Il est 19h05 ce dimanche, le train direct pour Melun part de Gare de Lyon. Les rames sont pleines, les voyageurs qui n’ont pas trouvé de place passeront 25 minutes debout. Je suis assise en compagnie d’une femme d’une quarantaine d’années, un père de famille et deux adolescents de 17 ou 18 ans. Trois contrôleurs font leur entrée dans le wagon quatre minutes après le départ du train. Un grand, fin, d’un certain âge, suivi de deux plus jeunes. Ils se dirigent directement vers les deux jeunes assis à côté de moi. L’un est noir, l’autre arabe.

Le plus âgé des contrôleurs leur ordonne en hurlant de montrer leurs titres de transports. Ce qu’ils font sans broncher. Mais dans le wagon des voix s’élèvent, protestent. Pourquoi les contrôleurs ne vérifient-ils les titres de transport que de ces deux jeunes-là ? La tension monte. L’un des deux jeunes contrôleurs tente de calmer la situation. « Mesdames, messieurs, pour plus de justice, nous allons tous vous contrôler. Veuillez sortir vos titres de transports s’il vous plaît. » Chacun s’exécute dans un silence pesant.

Les deux jeunes, forts de l’élan solidaire que leur ont porté les autres usagers, ne veulent pas en rester là. Ils s’estiment victime d’« injustice », de « racisme ». La tension monte à nouveau. Les deux jeunes contrôleurs s’occupent des autres passagers pendant que le plus âgé, le responsable, n’en finit pas de parler avec les deux jeunes hommes. C’est à mon tour d’être contrôlée. Prise de panique dans cette ambiance électrique, je ne trouve plus ma carte. Le contrôleur me soupçonne de mentir, la femme d’une quarantaine d’années, ma voisine de trajet, me regarde maintenant de travers. Les secondes qui s’écoulent semblent des heures. Je fouille, renverse mon sac, retourne ms poches. Elle est là. Le contrôleur sourit, la femme aussi.

Le père de famille à mes côtés est également prié de montrer son billet. Il annonce la couleur : il n’a pas de ticket, il ne va que rarement à Paris. Il sort sa carte bleue de lui-même pour payer l’amende. Le jeune contrôleur ne bronche pas et sort sa machine pour insérer la carte. Pendant ce temps, ça ne se calme toujours pas entre les deux jeunes et le responsable des contrôleurs. Plusieurs passagers s’en mêlent, le jeune contrôleur qui s’occupait du paiement en carte s’excuse et rejoint son chef pour essayer d’apaiser les esprits. La scène se déroule dans un mouchoir de poche, tous les acteurs de ce drame quotidien se trouvent au milieu du wagon, sur la même rangée.

C’est alors que mon voisin qui avait donné sa carte bleu pour payer l’amende, hurle : « On ne doit pas partir avec une carte bleue, c’est absolument interdit, ça ne se fait pas ! » Le contrôleur, surpris, revient, explique au monsieur qu’il s’était absenté un instant pour régler le conflit qui s’éternisait, indiquant qu’il allait lui rendre sa carte. Mais rien à faire. Mon voisin s’indigne. Il estime avoir fait son devoir en payant l’amende, ce qui n’est pas le cas du contrôleur qui « enfreint les règles élémentaires de sécurité ». Ce passager ne compte pas non plus en rester là, et le fait savoir.

Nouveau rebondissement : la machine de paiement par carte ne fonctionne pas. Catastrophe. Le contrôleur explique à mon voisin que le paiement a soit peut-être effectué. Ou pas. Aucun ticket n’est sorti. Le père de famille est donc prié de refaire son code, et éventuellement de payer en espèces. Cela ne pose aucun problème, lui assure le contrôleur. Le monsieur pourra faire une réclamation s’il constate, une fois qu’il disposera de son relevé bancaire, que prélèvement a été effectué deux fois.

Mais c’en est trop. Le ton monte des deux côtés, les 25 minutes de trajet deviennent longues, pénibles, interminables. Les deux jeunes voyageurs récupèrent le matricule du responsable des contrôleurs et changent de wagon. Ils feront les démarches, avertissent-ils. Mon voisin, lui, n’est pas décidé à nous laisser dormir.

J’ouvre ici une parenthèse : en général, dans les transports en commun, ce ne sont que moues dubitatives, grosses grimaces, sourcils qui font du yoyo. Les passagers ne se parlent pas. Sauf quand il se passe quelque chose d’extraordinaire. Comme cette fois-ci. Les langues se délient, Les usagers donnent leur avis, s’indignent, rigolent.

Mon voisin, lui, peste encore. Les contrôleurs finissent par lui dire qu’ils règleront cette histoire à l’arrivée du train, que la discussion est inutile. L’homme refuse, et s’explique : il est 19h20, un dimanche, il aimerait rentrer chez lui au plus vite. Les contrôleurs le menacent finalement d’appeler la police. Le passager estime être dans son bon droit et ne comprend pas qu’on veuille l’intervention de la police. Il n’ira nulle part en arrivant à Melun, à part chez lui.

On pensait en rester là, mais non. Un autre passager, à peine 25 ans, perd patience. Il se lève, montre son insigne, se présente : « Pierre Martin, agent de police en repos. » Il prend violemment le père de famille par les bras, lui récite un texte de loi incompréhensible, et l’emmène près des portes. C’en est finit. Super Policier a fait taire tout le monde. On s’attendait à tout, mais pas à ça. Une jeune fille de 10 ans pleure. C’est la fille de l’homme à la carte bleue, que l’on retient vigoureusement. Elle ne sait plus où aller, que faire. Il est 19h30, le train arrive en gare de Melun. On nous conseille de ne rien oublier dans le train.

Je n’oublierai pas cette scène ahurissante. Pendant 25 minutes, j’ai, comme tout le monde, pris position, parle avec des passagers, estimé que c’en était trop, qu’il fallait que tout le monde se calme. Si les contrôleurs vivent ça tous les jours, je leur tire mon chapeau. Si les usagers subissent ça tous les jours, je leur dédie cet article.

Sarah Battikh

Paru le 19 février 2010

Sarah Battikh

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