L’annonce de l’extension de la déchéance de nationalité est inscrite dans le nouveau projet de loi qui sera présenté au Parlement en février prochain. Une mesure voulue par l’extrême droite et une partie de la droite, qui provoque une levée de boucliers à gauche.

Force est de constater que la binationalité arrangeait l’État Français quand il s’agissait pour les binationaux Français et Algériens de se rendre aux urnes et de voter massivement contre le GIA et contre le FIS, les deux branches terroristes qui ont sévi en Algérie au cours des années sombres. Leur vote massif a permis d’endiguer sur le long terme l’arrivée massive de terroristes sur le sol français.

La binationalité va devenir une arme à double tranchant. Il s’agit de se souvenir des Français qui affirment qu’ils ont toujours dit que la différence est une source de richesse, mais ce sont ceux-là même qui ne l’ont jamais fait. La binationalité arrange ou dérange le plus haut sommet de l’État français au gré du contexte national ou international. Les binationaux sont une cible de choix pour diviser le concept français de citoyenneté. Ce projet de loi se veut non seulement un vecteur de rassemblement des valeurs républicaines, mais aussi un moyen de diviser notre nation.

Une arme de propagande

En dépit de dissensions au sein de la gauche, le président François Hollande a finalement tranché mercredi 23 décembre pour le maintien de la déchéance de nationalité dans le cadre de son projet de révision constitutionnelle. Qu’en est-il concrètement ? La déchéance de nationalité ciblait uniquement les personnes ayant acquis la nationalité française en sus d’une condition sur la date des faits pointés du doigt par la justice : ceux-ci devaient s’être produits avant cette acquisition ou pendant les dix premières années de l’obtention de la nationalité française voire à 15 ans en matière de terrorisme.

Cette mesure va probablement produire des sous-catégories de citoyens : les binationaux dans la ligne de mire de cette future loi. Le droit du sol prime pour avoir la nationalité française. Or cette mesure pourra alimenter de fausses statistiques telles que celles qui portent sur l’origine des terroristes qui n’ont même jamais mis un pied dans leur pays d’origine. Leur pays d’origine est alors pointé du doigt pour affirmer haut et fort que ces terroristes sont de telle ou telle nationalité sauf de nationalité française. La France tourne le dos alors à une réalité : c’est de son sol que proviennent ces terroristes.

Les binationaux ciblé(e)s

Dorénavant, toutes les personnes binationales pourront se voir déchoir de la nationalité française à condition qu’elles soient condamnées définitivement pour atteinte aux intérêts de la nation ou pour terrorisme. François Hollande annonce que ce projet de loi inclut même les binationaux né(e)s en France devant le Congrès le 16 novembre 2015. La déchéance de nationalité demeurera néanmoins « une sanction lourde », comme l’a réitéré Manuel Valls dans son discours mercredi dernier. Seulement « six cas depuis 2012 » se sont présentés, a indiqué le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Ils sont plusieurs ministres du gouvernement à avoir sous-entendu ou déclaré, voire dans le cas de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, que la déchéance de nationalité pour les binationaux ne serait pas mentionnée dans le projet de réforme constitutionnelle, qui a pour but d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. Mais le président de la République a eu le dernier mot et il a rappelé que la dernière fois qu’il s’était déclaré publiquement sur la question, ce fut devant le Congrès réuni à Versailles au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Et il s’était engagé à appliquer ce projet de loi. Le texte du gouvernement fixe qu’ils doivent effectuer leur peine en France et qu’à l’issue de cette peine, ils seront déchus et expulsés. La réforme constitutionnelle sous réserve d’un examen début février à l’Assemblée sera votée par une majorité des trois cinquièmes du Parlement dont Hollande conspué par une majorité de gauche espère que la droite collabore.

Quid d’une « binationaux-phobie » ?

À l’échelle nationale, cette mesure peut être à l’origine d’actes mal intentionnés de la part de français qui ne s’entendent pas avec leurs concitoyens binationaux. Ergoter et se projeter dans toute sorte de scénarios tous plus improbables les uns que les autres n’est d’aucune utilité surtout lorsqu’on se rend compte que la délation entre voisins porte ses fruits gâtés en matière de lutte contre le terrorisme. N’oublions pas l’exemple de ce jeune converti atteint de cécité qui a eu l’envie de raser sa barbe et qui dénoncé par sa voisine, devait se rendre plusieurs fois par jour au commissariat dont les forces de l’ordre avaient mis à sac, sens dessus dessous, son appartement. Résultat : sa voisine le soupçonnait d’être un terroriste car il avait rasé sa barbe au lendemain des attentats du 13 novembre 2015.

L’avenir des binationaux sous le prisme d’un référendum

Napoléon III dessinait une politique d’assimilation dans les colonies. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le président de la République et son gouvernement avaient refusé l’acquisition de la nationalité française aux colonisés envoyés au front pour combattre les nazis et les fascistes. Les gouvernements et présidents successifs brassaient une politique d’intégration. Aujourd’hui, les binationaux ne sont plus un sujet de réflexion, mais un sujet de division au sein d’une majorité qui opte pour le silence : intégrer pour désagréger ? L’affaire porte à croire que résister à une telle mesure se profile dans les urnes si un référendum vient à voir le jour. Force est de constater un aveu d’échec cinglant depuis plus d’un siècle et demi déjà.

Après l’état d’urgence controversé par certains, cette mesure se veut plus que préventive. Elle se veut dissuasive dans un contexte de « guerre » déclarée par le président de la République qui avait pour engagement d’octroyer le droit de vote pour les « étrangers » en 2012. Comment enseigner aux futurs élèves binationaux que le simple adjectif « binational » peut devenir un couperet qui met fin à une existence en France ? Comment le leur enseigner avec le recul nécessaire pour que « binational » ne soit pas accolé au terme de « terroriste » et associé à cette déchéance de la nationalité programmée ? Des millions d’immigrés ont participé à la reconstruction du pays, ont participé à l’économie, paient des impôts et n’ont pas le droit de voter même aux élections locales : c’est ce qui illustre l’existence de citoyens de seconde zone. Une citoyenneté à double vitesse produit aussi une réelle cacophonie sur ce projet de loi.

Ouafia Djebien

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