Cet après-midi, un homme de 38 ans s’est immolé dans les locaux de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à Montreuil. Son pronostic vital n’est pas engagé. Kevin Té s’était déplacé dans les locaux de cette institution, l’an dernier. Reportage.

9 Octobre, 10h30, Montreuil (93). Dans la grande salle d’attente au 1er étage de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), je suis assis parmi la vingtaine de personnes convoquées pour une audience devant une pincée de magistrats. Certains sont venus avec des proches, d’autres seuls. Le lieu est en perpétuel mouvement : il y a une quinzaine de salles et les audiences s’enchaînent. Une audience qui ressemble à un interrogatoire de police. Les questions des juges sont comme des moules dans lesquelles les réponses des requérants doivent venir se fondre au risque de mettre en doute la véracité de leur témoignage. Aucune place n’est laissée à la compassion. On a l’impression d’être dans une machine efficace et froide.

La Cnda est l’institution du dernier recours pour les demandeurs d’asile en France. La majorité de ces demandeurs ont déjà été reçus par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) qui est chargée d’appliquer les textes français et européens relatifs à la reconnaissance du statut de réfugié politique. C’est cet organisme qui généralement instruit en premier lieu les dossiers et rend une décision.

« Aujourd’hui, c’est mon dernier jour »

Dans la salle, je discute avec Thierno Diafarou. Il vient tout juste de sortir de son audience. Auparavant, il avait déposé son dossier à l’Ofpra peu après son arrivée sur le sol français en 2012, ce dernier lui a rendu une décision défavorable environ un an plus tard.Il n’a pas l’air anxieux et pourtant il me dit : « Aujourd’hui, c’est mon dernier jour. C’est comme si j’étais dans le coma. Je vais soit vivre soit mourir. » Thierno est originaire de Guinée Conakry. Son exil est la conséquence de son engagement politique. En effet, il a été accusé d’« être le meneur dans son quartier, de l’attaque contre le siège du RPG [Rassemblement du Peuple de Guinée], le parti au pouvoir ». Selon ses dires, son attaque contre une institution du parti au pouvoir lui a valu d’être envoyé en prison « à vie et sans procès ».

Thierno est peul. C’est l’ethnie majoritaire en Guinée Conakry suivie des Malinkés, l’ethnie du président actuel, Alpha Condé, chef du parti RPG. Thierno accuse ce dernier de pratiquer une politique ethnocentriste en plaçant des Malinkés à tous les postes importants du gouvernement (justice, défense, intérieur, …) et de marginaliser les Peuls en politique, mais aussi dans leurs professions. Cette discrimination ethnique, politique et économique vise clairement les Peuls selon lui, et tend à la persécution : arrestations arbitraires, rafles,  augmentation des taxes pour les commerçants du pays majoritairement Peuls. Le président élu veut les « dégager » du pays.

Malgré la validation du scrutin présidentiel de 2010 par la CENI (Commission électorale nationale indépendante) et de la Cour Suprême déclarant Alpha Condé vainqueur, Thierno Diafarou ainsi que de nombreux autres sympathisants de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), le principal parti de l’opposition, contestent ce résultat et crient au trucage, car au premier tour, Condé n’a réuni que 18,25% des voix contre 43,69% pour Cellou Dalein Diallo, chef de l’UFDG. Un autre Guinéen, assis à côté de Thierno, me montre un papier avec des résultats déclarant vainqueur Diallo.

« En Afrique, si tu ne tues pas, tu n’iras pas au pouvoir »

Thierno m’affirme que sous des airs de démocratie, la Guinée n’en est pas une tant au niveau électoral que dans le quotidien. « Sur fond d’alliance et de forces armées, voilà comment se construit le pouvoir ici », confie-t-il. Les opposants sont étroitement surveillés : « Tous les jours, il y a des rafles. L’armée s’introduit chez les habitants et fouille chez eux, à la recherche d’armes ou de pièces à charge. Et même si les militaires ne trouvent rien, ils vont voler ce qu’il y a chez toi et même violer femmes et filles » avant d’ajouter : « En Afrique, si tu ne tues pas, tu n’iras pas au pouvoir ».

Il raconte que quand il était en prison, parfois des militaires venaient sortir quelqu’un de cellule, et qu’il ne revoyait plus jamais cette personne. Lui, a réussi à s’échapper grâce à la complicité de son beau-frère qui était gardien de nuit, mais la condition sine qua non était de quitter le continent, car s’il était retrouvé en Afrique, il aurait été extradé vers son pays d’origine où l’attendait une mort certaine ainsi que pour son beau-frère. C’est ce dernier qui a payé « une forte somme à un homme d’affaires » pour que Thierno puisse quitter l’Afrique.

L’homme en question est venu le chercher chez lui avant de l’emmener à l’aéroport. Une fois là-bas, il lui a fourni un passeport avec visa et Thierno est monté dans le premier avion. Il ne savait même pas qu’il allait débarquer en France. Arrivé sur le territoire, il a passé deux jours aux Restos du Cœur Porte de la Villette et a dormi dans le métro. Puis, c’est une personne fréquentant les Restos du Cœur qui, après avoir écouté son histoire, l’a dirigé vers Coallia, une association d’aide et d’accompagnement social qui héberge notamment les demandeurs d’asile en CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile).

Si la Cnda rejette son recours, il ne lui reste plus grand-chose derrière. Il peut se pourvoir en cassation, mais la procédure est coûteuse et seules certaines questions juridiques comme le respect des règles de procédure et la correcte application du droit par le juge de l’asile sont analysées. La Cour européenne des droits de l’homme peut également être saisie, mais à condition que la France ait violé la Convention européenne des droits de l’homme. Inutile de dire que très peu de demandeurs d’asile vont jusqu’à cette dernière étape, la plupart se résignant à vivre dans la clandestinité.

Une justice implacable

Et c’est bien ce qui attend la majorité d’entre eux. En effet en 2012, sur un total de 61.468 demandeurs, 10.028 se sont vu attribués l’asile (source : Ofpra/Cnda). Mais cela ne les inquiètent pas. Ayant parlé à plusieurs migrants, tous ont répondu qu’ils préféraient mourir en France plutôt que de retourner dans leur pays. Thierno ne peut pas retourner en Guinée tant que la situation actuelle perdure. Sa famille a d’ailleurs fui « dans la brousse », en province tant l’insécurité à Conakry devenait insoutenable.

Dans quelques jours Thierno saura si sa demande d’asile est accepté. Son nom sera placardé aux côtés d’autres demandeurs, si un simple tableau et une page blanche. Lui, comme les autres, ont tout quitté, pour des raisons politique, de conflit, de religion, d’orientation sexuelle, qu’ils viennent d’Asie, d’Afrique ou d’Europe, ils se heurtent en France à une justice implacable qui part du principe qu’on ne peut pas accepter toute « la misère du monde ».

Pourtant « tout Homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République »  rappelle l’article 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, sans oublier la convention de Genève du 28 juillet 1951. Au-delà du cas de Thierno, c’est toute la politique migratoire française et européenne qui est questionnée, au moment où la situation des Roms, l’expulsion de Leonarda et le drame de Lampedusa…poussent les politiques à agir.

Kevin Té

Publié le 24 octobre 2013

Crédit photo : Amnesty International

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