Le 18 novembre 2015, les habitants du 48, rue de la République à Saint-Denis (93) étaient réveillés en pleine nuit par les tirs des forces de l’ordre tentant de déloger des terroristes des attentats du 13 novembre. Un an après, le traumatisme, le sentiment d’abandon et la précarité de leurs situations sont toujours présents chez ces rescapés. Témoignages. 

C’est sous le sifflement des balles que les habitants du 48, rue de la République à saint-Denis, se réveillent ce soir-là. Nous sommes le 18 novembre 2015, cinq jours après les attentats du Stade de France, des terrasses et restaurants parisiens et du Bataclan. Les policiers du Raid mènent une opération pour déloger Abdelhamid Abaaoud – accusé d’être le coordinateur des attaques – et son complice Chakib Akrouh qui sont retranchés dans cet immeuble dionysien. Le siège et la fusillade durent plusieurs heures. Près de 5 000 munitions ont été utilisées. Les habitants, eux, sont évacués à la hâte. Sept d’entre eux ont été blessés, dont quatre par les balles de la police. Un an après les faits, les images d’une extrême violence hantent toujours ces hommes, femmes et enfants. « J’étais avec ma famille. Nous étions en train de dormir quand une balle a traversé l’une des fenêtres. Aujourd’hui encore, mon petit garçon de deux ans se réveille parfois la nuit en pleurs« , raconte N’Goran Alouha, président et porte-parole de l’association « Droit au logement des victimes du 48″. « C’était une nuit infernale. Ce sont des mauvais souvenirs qui reviennent toujours dans la tête, confie pour sa part Tagara Bassina Traoré, habitant aussi de l’immeuble. On vit dans l’angoisse, dans la tourmente, et on a presque tout perdu« . A ce jour, les résidents de l’immeuble n’ont pas pu récupérer leurs affaires personnelles laissées sur place dans la précipitation.

33 habitants de l’immeuble toujours à l’hôtel

A la suite de l’assaut des forces de l’ordre, ce sont 88 habitants – 44 ménages – qui ont passé une dizaine de jours à dormir dans un gymnase ouvert par la municipalité avant de pouvoir trouver une solution de relogement. Car l’immeuble, déjà vétuste avant l’opération, a été fragilisé par une explosion rendant une partie du bâtiment inhabitable. Un an après, en raison de leurs faibles ressources, 33 ex habitants de l’immeuble sont encore dans l’attente d’une solution pérenne et restent à l’hôtel ou dans des résidences sociales. Les autres, eux, ont été relogés dans des HLM appartenant pour la moitié à la ville et pour l’autre à la préfecture. Sur les 24 demandes de régularisations des personnes sans-papiers, 21 ont reçu une issue favorable. Les rescapés du « 48 » réclament aussi l’obtention du statut de « victimes du terrorisme ». Une dénomination que l’Etat leur a refusée, pour l’instant, leur accordant à la place celle de « victime d’une intervention policière en responsabilité sans faute de l’Etat ».  « Ce n’est pas parce qu’ils ne nous ont pas tiré dessus que nous ne sommes pas des victimes du terrorisme« , déclare, dépité, Tagara Bassina Traoré. « Abaaoud et Akrouh n’étaient-ils pas des terroristes recherchés dans plusieurs pays ? On n’avait pas affaire à de simple bandits ou des braqueurs ». Cet homme de 50 ans, originaire du Burkina Faso, indique avoir été blessé au niveau des dents lors de l’intervention du Raid. Il fait partie des personnes qui ont obtenu leur régularisation mais, sans emploi ni logement stable, il reste dans une situation très précaire.

« On a l’impression d’être délaissés, abandonnés par le gouvernement »

Chez ces habitants règnent souvent un sentiment de discriminations dû à la lenteur des procédures mais aussi à l’impression d’être abandonné par l’Etat. « On a dû manifester, s’organiser en association… Les choses auraient dû se faire spontanément. On a l’impression d’être délaissés, abandonnés par les pouvoirs publics et le gouvernement« , regrette N’Goran Alouha. Un avis partagé par certains élus de la mairie de Saint-Denis comme Madjid Messaoudene qui déplore qu’un « bras de fer » ait dû être engagé avec l’Etat pour que celui reconnaisse son engagement sur le relogement de ces victimes. « Si cette situation avait eu lieu dans les beaux quartiers de Paris, le problème serait réglé depuis longtemps. Sans logement stable, on n’a pas d’intimité, on ne peut pas se fixer, envisager un avenir« , estime l’élu Front de gauche qui dénonce, par ailleurs, la stigmatisation de certains médias et « élus de droite » contre la ville de Saint-Denis. Mais l’élu n’oublie pas non plus de souligner l’élan de solidarité qu’il a vu se mettre en place dans cette ville de près de 110 000 habitants.

Des initiatives ce 18 novembre

Autre demande des victimes du 48, avenue de la République : un suivi psychologique sur le long terme auquel elles ne peuvent avoir accès faute de moyens ou en raison des délais d’attente trop longs. « Quand j’ai voulu prendre rendez-vous pour mon fils avec la psychologue rencontrée à la suite de l’assaut, on nous a indiqué qu’il y avait six mois d’attente« , explique N’Goran Alouha. Lors d’une conférence de presse, organisée ce jeudi 17 novembre, à la l’hôtel de ville de Saint-Denis, la préfète déléguée pour l’Egalité des chances de Seine-Saint-Denis, Fadela Benrabia, a assuré que les anciens résidents allaient bénéficier « d’un suivi psychologique au long cours« . Celle qui a repris le dossier en main en janvier à la suite de sa nomination, a par ailleurs rappelé qu’un dispositif d’accompagnement social a été mis en place avec la mission locale pour aider les personnes en situation de précarité à trouver un emploi. Le 29 novembre, une rencontre est prévue entre des représentants du collectif et la préfète.

Un an jour pour jour après l’assaut du Raid, plusieurs initiatives vont être mises en place ce vendredi 18 novembre avec les sinistrés du « 48 ». Une exposition photo pour illustrer le combat des habitants et un goûter ont été prévus à partir de 17h rue Corbillon.

Kozi PASTAKIA

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