Charles Rivkin a des ressorts supersoniques à la place des jambes. Des sortes de ressorts impensables ultra résistants qui permettent à l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique de faire des bonds de milliers de kilomètres, à la vitesse de la lumière ou du son. Rien qu’à sa fonction, on comprend : il est l’envoyé d’Obama. Un envoyé que le Président a comme projeté d’un coup de ressort au centre culturel Jean Houdremont de La Courneuve, vendredi après midi. « Je reviens il y a deux heures à peine de Washington. J’étais avec le Président Obama et le Président Sarkozy, mais je ne pouvais rater cette conversation pour rien au monde ».

A l’intérieur, les murs sont d’un bleu azur éclatant. Ils contrastent avec la grisaille et la froideur du dédale de la cité. A l’extérieur c’est une salle de danse. Les petits rats de l’Opéra n’auraient pas hésité un instant à s’étirer sur les barres parallèles. Mais Charles Rivkin n’est ni un petit rats de l’Opéra, ni même chorégraphe. Il est Ambassadeur américain à Paris, et ça n’a pas grand chose à voir. Quand il arrive dans la salle, il serre les mains de chacun. Sourit. « Nice to meet you » balance un lycéen. De quoi troubler le haut diplomate : «Oh, vous êtes américain ? ». Le gars, chamboulé et enchanté : « Euh … non ».

Et puis, il s’installe. Ils sont venus d’à côté, de la cité ou d’Aubervilliers pour le rencontrer. D’autres, du lycée Jacques Brel de La Courneuve. « Ouais, on est déjà allé dans son ambassade à Paris, mais on l’avait pas vu » dit un Terminale S. S’ils sont là, c’est pour parler d’ambitions, de voyages sur le grand continent, de projets financés, ou non, par l’ambassade américaine qui en soutient beaucoup. « Voilà, nous, on a un projet. On doit partir aux Etats-Unis dans le cadre de notre programme d’Histoire sur la Guerre Froide, pour visiter plusieurs villes » présente à Charles Rivkin, une élève de la délégation lycéenne. L’ambassadeur sourit. Il écoute. Tous parlent. « Nous, pour montrer toutes les compétences qui sommeillent en banlieue, on passe par l’image » présente un responsable associatif. L’ambassadeur exalte. « Oui, on sait que les banlieues sont une source de talents terribles » s’exclame-t-il.

Et l’homme contraste : « Sauf que nous, quand on veut faire un long-métrage policier, on nous dirige vers les budgets de la politique de la Ville et pas les budgets de la Culture … ». Et d’ajouter, sur sa lancée : « Et surtout, quand on fait un film ici, c’est jamais du cinéma, c’est, comme ils disent, un film de banlieue ». L’ambassadeur réfute, refuse, répond : « Pour nous, il n’y a pas de frontière entre Paris et sa banlieue. Elle est imaginaire ».

L’envoyé se laisse aller à une interrogation plus surprenante que surprise : « Si vous aviez des artistes américains que vous voudriez rencontrer, ce serait qui ? ». Aucun ne s’attendait à cela. Tous réfléchissent et les réponses fusent. Jaz-y, Will Smith, Public Ennemy, Whoopi Goldberg, Samuel L. Jackson, Bruce Willis. « Ah oui, il est encore populaire ici, Bruce Willis ? » demande l’ambassadeur. « On sait jamais, si on peut les faire venir … » lance-t-il. Nous, d’ailleurs, c’est Woody Allen (mais on n’a pas osé, histoire de tenir notre « professionnalisme professionnel »).

