Le Bondy Blog : Pouvez-vous vous présenter ?

Samia Saadani : Je me suis investie à l’âge de 17 ans dans des associations, plutôt humanitaires. Mon master management des organisations et développement responsable m’a aussi permis de toucher à des problématiques sociales au sein de l’entreprise comme la lutte contre les discriminations, à l’embauche notamment. Dans le même temps, j’ai rejoint une association de lutte contre l’islamophobie. De là est née l’idée de faire une thèse sur le sujet que j’ai démarrée en septembre 2017. Je travaille sur ces questions tout en poursuivant mon engagement militant. Je suis une sorte de chercheuse militante ! Mon terrain comprend les organisations de lutte contre l’islamophobie, mais aussi d’autres organisations antiracistes…

Le Bondy Blog : Comment est née l’idée de créer ce mouvement « Hrach is beautiful » ?

Samia Saadani : J’ai commencé à porter mes cheveux naturels avant que le projet existe. Au départ, c’est vraiment une démarche individuelle. Dans le même temps, je me suis politisée et j’ai conscientisé cette problématique. J’ai constaté qu’au niveau de mes comportements individuels, des choses avaient changé. Avant, je lissais mes cheveux. Depuis septembre, j’ai arrêté et depuis janvier, je ne fais plus rien pour les transformer et pour enlever mes boucles. Un jour, sur les réseaux sociaux, Yassin Alami racontait une anecdote qui concluait que ce problème touchait aussi les hommes. Il voulait en parler et de suite, j’ai eu envie de m’exprimer aussi sur le sujet. J’ai pris conscience que les hommes issus des communautés nord-africaines se retrouvent dans la même situation que nous lorsqu’ils laissent pousser leurs cheveux. A partir de là, j’ai pris conscience qu’on n’en parlait pas entre nous. Le fait d’en discuter, quelque part, c’était comme briser une forme de tabou. Yassin était motivé pour faire quelque chose, du coup nous nous sommes associés et au fur et à mesure nous avons discuté de la forme et du fond de la démarche, comment positionner le mouvement, sur quelles bases, quels enjeux intégrer…

Yassin Alami, enseignant en histoire, militant associatif dans le 19e arrondissement de Paris et co-créateur du mouvement « Hrach is beautiful »

Pendant toutes ces années, depuis mes premiers surnoms à l’école, j’ai intériorisé que mes cheveux n’étaient pas beaux

Le Bondy Blog : Vous parlez de prise de conscience ? C’est à dire ? 

Samia Saadani : C’est ma propre expérience avec mes cheveux qui m’a amenée à m’engager. Aujourd’hui, j’ai 24 ans et je les porte naturels mais jusqu’à il y a quelques mois, j’ai tout fait pour cacher mes boucles. J’ai porté le voile pendant quatre ans et même quand je le portais, j’avais des remarques du style « Ah mais je suis sûre que tu portes le voile parce qu’en fait t’as des cheveux hrach ! C’est plus facile pour toi, ça te permet de les cacher ! ». C’est blessant parce que la personne remet en cause mon engagement spirituel et dénigre une partie de mon corps. Pendant toutes ces années, depuis mes premiers surnoms à l’école, j’ai intériorisé que mes cheveux n’étaient pas beaux. Aujourd’hui, j’ai pris conscience que c’était faux grâce à mon engagement. Les rencontres que j’ai pu faire avec d’autres militantes, fortes et investies dans cette stratégie d’enpowerment, font qu’on change le regard qu’on porte sur soi-même.

De gauche à droite : Aline Tacite, fondatrice de « Boucles d’Ebène », Samia Saadani et Yassin Alami enseignant en histoire et tous deux créateurs du mouvement « Hrach is beautiful » ont lancé le mouvement dans le 19e arrondissement de Paris mardi 10 avril 2018

Le Bondy Blog : De quels autres mouvements vous êtes-vous inspirés pour Hrach is beautiful?

Samia Saadani : Un très gros travail a été fait par des personnes noires sur le sujet du cheveu naturel, à travers des initiatives individuelles, des blogs, des livres ou abordé dans des films comme celui d’Amandine Gay, « Ouvrir la Voix » (film dont le Bondy Blog est partenaire média, ndlr) que j’ai trouvé génial. Quand je l’ai vu, je me suis beaucoup reconnue dans ces femmes et en même temps, on avait besoin d’un regard spécifique sur cette question, dans nos communautés nord-africaines ici et en Afrique du Nord. Il est nécessaire d’avoir un regard ciblé car tout ce travail déjà effectué par les communautés noires n’est pas transposable à l’identitique à nos problématiques. Surtout, il était important de passer au collectif.

Le but n’est pas de juger mais que chacun puisse choisir et n’ait plus à se dire ‘il ne faut pas qu’on voit mes cheveux comme ça !’

Quand j’en parle autour de moi et sur les réseaux sociaux, j’ai beaucoup de réactions positives, de gens très contents d’en parler. Et même avec ma propre soeur, on n’en parlait pas, alors que toutes les deux on a vécu ça  mais on l’a tellement intériorisé… Le fait de se dire qu’on a les mêmes vécus, des anecdotes qui se ressemblent étrangement, ça libère. J’ai aussi regroupé des témoignages, des points communs qu’il y avait entre nos différentes expériences… Le but n’est pas de juger en disant « Toi tu portes pas tes cheveux naturels, c’est pas bien » ou de blâmer une personne qui se lisse les cheveux, mais que chacun puisse choisir et n’ait plus à se dire « il ne faut pas qu’on voit mes cheveux comme ça » !

