Supporter l’OM amène à bien des surprises. Ramsès en fait les frais depuis tout petit, quand son père lui a mis le nez dedans. 

Mon père m’a légué au moins trois choses : son nom, un livre sur les panthères et sa passion pour le foot. Concernant le dernier point, tout a commencé très tôt. Alors qu’un soir, je lui ai demandé s’il pouvait m’acheter une raquette de tennis, il m’a tiré vers un angle mort du salon, là où il était impossible pour ma mère de nous surprendre :

Si le foot n’est pas une priorité pour toi, casse-toi ! 

Mais papa, tu m’as dit que dans la vie, on était libre de ses choix…

Ta gueule, j’ai dit ça pour la forme. 

J’avais cinq ans. Alors, forcément, je n’ai pas fait de vagues. Et puis, j’aimais bien ça, moi, le foot. Dès lors, il a pris en main mon éducation footballistique. De longues causeries tactiques, en nocturne, qui finissaient souvent par « pour moi, la référence, c‘est les Pays-Bas. Au fait, y’a K 2000 aujourd‘hui ? ».

Plus que tout, il a lourdement insisté pour que je sois un supporter digne. « Quand ton équipe gagne, contente-toi d’un petit sourire, voire de serrer le poing discrètement en cas de très grosse performance. Et surtout, ne chambre jamais personne, ça te retombe toujours sur un coin de la gueule ».

Facile pour lui, le seul club qui le fait vibrer, c’est l’Olympique Kef. Aucun titre, un exploit tous les vingt ans dans le championnat tunisien et cette saison, 0 victoire et une belle descente en ligue 2, après de vaines tentatives de tricherie. Moi, mon équipe, c’est l’OM. Un putain de coup de foudre au début des années 90. La grande époque, celle où Marseille raflait à peu près tout, même la Coupe d’Europe. Scandales ou pas, là n’est pas la question : l’OM avait une équipe de rêve.

Je me suis d’ailleurs longtemps identifié à la star anglaise Chris Waddle, qui faisait briller mes yeux d‘enfant. C’était jusqu’à ce que je demande à Jean le gitan, mon coiffeur, de me faire la même coupe que lui un après-midi de juin. Il a touché ma tignasse, évalué les dégâts et dégainé une tondeuse kaki : « Je ne suis pas magicien, mon copain. Si Chris Waddle avait ta gueule, il serait douanier, pas footballeur. Dégradé sabot 2 comme d’hab gadjo».

Au début de ma vie de supporter, j’étais comme mon père : mesuré. En mai 1993, quand Marseille a gagné la Coupe des Champions, je me suis contenté d’un « ouéééééééé » et d’un petit cri de bouquetin, discret, au moment d’aller pioncer. En grandissant, j’ai commencé à me radicaliser. Profil classique : pas de meuf, pas de médicaments pour l’acné et pas de marque sur mes vêtements. Une proie facile quoi. Amine, un ami d’enfance, marseillais extrémiste, n‘avait pas eu de mal à m‘endoctriner. « Laisse transpirer ta haine mec». Alors, peu à peu, j’étais devenu un autre. Nerveux, méchant, imprévisible. J’aurais pu cautionner la corruption, le dopage et le kidnapping d’enfants pourvu que l’OM l’emporte.

Ouais, c’était une grosse période de disette et de déprime. En 2000, Marseille avait frôlé la Ligue 2. Alors, je me contentais de peu. Je me souviens encore d’un but d’Ibrahima Bakayoko contre le PSG en 2001 . Un pion dégueulasse, qui a tapé une bouteille d’eau avant de rentrer dans les filets et qui m’a fait péter un câble.

Dans le salon, j’ai enlevé mon polo, puis torse nu, j’ai fait trois roulades sur la moquette. J’avais prévu de faire une petite figure en plus, à la Surya Bonali, mais ma mère m’avait jeté un petit objet pointu dans le dos. Alors, je me suis rhabillé, sourire en coin, pour préserver les apparences. À peine arrivé dans ma chambre, j’ai pleuré sans dignité, en passant mes doigts dans mes cheveux, pensant que cela atténuerait ma douleur. Ma mère en voulait à son mari, à qui elle reprochait de m’avoir trop bourré le crâne avec le foot. « C’est toi qui en as fait un connard ». J’essayais d’arrêter. De me contrôler. Mais c’était plus fort que moi. Il me fallait un vrai déclic.

Celui-ci a eu lieu quand Marseille s’est qualifié en finale de la Coupe de l’UEFA, en 2004. Je suis sorti de chez moi et je ne sais pas pourquoi, je me suis mis à sprinter comme un con, entre les bâtiments. Soixante mètres plus loin, les inspecteurs de la Bac me demandaient de m’arrêter : « Bah alors, on a quelque chose à se reprocher. On court à une vitesse anormale ? On se croit aux Jeux olympiques? Tes papiers. Vite ».

Il m’a fallu 20 minutes pour leur expliquer que je ne vendais ni doudounes Versace, ni sandales Gucci. Tous les voisins me regardaient me faire palper les couilles. J’imaginais déjà la garde à vue. Le retour, le lendemain matin. Devoir faire face aux rumeurs dans la cité, colportées par des femmes au foyer qui pourraient écrire à l’occasion des fictions pour la Paramount : « Oui, je l’ai vu. Ramsès vend de la drogue toute blanche. Un sachet est tombé de son gilet. Et dire que ses parents sont des gens sans histoires. J’ai honte. Sale arabe.

Alors, pendant près de neuf ans, je me suis tenu à carreau. Pas un problème. Jusqu‘à la semaine dernière. Ça a commencé avec mon jeune cousin de neuf ans, qui a entendu parler de l’affaire OM-VA en 93. « Ramsès, c’est vrai que ton club a déjà acheté un match ? » Mon cœur s’est mis à battre fort. J’ai serré les chicos, avant de me reprendre in extremis – enfin presque : « Ce sont des rumeurs espèce de petit bâtard. T’as des preuves? Non. Ben ferme ta gueule ».

Et puis, il y a quelques jours, Marseille a battu Toulouse. L’assurance pour l’OM d’être sur le podium de la Ligue 1. Je l’avais parié 100 euros en début de saison avec mon pote Fabou. Dans l’euphorie, j’ai foncé chez lui en voiture pour encaisser immédiatement les biftons. Il n’a pas moufté. Il est passé à la caisse, la mine renfrognée. Là, j’ai improvisé une petite danse du ventre. Un truc basique.

Tandis que je me frottais les mains, des policiers étaient en train de m’aligner. J’ai fait une course sans dignité pour éviter la prune. J’ai dit bonjour, félicité les forces de l’ordre pour leur action en général et demande dans la foulée à être exceptionnellement dispensé d’un Pv. L’un d’eux semblait enclin à avoir pitié. Son collègue s’est avancé vers moi et m’a fixé : « Non, ce ne sera pas possible. On ne gare pas sa voiture sur une place réservée aux Pompiers. 135 Euros, ça va t’aider à réfléchir.»

Il avait un accent marseillais.

Ramsès Kefi

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