Même quand il est loin, à des kilomètres, à des vols d’oiseaux par millions, on parle de l’incontournable Président américain. Il s’appelle Barack Obama, et on parie que vous le saviez déjà. Il a des origines africaines, et ça aussi, vous avez dû l’entendre. Et il est Président. « Ça fait des années que je le connais » reconnaît cet ancien PDG d’une société de production d’animation et sauveur invétéré des Muppets au temps où il officiait à Disney. « Et déjà il y longtemps, il savait qu’il allait être Président. Il me disait : quand je serai président, tout le monde nous verra différemment ». Obama, comme un parieur que certains jugeait fou, a remporté la mise. Dayas, un des rappeurs que l’on a suivit dans son escale américaine et à la poursuite du même Obama, se lève. Chante. Sa voix résonne dans la salle ; sa voix porte. Les yeux rivés dans les siens, l’assemblée et l’ambassadeur applaudissent.

« Quand vous avez rencontré des étudiants new-yorkais, est-ce qu’ils connaissaient la France ? » happe Charles Rivkin. Et Dayas de répondre : « Oui, mais ils ne connaissaient pas les mauvais côtés de la France, comme la banlieue. » Et Apo d’ajouter : « Et ils pensaient pas qu’on était français, en nous voyant … » L’ambassadeur raconte : « Chez moi, c’est différent. Tu peux être africain, indien, mais tu es avant tout américain. »

« J’aime parler avec tous les français » dit Charles Rivkin, avant de se laisser à un mot d’espoir : « Je sais, et je suis sûr, que le prochain leader français est en banlieue ». On ose le croire, sans trop y croire. On le félicite, le congratule, lui demande une photo, une autre et une dernière. Un homme tempère : « On a parlé de la banlieue en surface et puis, la banlieue, ça peut être des coins comme Neuilly, La Défense … Faut pas faire d’amalgames. » Un lycéen se réjouit : « Il était ouvert et puis, il fait aucune distinction entre la banlieue et Paris. »

L’ambassadeur, entouré de ses guards qui veillent, s’en va plonger dans l’obscurité de la salle de spectacle, voisine à notre salle de danse. Pas la peine, pour quelques pas, d’actionner ses ressorts ultrasoniques … Il s’installe dans le théâtre. Des élèves débarquent par dizaines. Cette après-midi, à La Courneuve, ce sont des comédiens de la Nouvelle-Orléans qui jouent une comédie musicale, dans le cadre du Festival Banlieue Bleues. « Une comédie musicale de Broadway » lance Charles Rivking, à la tribune, avant le spectacle. Et puis, une douce fumée embaume la scène. Les lumières se tamisent. On est dans un bar, le serveur jongle avec les bouteilles, l’un fait des claquettes ; les voix resplendissent et les corps sont synchrones. « C’est les américains, hein ! » glisse un collégien.  

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

mehdi_et_badroudine

Articles liés

  • Langue(s) et origine(s) : « l’arabe et moi »

    Pourquoi en France un certain nombre de parents n'ont pas ou peu transmis leur langue maternelle à leurs enfants ? Pour tenter de répondre à cette question, nos blogueuses et nos blogueurs explorent leur histoire familiale. Ramdan nous parle, ici, de son rapport à l’arabe.

    Par Ramdan Bezine
    Le 02/06/2023
  • Ahmed : de prisonnier au Soudan à bénévole auprès des plus démunis à Paris

    Les sept vies d’Ahmed. On peut résumer ainsi le parcours semé d’embuches de ce réfugié soudanais en France depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il emploie une grande partie de son temps libre à aider les autres. Portrait d’un bénévole militant.

    Par Christiane Oyewo
    Le 01/06/2023
  • Jeux Olympiques, Grand Paris : sur les chantiers, « les profits avant les vies »

    Précarité du travail, négligence de la formation, recours massif à une main d’œuvre sous-traitante ou intérimaire… Sur les chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques, l’organisation du travail met en danger les ouvriers. À l’approche des JO, les cadences s’accélèrent et avec elles les risques encourus par les travailleurs. Matthieu Lépine, auteur de L’hécatombe invisible, revient pour le Bondy Blog sur les conditions de travail sur ces chantiers.

    Par Névil Gagnepain
    Le 25/05/2023