« Chez nous, il n’y avait pas un seul repas sans que ma famille lâche des trucs homophobes. Si dès le début mes parents m’avaient dit “Myriam tu fais comme tu veux”, je pense que je n’aurais pas été dans le déni. » Désormais âgée de 19 ans, Myriam* raconte avoir subi pendant des années, une dissonance entre sa propre identité et les discours de ses parents. Elle organisera assez tôt son départ du domicile familial et partira étudier dans une autre ville.

Pour Hanane, la prise de conscience de son orientation sexuelle se fait dès lors qu’elle quitte, elle aussi, le domicile familial. En ayant « un  crush » pour une femme, elle prend conscience de son identité lesbienne et de l’incompatibilité présupposée avec sa famille d’origine marocaine. « Je me rappelle avoir passé une sale semaine à pleurer en mode “je vais perdre ma famille”…», confie celle qui a grandi dans un quartier populaire de Corrèze.

Il y a deux ans tu tapais “lesbiennes”, “rebeu” ou “arabe” sur Internet, il n’y avait rien, sauf du porno.

Également militante de longue date, Nour*, d’origine algérienne, présume que c’est l’absence de rôle modèle et de visibilité lesbienne qui lui a fait prendre conscience tardivement de son orientation sexuelle : « Il y a deux ans tu tapais “lesbiennes”, “rebeu” ou “arabe” sur Internet, il n’y avait rien, sauf du porno. »

Myriam la rejoint sur ce point : « Des personnes queers, il y en a beaucoup dans les séries mais moi, c’était plus des personnes queers, racisées et musulmanes que j’avais besoin de voir. C’est vrai qu’il y a un gros manque là-dessus dans la culture ».

Sortir de l’invisibilité et de la solitude

Entre déni et sentiment de solitude, Nour, Hanane et Myriam se retrouvent dans le collectif Mille et Une Lesbiennes et Queers co-fondé par Nour en 2018. Créé dans le sillage de la publication du livre de Salima Amari, intitulé Lesbiennes de l’immigration. Construction de soi et relations familiales, le collectif a pour vocation de permettre aux femmes queer issues de l’immigration de sortir de l’invisibilité et de la solitude.

« Je pense qu’on était toutes dans notre coin à se sentir super seules et à construire des stratégies de survie. Or, ça ne marche pas. Il y avait donc l’enjeu de créer un espace de dialogue, d’entraide et de réflexion », retrace Nour.

Des parcours individuels qui s’inscrivent dans une histoire collective

Peu à peu le collectif s’agrandit, Nour prend alors conscience que son parcours individuel s’inscrit dans une histoire collective. « On progresse collectivement sur la compréhension de nos parcours respectifs », assure-t-elle. Pour Myriam, lire les témoignages de personnes comme elle sur la page Instagram du collectif a été salvateur.

La peur d’une rupture familiale est, par exemple, une constante dans les récits recueillis. Hanane raconte avoir vécu une « vie en apnée » : « Je vivais complètement dissociée. La semaine, j’étais militante féministe, antiraciste et queer et le weekend, j’étais la parfaite petite arabe de quartier. Je cloisonnais tellement que ce n’était pas vivable ». 

C’était des trucs genre : “vas-y, fais la kaïra » ! On était la touche exotique dans les milieux queers blancs

Nour, de son côté, parle de la sensation « d’être nulle part à sa place ». S’inspirant de l’entretien avec la psychologue Myriam Monheim, elle parle de la “multi vulnérabilité” qui caractérise le parcours des personnes queers issues de l’immigration, faisant quotidiennement face à plusieurs systèmes d’oppression : racisme, sexisme, classisme, islamophobie, LGBT+phobies…

Passées par plusieurs collectifs et associations, Hanane et Nour l’assurent : le cercle militant ne préserve en rien des discriminations. Hanane décrit l’exotisation des personnes venues des quartiers populaires dans les milieux queers blancs : « C’était des trucs genre : “vas-y, fais la kaïra » ! On était la touche exotique. J’ai subi tellement de clichés que j’ai su que ça ne serait pas dans ce milieu-là que je militerai » .

