Je pianotais comme à mon habitude sur le réseau social à la recherche d’une révolution, à défaut d’en trouver une, je suis tombée sur une perle : Hiro Aka Jo Lalobance. Traduction : Hiro (humble, insolent, robuste et obsédé), Aka (alias) Jo Lalobance (en lingala, langue bantoue, Monsieur la parole). Hiro Aka Jo Lalobance, donc, lance des débats sur le net où il prétend « casser du français lourd ! ». Je m’approche, lis un peu ce qui se dit, « ‘Je casse que du français’ désolée pour moi c’est choquant ! Comment vous le prendriez si j’ouvrais une page Facebook en employant ‘je casse que du Noir’ ? » s’insurge une internaute.

Oula ! Ça chauffe, j’adore ! Mohammad ajoute : « Les Noirs, les Arabes sont aussi des Français. Le fait de les soupçonner de racisme anti-français lorsqu’ils disent ‘casser un français’ est un non sens. Pire, ça signifie implicitement qu’eux n’en sont pas… » Bon allez, fini le suspense, c’est quoi ce délire, là ? En fait, « ‘cassez des français’ est une expression beauvillésoise [de Villiers-le-Bel] qui veux dire asséner une vérité !!! », explique un habitué. Eh bien, je me suis renseignée et effectivement, ça fait déjà dix ans qu’à Villiers-Le-Bel on parle le « français », un langage qui rassemble des mots et des expressions de diverses populations africaines et arabes et qui, si l’on n’est pas équipé d’un dictionnaire en bonne et due forme, peut laisser quelque peu l’« étranger » désarçonné.

On n’est plus au stade du verlan, il s’agit d’un « langage » à part entière qui nécessite un apprentissage. « On a créé une langue que tu peux parler, où que tu sois, dans le XVIe ou en banlieue. Les gosses d’aujourd’hui ont des parents qui parlent des dialectes et on y a pris des mots et des expressions pour enrichir la langue française. Pour que chacun puisse se dire ‘je suis français’, on n’est plus des ‘issus de’, on est français ! », explique Tibault Baka, alias Hiro Aka Jo Lalobance. Ça relance les débats houleux de l’intégration, d’une assimilation clairement refusée par ces jeunes qui veulent être acteurs, jusqu’à la langue qu’ils parlent.

Le risque  semble être l’isolement, déjà qu’entre les quartiers populaires et les autres on a du mal à se comprendre, alors si en plus on ne parle plus la même langue ! Communautarisme ou pas ?  « Oui c’est du communautarisme, pas ethnique, mais territorial !! », assume clairement Kwame, entrepreneur beauvillésois, au cours du débat sur Facebook. « Rien de bien surprenant quand on sait que la langue est souvent le fruit d’un environnement social, les Bretons ont créé une langue en contestation au royaume franc, les catalans en Espagne ont crée leur langue pour les même raisons, l’exclusion provoque forcément des repères, des codes et des langages propres. »

Trêve de plaisanteries, je file en reportage au pays de Villiers-le-Bel et je vous recontacte. Allé, je retire mon corps pépèl’s, salam, on se chek, je vous ai boostés !*

Nadia Sweeny

*Je m’en vais tranquille, au revoir, à bientôt, j’ai passé un bon moment avec vous.

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