Ahmed a rencontré trois jeunes parisiens lors de la manifestation qui a secoué la capitale ce mercredi 9 mars. Installés autour d’un café, ils ont commenté ce qui s’est passé.

Les rues se vident tout autour de la place, la masse de manifestants se clairseme. Et tandis que s’annonce la rituelle bataille chiffrée (combien ont-ils été à défiler ? La police annonce 30.000 personnes, les diverses organisation 100.000), que les forces garantes d’un certain ordre commencent à évacuer la place de la Nation et de rétablir la circulation, nous nous installons en compagnie d’Aurélie*, Julien* et Lucas*, à une terrasse de café chauffée. Un peu grelottants, tout le monde commande des boissons chaudes, l’esprit encore rempli des slogans scandés tout au long de cette journée de mobilisation nationale contre la Loi Travail.

« Toujours la question du travail »

S’engage dès lors une discussion entre ces trois amis, parisiens, venus ensemble à la manifestation. Aurélie, cheveux blonds et courts décoiffés par ce bonnet en laine qu’elle vient de retirer, ses yeux bleus qui pétillent, cette étudiante en lettres modernes, brise le léger silence, avec un sourire timide : « Moi, je ne manifestais pas avant, c’est Janvier, la marche de Janvier qui a été un déclencheur, puis c’était l’état d’urgence ensuite aujourd’hui la Loi Travail ». Quant à Julien, fraîchement recruté au poste d’éducateur spécialisé, se définit comme un « vieux briscard des mouvements sociaux » du haut de ses 28 ans. « Moi j’ai toujours été dans les manif’, j’ai toujours participé à toute sorte de manif’, j’aime ça, surtout quand il y a de la castagne et que c’est chaud ». Étrange résonnance pour lui : aujourd’hui, il en rit « d’ailleurs l’une de mes premières grosses manifestations, c’était le CPE, il y a dix ans pile quoi, et toujours par rapport à cette question du travail, c’est drôle quand même… ». Et Lucas, le plus jeune du trio,  vingt ans à peine, le plus réservé aussi, passe une main fébrile sur sa mèche rebelle, la replace, bégayant un peu, il enchaîne. « Oui le travail c’est essentiel, c’est ce qui rassemble le plus, c’est une des questions les plus importantes, parce que ça touche à notre vie de tous les jours, à notre seul moyen de subsistance… »

« Créer un événement Facebook c’est plus efficace que de coller des affiches »

Après l’évocation d’un certain parcours militant, chacun nous précisant qu’il n’a jamais eu de carte nulle part et qu’ils ne se revendiquent d’aucun parti, nous en revenons à la mobilisation de ce 9 mars. Tous trois en ont entendu parler par Facebook, tous trois ont signé la pétition sur Change.org. L’occasion pour Aurélie de dire un mot sur ce qu’elle appelle « le militantisme web, c’est une nouvelle manière de faire de la politique, plus efficace je trouve parce que ça touche les plus jeunes, on navigue sur Facebook et entre deux soirées, deux événements on capte une manifestation, moi je mets toujours ça m’intéresse plutôt que participer, comme ça si je n’y vais, je culpabilise pas… » et Lucas de hocher positivement, « oui, en plus de Facebook, j’aime bien regarder les vidéos des YouTubeurs, y en a pas mal avec qui on apprend des trucs, comme Usul qui au départ faisait que des trucs de jeux-vidéos ou alors ‘Bonjour Tristesse’, d’ailleurs j’ai pas arrêter de partager la vidéo que plusieurs  YouTubeurs ont fait en commun, intitulée ‘On vaut mieux que ça’ ». Julien qui remue sa tasse avec son fond de chocolat tiédi, opine du chef : « Le tractage et tout c’est bien, mais je pense que la création d’un hashtag ou d’un événement Facebook, d’une pétition en ligne, c’est plus efficace que de coller des affiches. Après il ne faut pas que ça en reste uniquement à internet, hein, ça résout pas tout, c’est l’Internet qui doit amener les gens dans la rue un peu comme aujourd’hui… » finit-il par glisser malicieusement.

« 1936 l’instauration des congés payés, 2016 retour aux 40 heures »

La discussion se déroule, après les modes du débats, on parle de la Loi Travail d’El Khomri, de son contenu, et Lucas de parler du rôle qu’ont joué les vidéastes qui officient sur YouTube : « Franchement sans eux, sans regarder leurs vidéos, je ne sais pas si j’aurais été là pour la manifestion. En tout cas j’aurais jamais été pour cette loi, parce que c’est clair qu’elle casse nos droits, mais je pense que ça m’aurait pas fait bouger comme ça ». Julien est alors comme exalté « Non mais franchement moi, j’y croyais pas au départ, je pensais que c’était un truc du genre Gorafi** qui était relayé et puis non c’est un gouvernement de gauche qui tente de faire passer des lois écrites par le Medef, pas croyable, c’est d’autant plus incroyable qu’en 36 y avait les congés payés et que là en 2016 on veut nous faire revenir aux 40 heures… ». Et Aurélie de parler de son expérience « Moi, pour payer mes études, je suis obligée de travailler dans un centre d’appels, on fait des sondages, on nous donne jamais de contrats pérennes c’est que des missions d’une semaine et pourtant c’est un grand groupe, hein, ils pourraient recruter la plupart, ne serait-ce qu’avec des CDD mais non, on nous donne que des intérim et là avec cette loi ça peut devenir pire pour nous, moi, je me vois pas à long terme dans ce travail mais je pense à tous ceux qui vivent de ce genre de contrats précaires…».

Depuis que nous nous sommes installés sur cette terrasse, l’ombre a recouvert peu à peu la place de la Nation, la lumière s’échappant au rythme des manifestants. Le rendez-vous est pris par le trio : ils seront encore là, le 17 mars prochain, à manifester contre la loi El Khomri, car comme ils disent en chœur : « On vaut mieux que ça ».

Ahmed Slama

*Les prénoms ont été modifiés

**Site parodique

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