Nour renchérit : « Mille et Une Queer, on l’a créé parce qu’on n’était à l’aise dans aucun milieu militant. Dans le milieu queer, tu peux être exposée au racisme, à la fétichisation ou même à des injonctions comme celles du coming out ».

La pression du coming out

D’après les études de la docteure en sociologie, Salima Amari, le coming out dans les mouvements LGBTQIA+ occidentaux représente « un acte stratégique et normé de visibilité et de reconnaissance ».

Néanmoins, pour les personnes queers issues de l’immigration, cette injonction au coming out peut être vécue comme une pression supplémentaire. Hanane l’a éprouvée lorsqu’elle a commencé à fréquenter les milieux queers blancs de Paris : « Pour elles, c’était incompréhensible qu’on ne fasse pas de sortie de placard. Ça nous donnait l’impression de ne pas être des produits finis. »

Dans le pays de mes parents, c’est interdit et c’est passible de prison.

Nour complète : « La plupart d’entre nous ne peuvent pas être totalement out à cause de la famille, du pays d’origine, ou encore du quartier. Moi, si un jour je retourne en Algérie et que je dis que je suis lesbienne, je peux avoir des problèmes. » En tant que personne engagée politiquement, Nour a donc choisi de ne pas se révéler lesbienne mais plutôt comme militante contre les LGBT+phobies, « parce que dans le pays de mes parents, c’est interdit et c’est passible de prison ».

Si sa famille proche est au courant, sa famille au pays ne s’en doute pas :  « Je ne le dirai pas à la génération au-dessus, pour elleux c’est incompréhensible. Ma grand-mère a grandit dans un petit village en Algérie, pour elle il y avait deux genres et une orientation sexuelle et voilà c’est fini », rigole celle qui a également dû rompre avec une partie des gens de son quartier.

Franchir le pas : en parler à sa famille

Lorsqu’Hanane a rencontré des ami.e.s militant.e.s partageant la même situation qu’elle, elle s’est rendue compte que certaines familles issues de l’immigration étaient prêtes à accepter les identités queers. Encouragée par cette éventualité, elle a décidé d’en parler à ses proches, « frères, sœurs, cousins, cousines prêt.e.s à me soutenir, à mener la bataille avec moi ». 

 Je ne peux pas choisir entre être lesbienne ou être marocaine, je suis les deux et si je dois choisir entre un des deux, en vrai, je meurs.

Quelques temps plus tard, elle se décidera à en parler à son oncle et à sa tante qui représentent ses références parentales. « Ils ne comprennent pas vraiment, mais ils m’aiment et veulent mon bonheur », assure-t-elle.

Il y a un mois, Hanane finit par en parler à sa mère qui habite au bled. Elle lui écrit une lettre, la fait traduire par une membre du collectif et lui envoie par message vocal sur Whatsapp. En guise de conclusion, elle expose : « Je ne peux pas choisir entre être lesbienne ou être marocaine, je suis les deux et si je dois choisir entre un des deux, en vrai, je meurs ». 

« Un truc tacite entre nous » 

Myriam, la plus jeune des trois, n’a encore pas osé en parler à sa mère, « même si je pense qu’elle a déjà dû se poser des questions… » Encore une fois, son récit fait écho à celui d’Hanane. Elle raconte que son père a fini par arrêter de lui parler de mariage : « Il était souvent à Paris, il adorait ma compagne. Je ne saurai jamais s’il a capté, mais je me suis dit qu’il y avait un truc tacite entre nous ». 

Dans ses travaux, Salima Amari définit le tacite comme une alternative au coming out direct à l’occidentale. Une stratégie permettant de concilier lien familial et vie affective. Toutefois, Myriam « pense qu’au bout d’un moment [elle] sera obligée de leur dire, mais peut-être dans 10 ou 15 ans ».

Grâce à la force tirée du collectif, Hanane, Nour et Myriam se sentent en mesure de faire évoluer les mentalités. « En France, à l’époque, les mouvements LGBTQIA+ ont eu la capacité de faire bouger les lignes, pourquoi nous, on ne serait pas en mesure de favoriser ce changement au sein des communautés immigrées ? », questionne Hanane.

* Les prénoms ont été changés à la demande. 

Clémence Schilder

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