À la rentrée de septembre, les étudiants du Campus Croix-Rouge de Reims ont croisé des exilés sur leurs pelouses durant quelques jours. À quelques kilomètres du centre ville, ce bout d’université accueille 8 000 étudiants en lettres et en sciences humaines, dont les cours ont été suspendus, pour des raisons de « sécurité du domaine universitaire » : un coup de force des « milivoles » comme ils s’appellent, ces militants-bénévoles de la cité champenoise pour marquer les esprits, obtenir des moyens pour épauler les exilés et éviter un nouveau démantèlement du campement par les forces de l’ordre. Avant cela, les exilés vivaient dans le Parc Saint-John Perse. Tous ont été relogés mais peu de temps après, d’autres migrants sans abri se s’y sont réinstallés.

« Ils avaient des familles, des enfants, certains étaient malade », décrit Ibtissam Bouchaara, éducatrice spécialisée et bénévole auprès des exilés. Devant cette situation, un mécène local, qui souhaite rester anonyme, met à disposition deux de ses propriétés vouées à la destruction. Ainsi est née la Maison des Migrants. Plutôt les deux maisons des migrants, jusqu’à ce que l’une d’elles soit détruite et que tous soient regroupés ici, à quelques minutes du Centre Dramatique National La Comédie de Reims. Pour protéger les exilés et empêcher l’expulsion, le collectif a eu l’idée de signer un bail avec un loyer mensuel à un euro symbolique, grâce aux conseils juridiques d’avocats amis. Mais hors de question de divulguer l’emplacement exact pour protéger les exilés.

Steve, un Nigérian menacé de mort

Au fond d’une grande cour, une maison ancienne mais pas totalement délabrée accueille femmes, enfants et familles. À quelques mètres, le dortoir des hommes. « Ce sont d’anciens bureaux. On a installé ces cloisons pour séparer et faire des dortoirs, en deux jours », explique Ibtissam, montrant les grandes planches de placo nues. Un coin douche a également été aménagé pour ces 14 hommes de 18 à 52 ans répartis dans plusieurs dortoirs. Ils viennent d’Albanie, de Tchétchénie, d’Arménie, de Tunisie, d’Algérie, du Maroc, du Congo, de Côte d’Ivoire et du Cameroun. Steve, 38 ans, vient, lui, du Nigeria. Lorsqu’on lui demande pourquoi il a quitté son pays, il répond, en anglais, que sa vie est menacée parce qu’il a refusé d’intégrer la milice civile d’autodéfense [Civilian Joint Task Force, CJTF, ndlr], formée en 2013 pour lutter contre la menace de Boko Haram, soutenue par le pouvoir politique local. Armés, ces combattants ont commis de nombreuses exactions en toute impunité.

Maison des migrants Reims

Steve, 38 ans, Nigérian menacé de mort dans son pays.

Steve rapporte que son frère, déjà enrôlé dans cette milice, a décidé un jour de la quitter et de fuir vers la Libye. Rentré au Nigeria parce qu’il n’arrivait pas à passer la Méditerranée, le frère de Steve est tué. Steve a, quant à lui, réussi à arriver en France en passant par l’Italie. Il tient alors à nous montrer des photos, sans nous prévenir qu’il s’agit de celle du corps de son frère, la tête complètement écrasée. Sur la photo suivante, des miliciens sont regroupés autour d’un corps qu’ils maintiennent debout, un malheureux dont la tête a été tranchée, vision d’horreur absolue.

Si des bénévoles l’ont épaulé dans ses démarches administratives, Steve est aujourd’hui dans l’impasse, loin de la mort promise par la milice mais pas encore dans la « vie en sécurité » qu’il est venue chercher ici. En France, sa demande d’asile a été rejetée, son recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) aussi.

Denys Ménétrey et Ibtissam Bouchaara, deux bénévoles de la Maison des migrants

Suivi médical et juridique

La Maison des migrants est gérée par un collectif de bénévoles et non par une association « pour ne pas avoir de tutelle ou de couleur politique » explique Denys Ménétrey, un des bénévoles. Une quinzaine d’entre eux sont là au quotidien, appuyés par quelques associations comme la Société Saint-Vincent-de-Paul, le Réseau éducation sans frontières ou la Cimade.

Denys Ménétrey a travaillé dans la communication et le journalisme. Il refuse qu’on le qualifie de retraité, puisqu’encore très actif. Il y a aussi des infirmières, des médecins qui assurent le suivi médical ; des enseignants qui viennent aussi donner des cours de français ; des avocats, pour les conseils juridiques ; et même une employée de la DRAC (direction régionale pour les affaire culturelles, ndlr) qui leur permet d’accéder aux spectacles de nombreux établissements culturels de la ville. La scolarisation des enfants est aussi une priorité pour les bénévoles de la Maison des migrants. « Chacun apporte son réseau », résume Denys. « Ce qu’on a bâti pour soi-même dans sa vie professionnelle et citoyenne, on essaie de l’apporter ici. Et il y a des résidents sur lesquels on s’appuie. On lutte contre l’assistanat, tous les travaux ont été faits par les résidents et nous-mêmes. On est là pour les renforcer ».

