Je suis sorti avec une fille il n’y a pas très longtemps. Une vraie en 3D, pas celles de mon fichier secret C:/programs files/ Windows/système 32/coccinelle ; mon petit harem de 500 gigas sur disque dur. Une femme comme je les aime avec de gros tchouches, un peu de cerveau et qui savait surtout fermer sa grande gueule. Jamais elle ne me racontait sa vie, ces trucs de filles qui font dormir tout homme normalement constitué. Moi une fille, quand elle me fait un colloque sur la vie de ses meilleures copines qu’elle hait de toutes les fibres de son âme en secret, c’est simple, j’ai qu’une envie : qu’elle s’étouffe à en devenir bleu ! Étranglée par sa jalousie.

Avec mon petit oiseau de miel, il n’y avait pas tout ça, elle était trop bien. Le rêve bleu à deux. Mais trop beau pour un vieux rat comme moi : elle m’a jeté. Elle m’a jeté loin la garce. Comme le javelot lancé par Obélix dans Astérix et les douze travaux : elle voulait plus me voir à l’horizon. Mis à la corbeille comme tous ces spams vous proposant de confier vos économies à un colonel du Niger. Entre nous, je me serais mis à pleurer si j’avais un cœur. On m’a déjà largué pour pleins de raison : tu as oublié mon anniversaire, tu dis des mots trop compliqués, l’hygiène buccodentaire…. Mais ce qu’elle m’a sorti, c’était inédit: « Idir je ne peux pas être avec une tapette, j’aime les sensations fortes les sports de l’extrême, je veux un homme, un vrai, Un hombre de la vida! Un qui n’a peur de la foire du trône ».

Le jour où elle m’a saoulé la tige avec cette histoire de manège, j’ai fini en position du fœtus sur le canapé, tremblotant comme une pucelle sur le lit nuptial d’Attila, la suppliant d’abonner son projet démoniaque de m’emmener à son bras à la foire du trône. Elle m’a postillonné de la merde dessus, genre : « T’es aussi viril que ma petite sœur » puis elle est partie sans jamais revenir. J’ai juré, même si ma meuf c’est Claudia Schiffer ou Caroline Ingalls, je ne monte pas dans un manège pour ses beaux yeux !

Explication d’une phobie. C’était il y a tout juste 10 ans. En pleine période de révision du baccalauréat. Je subissais une pression terrible à la maison. Dès le réveil ça donnait ça : « Bonjour maman ça va ? –Bac !!!Bac !!! Ton Bac !!! Bac !! T’es nul !! Aie ton Bac !! Révise ton Bac !!!BacBacBacBac !!!!!! Ton cousin il a déjà son Bac !!! Bac !». Et ça continuait comme ça toute la journée. Du coup pour me détendre, j’ai décidé de sécher les cours de physique-chimie, ma matière principale, pour aller à la Foire du Trône. Je me suis fait engrainer par deux copains chinois qui avaient arrêté les cours depuis longtemps. Eux l’école ce n’était pas leur priorité, ce qu’ils voulaient dans la vie c’est faire des sous-sous.

Ce n’était pas de Chinois de chez nous comme Chou, né dans notre bon et grand pays. C’est des Chinois de Chine, qui bouffent le canard avec la tête et qui sont nés dans une étable là bas à la campagne, on ne sait pas exactement quand à cause de leur calendrier lunaire. Enfin, je me dis que d’ici trente ans on fera tous leur lessive et leur ménage, alors autant se mettre bien tout de suite avec ce grand peuple au teint doré. Il pleuvait cet après midi là à la Foire du Trône mais qu’importe, nous étions comme Tom Sawyers, fiers d’être dehors pendant que nos camarades s’échinaient en classe sur la mécanique des fluides. Des fluides qui soit dit en passant, nous tombaient copieusement sur la gueule.

A cause de la pluie, les allées qui séparaient les manèges étaient désertes. Un temps de russe, un temps pourri pour faire du Grand Huit. Mais nous avions fait 10 kilomètres depuis Bondy pour du manège, alors le dieu des plans galères peut continuer à nous pisser de la pluie sur la tête, foi de bondynois, du manège on fera !  On avait 10 francs de budget chacun. On a trouvé qu’une seule attraction dans nos prix : le bateau pirate. Il était caché tout au fond, près des fourrés du bois de Vincennes. Je pense que les autres forains l’ont exilé loin parce que l’attraction faisait peur aux clients. Un bateau tout pourri, rouillé, rescapé de la guerre du Pacifique. De la peinture d’origine ne restait qu’une mince couche couleur jaune pipi, et une inscription sibylline : « araïbes ».

