Depuis jeudi 24 septembre, la télévision a invité Nadine Morano, Eugenie Bastié ou encore Geoffroy Lejeune… Une animatrice a aussi qualifié le discours du FN comme « un discours de vérité ». Et si tous ces signes, en quelques jours, racontaient quelque chose de notre époque et sa « télé-facho » ?

Peut-être que ces derniers jours étaient comme tous les autres : des jours où les informations mourraient mortes-nées, où les émissions de télévisons s’enchaînaient sans qu’on les regarde vraiment. Où on continuait d’inviter des hommes politiques qui n’avaient rien à dire et où les pseudo-chroniqueurs s’amusaient à poser des questions pour devenir les héros d’Ozap. Sauf que finalement, ces derniers jours n’étaient pas tout à fait comme les autres.

Jeudi – Le Grand Journal de Canal Plus, remanié par qui on sait, est la catastrophe naturelle que l’on connaît. Un cadavre télévisuel qui n’intéresse que la presse qui s’empresse de commenter, chaque matin, les audiences de plus en plus basses. Ce jour-là, l’émission commence comme depuis sa reprise, le 7 septembre. Le plateau s’éclaire et le public fait semblant d’être content. L’animatrice essaie de garder le sourire même si elle sait qu’elle fonce dans le mur. Les chroniqueurs la suivent prudemment. L’animatrice lâche la phrase que, depuis, on a entendu mille fois. Elle trouvait sûrement opportun d’informer ses quelques téléspectateurs que « le FN a un discours de vérité ». 

Ses propos sont ceux-là. Devenus banals dans une télé où les pensées extrêmes s’étalent. Des propos presque normaux sur un plateau où on invite Ménard et Louane. On attend le lendemain, peut-être un signe pour se rassurer. Mais les propos de l’animatrice sont confortés avec des explications bidons. Peut-être d’ailleurs que l’animatrice est dans son rôle : celui de divertir, de faire le clown, de faire parler. Même si on aurait préféré éviter cette sortie de route, si triste, si révélatrice. La première d’un long weekend… 

Vendredi – Le temps est maussade. La télévision parle toute seule dans le salon. Ce soir, c’est la reprise de Ce soir ou jamais sur France 2. Une émission du service public qui brille par son intelligence, par ses débats emmêlés, par ses invités qui ont tous écrit des thèses, des romans, des essais. Des gens de culture qui parlent d’actualité, de politique, d’économie. C’est forcement un autre regard : posé, sensible, critique. Vendredi, l’émission avait trouvé la bonne idée d’inviter l’extrême-journaliste du Figaro, Eugenie Bastié. 

Parce qu’on en est là : à créer des créatures. A les faire grandir à la télé pour qu’elles deviennent les dieux des Marine et les Diables des autres. Bastié est de celles qu’on veut ériger en icône du Front. Elle répond aux questions en prônant, cachée derrière une citation de Simone Weil, « l’enracinement ». Pour elle, les désespérés qui ont quitté leurs pays en guerre, sont des envahisseurs. Elle a peur pour les européens, qui se sentent comme « les Indiens d’Amérique ». Si elle avait été assidue à ses cours d’histoire, ne saurait-elle pas que ces Indiens ont été sciemment envahis et massacrés par les Européens ? Que celui qui a eu vent d’un massacre commis par une famille de Syriens ou que ce soit en Europe lève la main… Et puis, que valent aujourd’hui 24 000 réfugiés syriens accueillis en France à côté du drame qui se joue dans leur  pays qui se vide de son sang ? Donc Bastié fait le job. Elle est le pantin qu’on anime quand on a besoin de la pensée extrême au milieu de gens qui écrivent et réfléchissent. Un parfait petit joujou. 

Samedi – Mais peut-être faut-il commencer par cette image, tirée du Supplément d’Ali Baddou dimanche sur Canal Plus. Un portrait de Catherine Barma, productrice superstar, qui sévit depuis Ardisson et continue, chaque samedi, à faire exploser l’émission de Laurent Ruquier. Dans le reportage, elle raconte son quotidien : sa façon d’être productrice, de constituer « un bon plateau », d’avoir de « bons polémistes ». C’est elle d’ailleurs qui a mis Eric Zemmour sur la rampe de lancement avant qu’il n’atteigne l’orbite. A ce moment-là du sujet, ça ne dure pas très longtemps, peut-être quelques secondes, elle accueille la frontiste refoulée Nadine Morano dans les coulisses de l’émission. Elles se font une bise chaleureuse et Morano demande : « Comment ça va Catherine ? » Cette tendresse raconte quelque chose sur notre époque : on ouvre la porte aux cerveaux sales, on espère qu’ils dérapent pour un peu plus de vues et pour que Twitter s’agace. On fait applaudir à pleines mains, par un chauffeur de salle décomplexé, les voix de Morano ou Geoffroy Lejeune sur un même plateau.   

Dimanche – Demain, tout recommencera : la télévision continuera d’inviter ceux qu’on ne veut pas écouter. Elle continuera de donner son avis, de déclarer des « vérités », pendant que Cyril Hanouna endormira les enfants qui le regardent. D’ailleurs, on pourra toujours se demander si le problème vient des invités d’extrême qui se lâchent comme s’ils étaient en famille, de la programmation des émissions qui virent au bleu sombre ou de nous, ébahis devant ce spectacle, abrutis et impuissants. On pourra toujours se demander s’il faut continuer à regarder cette « télé-facho ». 

Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah

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