ENQUÊTE BONDY BLOG  En juillet 2016, la région Île-de-France a annoncé l’investissement de 7 millions d’euros pour le développement économique des quartiers. Le budget, confié à une société de gestion, ne finance en réalité que des commerces franchisés de grandes enseignes via des prêts à des taux d’intérêt relativement élevés. En un an et demi, seul un entrepreneur a créé sa franchise.

L’annonce devait marquer le coup, celui d’une décision politique majeure en faveur des quartiers. En juillet 2016, la région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse, annonçait un investissement de sept millions d’euros pour le développement économique des quartiers prioritaires d’Île-de-France. L’ambition de l’élue LR : « stimuler durablement » la création d’entreprises et l’emploi et « rompre avec les politiques qui ont échoué« .

Il faut dire que la situation économique et sociale de ces quartiers ne cesse de se détériorer depuis trente ans : quasiment un jeune sur deux issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville est au chômage. Près de 40 % des habitants de ces QPV vivent également sous le seuil de pauvreté, selon l’Observatoire National de la Politique de la Ville, soit presque trois fois plus qu’au niveau national.

Sept millions d’euros d’argent public gérés par un fonds privé 

La particularité de l’investissement décidé par l’Ile-de-France ? Les sept millions d’euros d’argent public votés en Conseil régional ne sont pas gérés par la région elle-même mais confiés à Impact Partenaires, une société d’investissement. Le gestionnaire a créé un fonds spécialement dédié aux quartiers populaires, baptisé Impact Création. Outre les sept millions investis par la région, le fonds a été alimenté à hauteur d’au moins trois millions d’euros par plusieurs co-investisseurs, comme la Française des Jeux, Bpifrance, la Banque Publique d’Investissement et BNP Paribas.

Contrairement à ce que laisse penser la communication de la région, le fonds n’a donc pas été créé par la région elle-même mais bien par une société d’investissement privée chargée de gérer cet investissement public de sept millions d’euros. Impact Partenaires, comme tout gestionnaire de fonds, prélève d’ailleurs des frais sur la somme investie.

Capture d’écran de la page dédiée à l’annonce de l’investissement des 7 millions d’euros sur le site de la région Île-de-France

Les franchises de grandes enseignes, seules entreprises bénéficiaires du fonds

Sa deuxième particularité ? Financer uniquement des entreprises franchisées. Impact Partenaires, qui commercialise Impact Création sous le nom de « Monte Ta Franchise », s’est associé à une quinzaine de franchiseurs, dont Burger King, Carrefour, Éléphant Bleu, Pizza Hut, Courtepaille et le réseau de pharmacies Pharmactiv. « Les petits commerces financés au cours des trente dernières années présentent un très faible taux de pérennité« , justifie Yasmine Hamraoui, directrice d’Impact Partenaires. Un constat confirmé par une note de l’Insee qui indique que « le taux de survie en 2014 des entreprises créées en 2010 est inférieur de près de 10 points dans les quartiers prioritaires », même si l’Insee précise que « plus de 60 % des créateurs en quartiers prioritaires privilégient le statut d’auto-entrepreneurs ».

La logique est donc de parier sur des boutiques franchisées, davantage susceptibles de prospérer. « Les commerces franchisés bénéficient de l’expérience, des conseils et de l’image des enseignes, qui aident notamment à s’implanter au bon endroit pour réussir », selon Yasmine Hamraoui. Au-delà des prêts – de 25 000 euros à plusieurs centaines de milliers – Impact Partenaires accompagne les entrepreneurs dans leurs démarches auprès des banques et leur propose gratuitement ses services juridiques. « Nous avons déjà étudié 500 candidatures, nous en recevons tous les jours« , poursuit la directrice qui assure qu’une trentaine de dossiers de porteurs de projet devrait aboutir en 2018.