Le Bondy Blog : Pour vous, le cheveu est donc politique?

Samia Saadani : Oui, complètement ! Preuve en est avec ces comportements d’intériorisation et ceux d’autrui envers des personnes aux cheveux bouclés, frisés, crépus. D’ailleurs, certaines personnes ne comprennent pas qu’on puisse avoir ce type de revendications. C’est surtout politique parce que lorsque des personnes se rendent compte que ces comportements envers elles étaient oppressifs, c’est souvent du fait de leur engagement militant. Les personnes qui ont les cheveux lisses ne comprennent pas forcément de quoi on parle, l’utilité, et pourquoi… Parfois, on peut entendre « ce n’est pas si important que ça ce que vous faites, il y a des choses plus importantes, il y a la Syrie, il y a la Palestine…» mais en réalité, quand on en parle à des personnes qui sont concernées ça fait tilt !

Lancement du mouvement « Hrach is beautiful » dans le 19e arrondissement de Paris mardi 10 avril 2018

Le Bondy Blog : Qu’est-ce que le cheveu naturel signifie pour vous ?

Samia Saadani: Pour moi, le cheveu naturel c’est l’émancipation quand il a été bridé, enfermé, mutilé, lissé… Une personne qui porte ses cheveux naturels, c’est quelqu’un qui ne cherche pas à les transformer : ça ne passe pas nécessairement par un défrisage, un lissage brésilien, japonais ou un brushing… Il y a aussi une spécificité en Afrique du Nord qu’on appelle le kardoune : c’est aussi une transformation du cheveu. On met son cheveu dans un bas pour casser les boucles et transformer les cheveux bouclés, frisés en cheveux lisses. Ma demie-soeur par exemple, son père est originaire d’une ville où ils sont tous berbères et noirs. Elle a les cheveux crépus et a toujours eu du mal avec son identité nord-africaine, parce qu’on lui a toujours dit qu’elle ne ressemblait pas à une Arabe. On lui disait souvent : « Cest bizarre, tu ressembles à une métisse en fait » du fait de sa chevelure crépue, de sa peau noire et de ses yeux verts. Ca a été très difficile pour elle de se positionner.

Derrière la question du cheveu, c’est celle d’un standard de beauté devenu norme voire hégémonique qui se pose

Le Bondy Blog : En cela, parler du cheveu revient à parler de choses qui vont bien au-delà ? De son identité, de sa culture, de son éducation ? 

Samia Saadani : Oui, la question du cheveu induit d’autres choses, plus profondes et cela amène effectivement à parler des représentations. Il y a des débats qui n’ont pas été réglés, qui ne sont pas abordés : ce n’est pas qu’une question de cheveu finalement. La couleur de la peau est aussi imbriquée… Derrière la question du cheveu, c’est celle d’un standard de beauté devenue norme voire hégémonique qui se pose.

Samia Saadani, co-créatrice du mouvement « Hrach is beautiful »

Il manque une représentation réelle de la diversité des personnes originaires d’Afrique du Nord

Le Bondy Blog : Comment expliquer cette norme du cheveu ? S’agit-il uniquement des conséquences de la colonisation en Afrique du Nord par exemple ?

Samia Saadani : Pour moi, ce n’est pas le seul facteur. Il y a certes les restes de la colonisation mais il y a aussi la diffusion d’une norme euro-centrée où on voit des personnes qui sont noires ou mates porter des cheveux lisses, avec des traits fins ; en somme une représentation un peu hypocrite de la diversité. C’est en partie, ce qui fait qu’on avance peu sur ce sujet. En Afrique du Nord, il y a une diversité physique qui est impressionnante : on passe du blanc au noir, aux cheveux crépus, bouclés, frisés, raides. L’autre explication, c’est la méconnaissance de nos origines. Il manque une représentation réelle de la diversité des personnes originaires d’Afrique du Nord. Je suis d’origine marocaine, j’ai ainsi pu visiter le Maroc de long en large, et j’habite dans une ville en France où il y a beaucoup de Marocains : cette diversité, je peux la voir. En revanche, quand je regarde une chaîne marocaine comme 2 M, cette diversité, je ne la retrouve pas, tout comme dans les publicités. Quand en France, je regarde des films censés représenter des personnes d’origine nord-africaine ou maghrébine, je ne la retrouve pas non plus. Les actrices censées représenter ces origines sont à peu près blanches, légèrement mates et ont souvent les cheveux lissés… Ou alors quand elles ont les cheveux bouclés, c’est au début du film quand elles jouent des rôles de « sauvages » ; puis à la fin du film, quand elles se sont assagies, elles ont les cheveux lisses ! En fait, on n’a pas conscience de nos origines africaines car on nous qualifie tout le temps d’ »Arabes », on nous assimile facilement à l’Orient sans jamais vraiment souligner notre africanité. Je pense que ça y participe.

Le Bondy Blog : Quels sont les projets pour l’avenir?

Samia Saadani : D’abord mener des réflexions, donner des cadres de paroles, où tout le monde peut se sentir libre de parler, sans être moqué. L’évènement d’aujourd’hui est un début… On va voir quels sont l’accueil et la réaction des gens. Pour la suite, nous allons mettre en place très prochainement un financement participatif pour un projet photographique afin de créer nos propres représentations. Avant juin, on produira les portraits afin d’en faire une exposition en septembre. Ce que j’espère : changer les regards pour plus d’altérité dans la beauté.

Propos recueillis par Sonia SALHI

Crédit photo : Amanda JACQUEL

Première publication le 12 avril 2018

Articles liés