Chameaux et lampes d’Aladin ont envahi les prospectus de la grande distribution : aucun doute possible, le mois de Ramadan est là. Célébré chaque année par plus de 5 millions de Français musulmans, ce pilier du calendrier islamique exige rigueur spirituelle et jeûne quotidien. Jusqu’au coucher du soleil où les plus chanceux se réunissent en famille autour d’un repas plus recherché que d’habitude. Pas étonnant donc que le Ramadan, à l’instar de Noël, dope chaque année l’économie française. Une manne financière non négligeable, profitant en premier lieu aux grandes enseignes.

Mais après l’inflation engendrée, directement ou indirectement, par la guerre en Ukraine depuis deux ans, c’est au tour d’une autre actualité tragique d’impacter les caddies des consommateurs musulmans. La guerre à Gaza, invitée surprise des repas de ftour (rupture du jeûne, NDLR), entraîne chez les familles sensibilisées une vigilance accrue quant à l’origine des produits consommés. Tout achat en lien avec l’économie israélienne est délibérément évité, soupçonné de financer l’occupation des territoires palestiniens, et par extension l’armée israélienne et son opération meurtrière dans la bande Gaza.

Les valeurs morales au premier plan

« Je pratique le boycott depuis plus de 10 ans. Avec mon conjoint, on fait très attention à ce que l’on achète et où on l’achète » explique Nesrine, enseignante dans les Hauts-de-France. « Notre garde-robe, notre banque, notre opérateur téléphonique, l’électro-ménager, l’informatique… Tout y passe », décrit-elle. Chaque dépense du foyer est surveillée. « C’est une pratique qui a porté ses fruits pour d’autres combats pour la liberté, en Inde, aux USA, en Afrique du Sud… Alors pourquoi pas pour la Palestine ? », brave la jeune femme, optimiste.

Durant le mois de Ramadan, elle redouble d’attention. Hors de question pour Nesrine qu’un produit à l’origine controversée ne vienne ternir les valeurs morales de ce moment. « Le jeûne du Ramadan a une signification particulière. Outre l’aspect spirituel, il nous questionne aussi sur notre rapport à l’alimentation, qui doit être éthique en permanence. » Parmi les aliments qui exigent selon elle une surveillance draconienne, la traditionnelle datte de rupture du jeûne arrive en tête.

« On ne peut pas toujours faire confiance aux enseignes. Certaines trompent leurs clients avec des faux affichages », dénonce la jeune femme. « Alors, je favorise les dattes authentiquement palestiniennes, achetées auprès d’associations spécialisées. »

Le boycott comme outil de mobilisation

La datte medjoul est la variété la plus cultivée sur les territoires palestiniens occupés illégalement, aux yeux du droit international, par Israël. Doctorante en droit international public, Insaf Rezagui analyse dans une série d’articles l’impunité de l’État israélien, malgré de décennies de contentieux et de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation des territoires palestiniens.

Dans la mesure où le droit international reste sans effet, le mouvement Boycott Désinvestissement Sanction (BDS), organisation internationale, encourage au boycott strict des produits issus des colonies depuis 2005. « La culture des dattes est l’activité agricole principale de près de 50 % des colonies illégales de la vallée du Jourdain », peut-on lire sur le site de l’organisation. « [Cette vallée] est la région la plus fertile de Palestine, mais à cause des restrictions d’accès, seule 4 % de la terre est cultivée par des Palestiniens et 86 % des terres agricoles sont confisquées par les colons Israéliens ».

La France a longtemps fait figure d’exception en condamnant l’appel au boycott des produits israéliens. Mais depuis 2020 et la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’appel au boycott n’est plus illégal en France, s’il est fondé sur des motifs militants.

Origines tronquées, les grandes enseignes pointées du doigt

Certaines marques sont accusées de contourner la campagne de boycott en affichant des fausses provenances sur leurs emballages. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos prises par des clients dans de grandes enseignes s’en indignent. Ainsi, les consommateurs du fruit en question, en large majorité musulmans, incitent à une veille rigoureuse de l’origine et la marque des dattes.

« Si vous ne pouvez pas identifier l’origine des dattes vendues dans la grande distribution, la probabilité que ce soit des dattes israéliennes est forte », prévient sur X (ex-Twitter) le site de défense des consommateurs musulmans Al Kanz. Ces dernières semaines, les vidéos dénonçant des origines erronées sur les affichages sont partagées par dizaines sur les réseaux. Après Carrefour, c’est au tour de Aldi, Lidl et Auchan d’éveiller la méfiance des clients, accusées de falsification des origines des avocats vendus au rayon frais.

« Si l’origine des produits frais non transformés tels que les dattes en vrac ou les avocats est manquante ou tronquée, et si l’intention est de tromper le client, on est dans la fraude caractérisée », assure Jean*, responsable dans la grande distribution. « L’origine des fruits et légumes doit toujours être inscrite en toutes lettres. »

Si ce n’est pas le cas, deux solutions s’offrent au client. « Dans un premier temps, il vaut mieux s’entretenir de manière posée avec le responsable en supposant qu’il s’agisse d’une simple erreur, ce qui est parfois le cas », tempère-t-il. « Sinon, il est toujours possible de dénoncer l’enseigne à la Répression des Fraudes (DGCCRF). »

Celle-ci s’expose alors à des peines allant d’un simple avertissement à de fortes amendes et des condamnations au tribunal pour pratique commerciale trompeuse. Pour Jean, le risque n’en vaut pas la peine. « Je le vois chez nous, les produits importés d’Israël ne se vendent pas autant que les autres », soutient-il. « Les clients qui revendiquent leur religion musulmane, et pas seulement eux, les évitent. Les ventes entre les avocats israéliens et les autres, par exemple, ne sont pas comparables. »

La technologie au service du boycott

Pour éviter aux consommateurs sensibles, entre autres, à la cause palestinienne, des entrepreneurs engagés proposent une solution pratique et rapide. Des applications dédiées informent rapidement les clients sur le poids éthique d’un produit. No Thanks, Belzamesh, ou encore une des plus populaires, Boycott X, permettent des achats en phase avec les choix moraux des clients. Cette dernière application vient d’ailleurs d’être suspendue par le système d’exploitation Android, selon Boycott X.

En un scan de code-barre sont révélés l’origine d’un aliment et son éventuelle présence sur une liste d’appel au boycott (issue de BDS ou d’autres associations, de défense de la condition animale ou de l’environnement).

D’autres entreprises innovent, elles aussi, et proposent des alternatives aux grandes marques ciblées par les militants pro-palestiniens. Pour les adeptes du grand verre de Coca Cola à l’heure du ftour, deux frères suédois ont lancé Palestine Cola. De quoi étancher sa soif sans entacher sa conscience.

Sofien Benkhelifa

*le nom a été modifié à la demande

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