Ici, c’est comme si on était en famille

La « vraie » maison, est réservée aux femmes seules et aux familles. Au rez-de-chaussée, un canapé trône à l’entrée d’une très grande pièce qui ressemble à un ancien garage. À côté, un homme d’une quarantaine d’années prépare une salade dans la cuisine aménagée à la va-vite mais très fonctionnelle. Et vue la ligne de linge qui sèche, cette pièce fait aussi office de buanderie. À l’étage, une salle à manger où sont partagés les repas est joliment décorée avec un mur de photos des exilés et des bénévoles masquant un papier peint d’un autre temps. Dans une des chambres, on chuchote pour ne pas réveiller celles qui se reposent dans leur lit individuel. Ici, c’est l’espace pour les jeunes femmes seules et futures mères. Elles sont six, toutes d’origine subsaharienne. Parmi elles, Louisa, 22 ans, arrivé à la Maison des migrants en février dernier. « Ici, c’est comme si on était en famille », indique-t-elle. En France depuis 2014, Louisa a alterné rue et hébergements d’urgence à l’hôtel, quand il y avait de la place. Venue du Nigeria pour « aller à l’école, travailler, avoir une vie normale », Louisa murmure qu’elle ne souhaite pas raconter pourquoi elle a quitté son pays, ajoutant que sa demande d’asile a été rejetée et qu’elle va bientôt faire un recours.

Louisa, 22 ans, originaire du Nigéria, habitante de la Maison des migrants

On veut montrer que c’est possible, et que c’est même absolument un devoir, d’accueillir les réfugiés.

De l’autre côté de la salle à manger, c’est plutôt le coin famille. Une des chambres, d’une dizaine de mètres carré, accueille deux mères qui dorment sur un lit simple pour l’une et sur un matelas au sol pour l’autre, chacune à proximité d’un lit-parapluie pour leurs bébés. En tout, une trentaine de personnes occupent cette partie de la maison. De retour dans le grand « salon-garage » en bas, Denys raconte qu’ils ont fêté le réveillon du 31 décembre tous ensemble ici. Il montre les photos où tous ont le sourire aux lèvres, et celles de Pâques, où on aperçoit les enfants en pleine chasse aux œufs organisée dans un jardin partagé, grâce à l’élan de solidarité. « Ici, c’est très riche« , explique une des bénévoles présentes, Aziza, petite quarantaine au compteur. « On veut montrer que c’est possible et que c’est même un devoir d’accueillir les réfugiés. Sinon, on se dénature, on dénature nos valeurs. » Elle précise aussi que les bénévoles sont bien accueillis. « Tout le monde est libre de venir échanger avec les réfugiés pour se rendre compte de leur situation. »

Les dons sont la seule ressource pour faire tourner ce lieu de vie. « On va chercher les invendus aux épiciers du centre-ville, précise Denys, comme à la campagne où des gens nous ont vendu des patates pour presque rien. Ce qui unit ce travail ce sont les relations citoyennes. On en appelle à l’humanité de chacun ». Denys compare à plusieurs reprises leurs actions au jeu de Go. « On a encerclé les mauvaises rumeurs et tout d’un coup, les gens se manifestent, amènent à manger, des habits », comme ce petit gilet tricoté qu’Ibtissam offre à une jeune mère qui vient d’entrer, avant de prendre chaleureusement le tout petit bébé dans ses bras. Sans manquer de donner des conseils administratifs comme acquérir la CMU ou se rendre à la PMI pour les examens médicaux du nourrisson. La Maison des migrants offre plus qu’un toit aux exilés. Certains sont primo-arrivants, la plupart dans la longue attente entre la demande d’asile et l’attribution d’un logement. D’autres, moins chanceux et plus désespérés, sont déboutés de toutes les démarches administratives, parfois sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français.

D’anciens mineurs non accompagnés

Les jeunes garçons rencontrés sont majoritairement des jeunes majeurs, soit des anciens mineurs non accompagnés (MNA). Comme Moustapha*, tout juste 18 ans. « Si Ibtissam ne m’avait pas ramené ici, je serais encore dehors », avance le lycéen. Arrivé du Maroc il y a deux ans, « pour changer de vie et aller à l’école« , Moustapha raconte qu’il a perdu sept mois avant de pouvoir être scolarisé, le temps d’arriver à prouver qu’il était bien mineur. Basé sur les documents d’identité puis un entretien d’évaluation, cette étape peut aller jusqu’à un test osseux. Moustapha n’a pas eu à subir cette technique controversée au vu de sa marge d’erreur. Une fois sa minorité reconnue, il a pu être hébergé dans un foyer dont il ne garde pas de bons souvenirs. Le jour de ses 18 ans, même s’il est encore scolarisé, il se retrouve à la rue, comme bon nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. Ici, il est à l’abri et peut continuer à ses suivre ses cours.

D’après Denys, il n’y aurait plus de migrants sans-abri à Reims. À quelque 150 km de Reims, les camps du nord de Paris ont été démantelés. Cela a commencé le 30 mai avec le camp du Millénaire Porte de la Chapelle qui accueillait 1017 personnes, essentiellement des Soudanais et des Erythréens. Ce lundi 4 juin, ce sont les camps de Jaurès et Poissonniers qui ont été évacués où vivaient 973 personnes originaires pour la grande majorité d’Afghanistan. Les points communs avec Reims ? La détresse de ces hommes et femmes en exil, le soutien de citoyens et d’associations et non pas de l’État, la critique véhémente de la loi asile-immigration adoptée fin avril. « C’est une honte, clame Ibtissam. Allonger le temps de rétention dans les centre de rétention administrative, je trouve ça horrible. Enfermer des enfants aussi. Tout est à jeter. C’est un affaissement des droits fondamentaux. »

Rouguyata SALL

*Le prénom a été modifié

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