Justifié par un besoin de financement croissant, la RATP offre toujours plus de souplesse à sa régie publicitaire privée Media Transports sans autre contrepartie que des vaines promesses. Alors que de nombreux secteurs publicitaires sont en crise, comme la télévision ou la presse, celui de l’affichage dans les transports, en fait rêver beaucoup. C’est normal, il bénéficie d’une croissance positive. La RATP offre aux annonceurs de plus en plus de voyageurs, des « cibles » pour les marques, avec 5,6 millions d’usagers quotidiens. Et puis les innovations technologiques, comme les panneaux numériques animés, apportent de nouvelles possibilités pour distiller de la propagande commerciale.
Entre les marques qui veulent dépenser pour inonder de promotions alléchantes et la RATP qui dispose d’espaces pour le faire, il y a un acteur, Média Transports. Depuis 1949, cette régie publicitaire se chargeait de cette tâche lucrative et voyait son contrat renouvelé automatiquement.
Un nain face à des géants
Le secteur est tellement attractif qu’un grand nombre d’entreprises commencent à courtiser le gérant des bus et métros de la capitale dès 2010 pour endosser ce rôle précis. C’est qu’à ce moment-là, la RATP lance son tout premier appel d’offres pour désigner sa future régie publicitaire.
Cette fois, les géants états-uniens Clear Channel et CBS Outdoor tentent de prendre l’ascendant. Media Transports semble alors prête à tout pour l’emporter. Pour elle, l’enjeu est de taille : elle réalise avec la RATP les deux tiers de son chiffre d’affaires. La RATP ne devrait avoir qu’à faire jouer la concurrence pour que les régies brandissent les offres les moins contraignantes possibles pour les voyageurs et au meilleur prix. En théorie en tout cas, tous les ingrédients sont réunis…
Un lot de promesses non tenues
Pas facile alors pour Media Transports de négocier pour obtenir cet appel d’offres, sur lequel les deux groupes refusent aujourd’hui de communiquer. Mais à l’époque, la presse spécialisée explique que pour le remporter, Media Transports fait deux promesses — qui ne seront jamais tenues. D’une part, le nombre de « faces publicitaires » doit diminuer. D’autre part, deux d’entre elles, à chaque station proche d’une mairie d’arrondissement, doivent être mises à disposition de la ville.
De quoi ravir les associations antipubs qui s’agitent avec leurs feutres et leurs post-it dans les couloirs du métro ? Encore eût-il fallu que Media Transports permette l’affichage municipal prévu et n’augmente pas considérablement, entre 2009 et 2015, le nombre de ces panneaux. En 2010, le journal Les Échos dénombrait quarante mille faces publicitaires. Aujourd’hui, Media Transports en revendique entre cinquante et cinquante-cinq milles, soit une augmentation d’au moins 20 %. Contacté pour cet article, Medias Transports réfute le chiffre des Échos et annonce que le nombre de faces « classiques » est « constant, ou quasiment » – ce n’est donc déjà pas à proprement parler une baisse. L’entreprise reconnaît aussi que le nombre de faces « numériques » est passé entre 2010 et 2015 de zéro à plus de six cents.
Laissons Média Transports à ses actionnaires Publicis et JCDecaux. En revanche, les choix de gestion de la RATP nous regardent. Le groupe de transports en commun est détenu par l’État. Le budget de fonctionnement de la RATP est clair : à travers l’intermédiaire qu’est le STIF, présidé par le président du Conseil Régional, ce sont les usagers et les collectivités locales qui paient pour faire tourner les moteurs des métros, bus et tramways. Nous sommes alors usagers, financiers et électeurs. A priori assez d’éléments, dans un système démocratique et transparent, pour demander des comptes à la RATP.
Une opacité salvatrice
Pourquoi notre RATP continue-t-elle de traiter avec des parjures ? Probablement pas pour la somme que lui verse Média Transports, qui stagne depuis des années. Elle représente seulement 70 millions d’euros, une goutte d’eau comparée aux 2083 millions versés annuellement par le STIF (1).
Les actions menées dans les galeries du métro depuis dix ans par des milliers de membres des Reposeurs et autres Brigades Anti-Pub se nourrissent de l’opinion publique et de sondages largement défavorables à cette omniprésence commerciale. En 2013, 64 % des sondés par TNS-Sofres déclaraient la publicité « désagréable ». Il ne leur reste plus qu’à suggérer à la RATP d’user de sa position dominante pour négocier avec une régie réellement prête à réduire le nombre et la taille des publicités commerciales ou encore à permettre une information municipale et pluraliste. Ou alors — d’aucuns crieraient-ils au scandale ? – d’augmenter le prix des titres de transport de 3 % pour se débarrasser une fois pour toutes des nuisibles affichages.
Maxime Grimbert
(1) Les sommes versées par le STIF devraient augmenter, possiblement de 500 millions d’euros, selon Jean-Paul Huchon, président élu du Conseil Régional, pour faire face à la baisse des recettes engendrées par le « tarif unique » du pass Navigo à la rentrée 2015. Cette augmentation ne concerne pas la somme versée par Média Transports.
RATP et publicité, le mariage arrangé
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