« Si c’est bon pour les cafards c’est pour les Bundy aussi », disait Al Bundy,  le saint patron des Bondynois. En considération de notre fortune, mes amis et moi trouvions que cette frêle esquisse était le plus fier trois-mâts que nous n’ayons jamais vu ! Nous donnons donc de bon cœur nos trente francs au machiniste, qui m’a tout de suite plu. Il parlait un gitan parfait, la seule langue officiel de Bondy. Nous nous installons au bout du bateau, pour profiter un maximum du spectacle, c’est l’endroit ou le vaisseau monte le plus haut lors de son mouvement de balancier. Nous avions attendu un long moment qu’un groupe de jeunes filles viennent nous rejoindre. Avec cette pluie, le gitan n’aura pas d’autre client, il enclenche donc la machine.

Le bateau ne s’élance pas tout de suite vers les cieux, il faut d’abord qu’il crache ses poumons. Au démarrage du moteur, l’air s’emplit d’une fumée épaisse, nos habits sentent désormais la tôle brulée. Le forain nous dit deux trois mots inaudibles pour le commun des mortels. Heureusement, je parle un peu manouche. Je traduis à mes camarades et aux filles : « Mettez les ceintures les copains ! » Quand nous abaissons la barre de fer, mes amis chinois et moi sentons qu’il y a du jeu. Censée nous caller sur nos sièges au niveau de la taille je peux soulever la barre jusqu’aux épaules. L’air qui nous entoure offre autant de protection. Mais il est trop tard pour protester. Un : Le bateau s’élève. Deux : je vois le forain quitter sa cabine pour aller prendre un café dans une guinguette à une centaine de mètres.

S’ensuit les plus longues minutes de ma vie. Quand le bateau finit son mouvement de balancier le pont du navire forme un angle de 90 degrés avec le plan terrestre. A ce moment-là, pendant quelques secondes je sens mon corps plongé dans le vide. Seule la force centrifuge du bateau lorsqu’il repart vers le bas me maintient en vie sur mon siège. Sentant le danger de notre situation, mes amis et moi hurlons a la mort pendant les longues minutes que durent l’attraction. Chacun prie pour son salut. Lim plus que les autres. Il est plus petit que nous et passe parfaitement dans l’espace de liberté qu’offre notre ceinture de sécurité. Il serait mort deux fois si nous ne l’avions par tenu fermement contre nos corps plus épais.

Le forain gitan interprète nos cris de terreur comme de la joie. Voyant qu’il n’y a pas foule au portillon il se prend un deuxième café et son cœur généreux nous offre un bonus de 10 minutes de manège en plus. J’ai très peur. C’est sûr, cette fois, je ne m’en sortirais pas.  Après avoir été pendu par mon grand frère à quatre ans, après m’avoir poussé dans un barbecue en flamme à six, roulé dessus huit fois en vélo pour faire le grand saut de la mort, après m’être fait tirer dessus au pistolet à grenailles toujours par mon psychopathe de frangin, la grande faucheuse qui m’a tant de fois caressé avec le bout de sa faucille, va cette fois pouvoir me la mettre bien dedans. Malheur ! A 19 ans je vais mourir puceau !

Le bateau monte et descend encore et toujours, sans son gitan de capitaine qui enchaîne les cafés avec ses potes au loin. A chaque fois que le navire monte, mon corps glisse vers le bas. « Viens là ! » me crie depuis les entrailles de la terre la douce voix de Newton et de sa gravité.  Cent fois, deux cent fois peut-être, je manque de glisser dans le vide intersidéral entrainant avec moi deux chinois terrorisés recroquevillés autour de moi. Un de mes camardes crie dans la panique: « On s’en fout ! Vous en avez eu deux, il en reste 1 milliards deux !». L’autre : « Je meurs dans l’honneur, sans avoir payé mes impôts ! ». Dans ma terreur, je fais la chose que je fais tout le temps mais seulement quand j’ai besoin de lui : je pris Dieu tout puissant, créateur de toute chose, mon sauveur. Et ça marche !

Le bateau s’arrête enfin. Mais pas mes jambes qui continuent à trembler pendant environ une heure. Un de mes potes est en larmes. Quand nos pieds touchent enfin la terre ferme., nous courons tous dans la futaie du bois de Vincennes sans nous arrêter et sans nous retourner. Je ne suis jamais plus retourné à la Foire du Trône.

Idir Hocini

Idir Hocini

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