Lors de l’annonce de la mise en place d’un fonds en juillet 2016, le choix d’Impact Partenaires n’avait pas encore eu lieu et tout le monde ignorait alors que le projet s’adresserait uniquement à des commerces franchisés. Les modalités financières et de gestion de ce fonds restaient à préciser. En juillet 2016, lors de l’exposé des motifs de la création du fonds, la majorité au Conseil régional indiquait que le soutien public se ferait « à travers des prises de participation en fonds propres ou quasi fonds propres par l’intermédiaire d’un fonds de capital-investissement. La sélection de la société de gestion en charge de ce fonds fera l’objet d’une procédure de sélection ouverte et transparente ». L’appel à manifestation d’intérêt a été lancé par la région Île-de-France le 12 septembre 2016 et clôturé le 26 octobre 2016. C’est en décembre 2016 qu’Impact partenaires a remporté l’appel à projets.

Un seul projet d’entreprise financé : un Carrefour City 

Pour l’instant, les bénéficiaires ne se bousculent pas. Un an et demi après l’annonce de la région Île-de-France de cet investissement, seul un entrepreneur a profité de ce dispositif et monter son entreprise. Il s’agit de Mickaël Palizzotto qui vit à Noisy-le-Grand. Son projet ? Un magasin de proximité qu’il a ouvert à Bonneuil-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, à 25 minutes en voiture de chez lui.

Mais pas n’importe quel magasin : un Carrefour City, l’enseigne de magasin de centre-ville du groupe du même nom. C’est sur les conseils de Carrefour que Mickaël Palizzotto a contacté Impact Partenaires. Le chef d’entreprise connaît bien le groupe. Il gérait déjà un Carrefour City dans le XVe arrondissement de Paris pendant un peu plus de trois ans.

Des taux d’intérêt de 6 à 8% pour l’emprunt auprès du fonds à rembourser sur deux ans

C’est donc auprès d’Impact Partenaires que Mickaël Palizzotto a obtenu un prêt de 80 000 euros. Une somme qui lui a permis de décrocher un crédit de 244 000 euros à la banque BNP Paribas. « Je dois d’abord rembourser l’emprunt auprès de la banque et au bout de six ans, rembourser le prêt de 80 000 euros« , explique l’entrepreneur proche de la quarantaine. Les taux d’intérêt pratiqués sur ses prêts sont relativement élevés, entre 6% et 8%, supérieurs à ceux pratiqués par l’établissement bancaire. Au bout de six ans, le chef d’entreprise a seulement deux ans pour rembourser Impact Partenaires.

« Le prêt d’Impact Partenaires est à un taux important. Il faudra que mon affaire soit rentable dès la fin du remboursement du crédit bancaire pour parvenir ensuite à les rembourser », analyse Nicolas de Oliveira, entrepreneur de 34 ans. « D’où l’importance de posséder un bon apport personnel pour avoir moins à emprunter », souligne-t-il. Cet habitant de Viry-Châtillon, responsable contrôle technique dans un garage, envisage d’ouvrir un commerce franchisé Speedy aux Ulis dans l’Essonne. « Sans Impact Partenaires et son appui financier, Speedy n’accepterait pas de s’engager avec moi« , concède celui qui devrait voir son projet naître courant 2018.

Aucune obligation en termes d’embauche pour les entreprises financées par le fonds 

