Cette semaine, le journal du droit prendra la forme d’un journal DES droits. On n’aura pas manqué de constater que siffle sur notre époque la maxime d’inspiration cartésienne du « JE VEUX, donc JE SUIS ». Ce qui se traduit par la revendication de pléthore de droits, dont certains font débat : que l’on songe ici au droit à la mort avancé pour justifier la légalisation de l’euthanasie, que l’on songe là au droit à polluer déjà monnayé sur le marché boursier des quotas de gaz à effets de serre.

Plus souvent, l’extension des droits a été vécue comme un progrès : le droit à l’avortement, le droit au respect de la vie privée, à l’image, le droit à la présomption d’innocence, ou plus récemment le droit à l’environnement, au logement, ou encore à l’oubli. Une telle extension des droits, minuscules, face au Droit, majuscule, marque la toute puissance de la personne dans la société.

Voyons plus avant, quelques droits maltraités ou incongrus, évoqués cette semaine. Pour commencer, cela a mal commencé pour le droit à l’égalité puisque la Halde, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a pointé dans son rapport annuel une augmentation de plus de 20% des réclamations. La plupart sont liées à l’emploi. Quant aux critères de discrimination, ils sont bien connus : cela commence par l’origine ethnique, puis vient l’état de santé et le handicap, et ensuite le sexe, les activités syndicales, les convictions religieuses, l’orientation sexuelle, la situation de famille et l’apparence physique.

Pour résumer et si l’on cumule tous ces facteurs, il ne fait pas bon être une femme de moins de 25 ans d’origine étrangère, syndiquée à la CGT, en fauteuil roulant, qui en serait à son cinquième mois de grossesse et aurait pris 15 kilos de plus que ses deux quintaux habituels et qui se sentirait pousser soudainement une attirance pour les femmes.

Heureusement, certaines fonctions sont à l’abri de la discrimination ! Prenons le statut de président de la Halde par exemple. Il est sûr qu’il n’est que science-fiction d’imaginer les propos d’un parlementaire, du genre… je ne sais pas : « Il vaut mieux que ce soit le corps français traditionnel qui se sente responsable de l’accueil de nos compatriotes. Louis Schweitzer, c’est parfait. Un vieux protestant. Si vous mettez quelqu’un de symbolique extérieur, vous risquez de rater l’opération. » Science-fiction avez-vous dit ?

A propos du droit à l’égalité, que l’on se rassure, en France, c’est seulement dans les cours de solfège que l’on peut lire : une blanche vaut deux noires. Il semble qu’il n’en aille pas de même partout : les défenseurs des droits civiques américains viennent en effet de révéler qu’un grand magasin de Louisiane vendait la poupée Barbie blanche, deux fois plus chère que la Barbie noire.

Pour continuer, on peut évoquer le droit à la sexualité. Que l’on se rassure, il ne s’agit pas d’évoquer une quelconque revendication des prêtres en ce sens. Pour autant, ce droit existe. Il est reconnu dans le mariage, au point que le refus de rapports sexuels entre époux est une cause de divorce. Il l’est également en droit de la responsabilité, lorsque la victime d’un accident médical à l’origine d’un préjudice sexuel obtient le remboursement de la célèbre pilule bleue (Viagra).

Et voilà même qu’en France, certaines associations revendiquent le droit à la sexualité pour légaliser et organiser le métier de prostitué(e)s spécialisé(e)s dans le service sexuel aux personnes handicapées. Cela existe déjà au Danemark, en Suisse, en Allemagne ou au Pays-Bas. Du sexe remboursé par la Sécu, en quelque sorte !

Que dire à présent d’un « droit de tuer », mis en scène par la télévision, et qui fait la une d’un célèbre hebdomadaire TV intello ? On nous annonce la diffusion d’un nouveau jeu en prime-time sur le service public : le jeu de la mort. Pour gagner ce jeu, le candidat doit sanctionner son adversaire à chaque mauvaise réponse. Il dispose alors d’une manette qui lui permet d’administrer une décharge électrique allant de 20 et 460 volts. On découvre que plus de 80% des candidats vont pousser la manette jusqu’à la décharge la plus forte, provocant la mort de l’adversaire.

Ce n’est qu’à la fin du jeu que les candidats sont informés par un psychologue qu’il ne s’agissait là que de fiction. Les promoteurs de ce jeu télévisé revendiquent la transposition de la célèbre expérience de Milgram. Ce psychosociologue de Yale avait démontré dans les années 60 qu’une personne placée sous une autorité considérée comme légitime pouvait aller jusqu’à tuer autrui.

Pour autant, une chose est une expérience scientifique conduite suivant un protocole du même nom avec les garanties adéquates, une autre est une émission de télévision destinée à divertir. Au point que l’on peut se demander si un tel programme n’est pas une atteinte à la dignité humaine, en ce qu’elle rabaisse l’homme par son comportement inhumain, à un simple objet au service de l’audimat. Si l’on osait même aller plus loin, on rappellera qu’en droit pénal (article 121-5 C. pén.), la tentative d’homicide est sanctionnée au même titre que l’homicide, et ce alors même qu’elle a manqué son effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, en l’espèce la volonté des producteurs d’une émission de téléréalité.

Laurent Bonnefoy

Laurent Bonnefoy

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