, nous étions juste ensemble. Mon grand frère a frappé le garçon, pris son portable et casser sa puce. Parfois, il me bat parce qu’il estime, par exemple, que je ne suis pas habillée convenablement pour sortir, qu’on voit mes formes. Mais là, il s’est un peu calmé. Ça fait un mois qu’il ne m’a plus battue. J’en parle à mes parents, mais ils me disent que c’est pour mon bien, s’il fait ça, s’il est toujours derrière moi. Il est exclu pour moi d’aller seule dans un café. Il n’y a pas que mon grand frère qui me surveille, il y a aussi ses copains.

» Pourtant, j’aimerais découvrir plus de choses, sortir de temps en temps avec des copines, aller au cinéma, en boîte, mais je ne crois pas que cela soit possible. Un jour, j’ai dit à ma mère que j’aimais bien un garçon de mon âge, un Kabyle. Elle m’a demandé s’il était du village d’où nous sommes originaires en Kabylie. Je lui ai dit que non. Mes parents préféreraient que je me marie avec un homme du même village. J’arriverai vierge au mariage et j’épouserai un musulman. Ce n’est même pas discutable. Si je devais ne pas être vierge, je pense que je me ferais refaire ma virginité. J’aime mes parents et je ne veux pas leur faire de la peine. C’est pourquoi je suis leurs recommandations, même si j’aimerais avoir plus de liberté.

» Ma mère me protège beaucoup. Des fois, mon père dit à mère que c’est à cause d’elle si je ne fais pas la vaisselle. Mon grand frère, lui, n’a jamais fait la vaisselle. Il fait ce qu’il veut, sort le soir avec qui il veut, avec les filles qu’il veut. Mon grand frère, je pense qu’il sait qu’il a tort de se comporter comme ça avec moi, mais c’est un rôle qu’il se croit tenu de remplir. Je ne porte pas le voile, ma mère non plus. Si un jour j’ai des filles, j’aimerais pouvoir les laisser faire ce qu’elles veulent. Mais, vu la pression de la famille, qui ne cesse jamais, même quand on est adulte, ça sera difficile. En tout cas, je leur dirai de se protéger contre les maladies en cas de rapports. »

Nacera, la quarantaine, professeur, deux enfants : « J’ai vécu sous le poids du grand frère »

« J’ai vécu en Algérie, à Tlemcen, sous le poids du grand frère. Mais, dans la famille, je suis une révoltée, la seule fille qui a pu faire des études. Je suis devenue ingénieur. Mes cousins, eux, ont arrêté leur scolarité en CM2. Ma mère est morte alors que j’étais jeune. C’est malheureux à dire, mais la mort de ma mère m’a un peu aidée dans la vie. Les espoirs ont été reportés sur moi. C’est son décès qui m’a permis d’aller au collège, alors que mon père était prêt à m’acheter une machine à coudre pour que je reste à la maison.

» Après mes études, j’ai intégré une entreprise où j’avais une quinzaine d’hommes sous ma responsabilité. Cela ne se passait pas bien. Ils vivaient mal d’être sous l’autorité d’une femme. Ils me disaient de mettre le voile, de prendre un poste dans l’enseignement, que cela convenait mieux à une femme. C’était en 1992, après le coup d’Etat militaire pour empêcher les islamistes d’arriver au pouvoir. J’ai demandé à mon père de me laisser partir d’Algérie. Je lui ai fait peur en lui disant que sinon, les islamistes me couperaient la tête. Il m’a laissée partir. J’ai pris l’avion pour la France. Sitôt arrivée en France, il a voulu que je rentre immédiatement, comme s’il avait compris la portée de son geste. Il n’osait pas dire à mon grand frère, son fils, que j’étais partie seule. En France, je me suis mariée à un Réunionnais. Il s’est converti à l’islam, pas pour moi, pour mes parents. Mon mari ne m’a pas cherché d’histoires à propos de ma virginité. Je ne pourrais plus vivre en Algérie. »

Hassina, la quarantaine, infirmière, cinq enfants : « Est-ce qu’on demande aux garçons de prouver leur virginité ? »

« Ma mère est française, mon père algérien. J’ai toujours été rejetée, pas seulement du côté algérien de ma famille, du côté français aussi. Mon fils est avec une Française. Des femmes du quartier me disent : «  Comment, tu laisses faire ? Il n’a pas fait le mariage ?  » Mon fils vit à la colle avec sa compagne. Moi, j’ai des garçons et des filles. Tous font le ménage à la maison. Pas question que les garçons y échappent. J’ai été mariée à un Comorien musulman, maintenant je vis avec un Malien. Aucun ne m’a ennuyé à propos de ma virginité.

» Quelle hypocrisie, la virginité des musulmanes ! J’ai travaillé dans une clinique du 16e arrondissement de Paris où des femmes d’Arabie Saoudite venaient se faire recoudre avant le mariage. Est-ce qu’on demande aux garçons de prouver leur virginité ? Eux, ils ont le droit de s’amuser avec leur corps, les femmes, non. Ce n’est pas normal. J’ai discuté avec des femmes du quartier de cette question. Pour elles, ce n’est pas un problème si leurs fils mettent des filles enceintes, mais pas question que leurs filles aient des aventures avant mariage. Dans le quartier, par rapport à la sexualité, c’est de pire en pire. Avant, on ne me disait rien, maintenant, oui. Les jeunes filles cathos, à une époque, elles devaient arriver vierges au mariage. Aujourd’hui, ça a changé. Il faut aussi que ça change chez les musulmans. Moi, j’interdirais le port du voile dans la rue. Dans d’autres pays, si telle est la pratique, pourquoi pas, mais pas en France. »

Propos recueillis par Antoine Menusier

*Prénoms modifiés

Antoine Menusier

Articles liés

  • Langue(s) et origine(s) : « l’arabe et moi »

    Pourquoi en France un certain nombre de parents n'ont pas ou peu transmis leur langue maternelle à leurs enfants ? Pour tenter de répondre à cette question, nos blogueuses et nos blogueurs explorent leur histoire familiale. Ramdan nous parle, ici, de son rapport à l’arabe.

    Par Ramdan Bezine
    Le 02/06/2023
  • Ahmed : de prisonnier au Soudan à bénévole auprès des plus démunis à Paris

    Les sept vies d’Ahmed. On peut résumer ainsi le parcours semé d’embuches de ce réfugié soudanais en France depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il emploie une grande partie de son temps libre à aider les autres. Portrait d’un bénévole militant.

    Par Christiane Oyewo
    Le 01/06/2023
  • Jeux Olympiques, Grand Paris : sur les chantiers, « les profits avant les vies »

    Précarité du travail, négligence de la formation, recours massif à une main d’œuvre sous-traitante ou intérimaire… Sur les chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques, l’organisation du travail met en danger les ouvriers. À l’approche des JO, les cadences s’accélèrent et avec elles les risques encourus par les travailleurs. Matthieu Lépine, auteur de L’hécatombe invisible, revient pour le Bondy Blog sur les conditions de travail sur ces chantiers.

    Par Névil Gagnepain
    Le 25/05/2023