Pour beaucoup de filles, vivre dans une cité est loin d’être facile, parce que la modernité n’est pas toujours compatible avec les traditions. L’apparence est devenue un atout majeur dans le monde du travail, une silhouette fine est favorisée alors que les rondeurs sont rejetées; il faut assumer ses atouts, les mettre en valeur, être séduisante, accrocheuse. Mais les traditions sont en contradiction et elles sont omniprésentes, plus encore que la religion : respect des valeurs familiales, obligation de se marier avant d’avoir des rapports, ne pas flirter, éviter les métissages…

Pour savoir de quoi il en retourne, je suis allée demander l’avis de trois filles complètement différentes et pourtant si semblables. Toutes ont des parents immigrés, toutes vivent dans une cité et elles sont les trois croyantes. Le seul point de différence, ce sont leurs origines.

La première, appelons-la Marine,* est grande, souriante, Martiniquaise et chrétienne. Elle vit dans la cité des Gros Saules. Elle me confie : « Mettre une mini-jupe c’est mal vu, les garçons n’arrêtent pas de t’embêter et les filles te critiquent. Les gars dans ma cité mettent toutes les filles dans le même sac : qu’une seule couche avec un autre et toutes les filles sont des p… Personnellement, depuis qu’on m’a agressée, j’ai peur de sortir la nuit toute seule et je mets moi aussi tous les mecs dans le même sac. » Un soir en rentrant de chez elle, elle s’est faite accoster par un mec de sa cité. Elle n’a pas voulu répondre à ses attentes et celui-ci a essayé de l’emmener de force dans une cave. Heureusement elle s’est débattue et a pu se sauver.

Elle continue: « Je sais que c’est dommage mais les préjugés ont la vie dure et c’est pour ça que je ne sors jamais avec quelqu’un qui vit dans une cité. » Lorsque je lui demande ce qu’elle pense de la tradition, elle me répond: « Je suis complètement contre les traditions, on peut être heureuse avec son chéri sans forcément être mariée. Je n’ai pas besoin d’une alliance, mais c’est différent pour ma grand-mère, pour elle ce serait la honte. Je suis tiraillée parce que je n’adhère pas à leurs modes de pensées, je veux vivre ma vie comme je le sens, mais d’un autre coté, il y a ma famille et je dois concilier les deux. » En ce moment elle est célibataire, mais en général elle se moque des traditions et elle vit !

Maria* est d’origine péruvienne et polonaise, fière d’être évangéliste. Elle parle de sa cité, les Trois Mille, avec du recul, il faut dire qu’elle y habite depuis toujours. «Il ne faut pas se mélanger dans une cité, rester dans son monde surtout lorsqu’on n’est pas noir ou arabe ! L’apparence compte beaucoup et certains « blancs » subissent des insultes raciales. Je n’ai pas la bonne couleur de peau », dit-elle en haussant les épaules. « Je ne peux jamais m’habiller comme je veux, sinon les gars m’embêtent et si je ne réponds pas, parce qu’ils sont cinq et qu’ils me font peur, ils m’agressent. C’est pour cela que je reste dans mon coin, comme ça je n’ai pas de problèmes ». Lorsqu’on aborde le sujet des traditions et de la modernité, elle s’anime : « J e ne suis pas tiraillée parce que le monde change et qu’il faut s’adapter, mais je garde certaines valeurs. Lorsque je vois certaines filles dans le lycée dénudées comme si elles allaient en boite, ça m’énerve, il faut avoir un peu de dignité et respecter son corps. »

Fatou* est complètement différente. Elle est fière d’habiter « sa » cité, les Beaudottes, elle a 17 ans, c’est une Capverdienne et elle est en Terminale. « Ce que je n’aime pas dans la cité, ce sont les ragots, ils vont trop vite, tout se sait. Mais pour moi ça va, j’ai un grand frère et tout le monde me « respecte », les ragots s’éloignent et les garçons aussi ». Pour elle, les garçons ont plus de pouvoir que les filles : « Les filles ne peuvent pas s’habiller comme elles veulent, c’est vrai, mais faut voir aussi comment certaines le font, elles se croient à la plage. Certaines se font insulter, mais en fait ça dépend des saisons, en été les mecs sont moins « relous ». Pour se faire « respecter », certaines filles s’habillent en garçons manqués, comme ça, elles sont sûres d’être tranquilles et peuvent traîner dehors. Mais les garçons font ce qu’ils veulent et avec qui ils veulent, rien ne les arrête. Je ne suis pas dans le »trip » moderne, je m’habille normal, ni féminine ni garçon manqué, et je m’en fous des traditions. Ni l’un ni l’autre ne me touche, je suis neutre », conclut cette fille qui n’a pas la langue dans sa poche.

Une autre entre dans la conversation, elle est musulmane et a quitté sa cité depuis 8 ans. « Ma famille est moderne, donc concilier modernité et traditions n’est pas un problème. Par exemple, aucune femme n’est voilée dans ma famille, même pas ma grand-mère. Ma foi, je la vis dans mon coeur, je n’ai pas besoin de m’exhiber avec un voile pour exprimer mes croyances. »

Quant à moi, c’est peut-être différent car je n’ai jamais habité une cité et je n’ai pas eu de frère pour me « protéger »ou me « surveiller ». Je fais ma vie et cela ne regarde personne, que moi et Dieu. Mais ce qui frappe, dans tous ces témoignages, c’est la différence de traitement entre filles et garçons, et le manque de liberté dont les filles souffrent cruellement. Sincèrement, je ne m’attendais pas à cela. Je ne pensais que c’étais très difficile de vivre dans la cité mais en général elles ne s’en plaignent pas trop. Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra qu’elles se bougent si elles souhaitent que les choses changent.

Ni Putes Ni Soumises, cette association qui milite dans les cités pour donner la parole aux femmes, veut
faire évoluer les choses grâce à la communication des deux sexes et à un respect réciproque. C’est seulement comme ça que les choses pourront évoluer. Je ne vois pas pourquoi une fille qui habite dans une cité devrait avoir une vie différente, et en plus subir une troupe de cousins et de frères qui la surveillent. Cité ou pas, grandir en France et respecter les valeurs inculquées par les parents n’est pas un mélange toujours facile.

 

 

Chimelle Muanangani (Lycée Jean Zay)

 

* Pseudonyme, toutes les interlocutrices ont souhaité rester anonymes

Chimelle Muanangani

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