Pour le moment, l’investissement de la région a seulement débouché sur cinq contrats, ceux des salariés du Carrefour City ouvert fin septembre par Mickaël Palizzotto. Trois de ces contrats, à temps plein, existaient déjà. L’entrepreneur a repris ses propres salariés, originaires du Val-de-Marne, du Carrefour City qu’il gérait dans le XVe arrondissement de Paris. « Ce sont des employés que je connais, en qui j’ai totalement confiance« , précise-t-il. Deux salariées à temps partiel complètent l’équipe, deux filles du quartier. La majorité de droite s’est fixée des objectifs chiffrés comme l’accompagnement financier et humain « d’environ 130 projets d’entrepreneurs issus des quartiers prioritaires » avec l’ambition de créer « plus de 750 emplois permanents« . Des objectifs simplement politiques car dans les faits, aucune contre-partie n’est imposée à la société de gestionnaire du fonds, Impact Partenaires. « Je n’ai pas de cahier des charges à respecter en termes d’emploi, reconnaît Mickaël Palizzotto. Impact Partenaires regarde seulement le chiffre d’affaires et les aspects financiers ». Une affirmation confirmée par les responsables d’Impact Partenaires : les entrepreneurs aidés par le fonds Impact Création n’ont aucune obligation en termes d’embauche.

C’est cette absence de contrôle sur l’impact social qui alimente les craintes du côté des élus de l’opposition de la région Île-de-France. « Nous sommes opposés à cette façon de faire de la politique sociale qui introduit une logique de rentabilité financière. Nous préférerions que la région ou des associations à but non lucratif gèrent cet argent, dénonce la présidente des élus du Front de Gauche de la région, Céline Malaisé. Des franchiseurs d’envergure nationale plutôt connus pour développer du travail précaire sont associés au projet« , poursuit la conseillère régionale. « On a essayé d’élargir le dispositif aux acteurs de l’économie sociale et solidaire et pour que soient pris en compte les enjeux de relais du service public. Mais nos amendements ont été rejetés« , rappelle la socialiste, Stéphanie Veneziano.

Le président du groupe Europe Écologie Les Verts au Conseil régional, Mounir Satouri, avait souhaité, dans le cadre d’un amendement déposé en juillet 2016, que l’intervention du fonds se fasse « à l’exclusion des enseignes de restauration rapide de chaînes existantes« . La raison ? « Il ne paraît pas opportun de subventionner de grandes firmes multinationales qui s’affranchissent à la fois du respect des normes sociales et environnementales », avait-il expliqué. Son amendement a été rejeté.

« Nous n’avons pas d’éléments sur la mise en œuvre de ce fonds »

La majorité Les Républicains voit les choses différemment. « La région a préféré attribuer la gestion des fonds à des gens dont c’est le métier », justifie Isabelle Perdereau, élue LR. « Impact Partenaires a déjà géré des fonds à vocation sociale et connaît bien l’écosystème francilien« , souligne la présidente de la commission « Développement économique et innovation ». Le vice-président de la région, Jérôme Chartier (LR), avait déjà défendu ce choix lors des débats en commission permanente, en décembre 2016. « Nous sommes dans la culture de la performance. Nous voulons des résultats provenant de l’argent public. C’est notre vision », affirmait-il à cette époque.

« À ce jour, nous n’avons pas d’éléments sur la mise en œuvre de ce fonds. Nous voulons pouvoir disposer d’une présentation claire et objective des actions de la région en faveur des quartiers populaires. Les choses sont très découpées, on a du mal à suivre », regrette Stéphanie VenezianoPourtant, la société d’investissement doit rendre des comptes auprès de ses souscripteurs dont la région fait partie. Des documents trimestriels, précisant les montants décaissés, doivent être transmis mais selon les élus contactés, les éléments peinent à leur parvenir. Tous dénoncent le manque d’informations sur l’état d’avancement du fonds.  Selon le rapport de la région de décembre 2016, « la Région est obligatoirement représentée au sein du comité d’investissement s’il est prévu. En l’absence d’un tel comité, la Région doit être informée chaque trimestre de l’avancée des opérations et des dossiers mis en place sur son territoire. » Reste que le texte ne précise rien de particulier sur la communication concernant ce fonds à l’ensemble des élus.

Impact Création doit avoir une durée de vie de dix ans au bout desquels la performance économique sera scrutée de près mais surtout, l’impact social et les retombées en termes d’emploi dans les quartiers prioritaires, l’objectif initial de Valérie Pécresse.

Thomas CHENEL

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