Le réalisateur de 37 ans, acteur et membre du collectif d’artistes Kourtrajmé, est venu nous parler de son dernier court-métrage intitulé « Les Misérables ». Une fiction, en lice pour les Césars 2018, qui raconte le baptême du feu d’un jeune policier qui vient d’intégrer la BAC en Seine-Saint-Denis et qui commet une bavure. Au programme de l’émission aussi : son rapport à la banlieue, son documentaire sur Clichy-Montfermeil lors des révoltes de 2005, ses collaborations avec le photographe JR, le long-métrage « À Voix Haute », qu’il a co-réalisé avec Stéphane de Freitas et nominé aux Césars 2018.

Extraits de l’interview de Ladj Ly :

Bondy Blog : Avant de connaître ton travail de réalisateur, je t’ai découvert grâce à une photo de l’artiste JR. Tu te tiens devant un immeuble, une caméra à la main. On croit d’abord que tu tiens une arme. Peux-tu nous parler de ce cliché ?

Ladj Ly : Pour moi, symboliquement, cette photo représente beaucoup. On me voit tenir ma caméra à la main en train de braquer l’objectif du photographe JR, avec qui je travaille depuis 15 ans. Souvent, on pense que c’est une arme alors que c’est une caméra. Et il y a des gamins derrière moi. La photo a fait le tour du monde, elle a été exposée dans des musées. Souvent, les gens pensent que la photo a été prise en Afrique, au Brésil… Alors qu’on est juste aux Bosquets, à Montfermeil.

Bondy Blog : Selon toi, la culture et le cinéma sont-ils des armes ?

Ladj Ly : Oui, complètement. C’est ce que raconte aussi cette photo. Je considère que la caméra, c’est mon arme. Ça va faire plus de 15 ans que je tourne avec, que je réalise des films. C’est une arme très puissante aujourd’hui qui permet de nous exprimer, de faire passer des messages.

Bondy Blog : Ton terrain de jeu, c’est la banlieue. Quels messages souhaites-tu transmettre à travers toutes tes œuvres ?

Ladj Ly : Déjà, c’est de sortir de tous les clichés. On parle souvent de la banlieue mais finalement les gens de l’extérieur ne connaissent pas la banlieue. (…) Mon travail consiste à montrer qu’il n’y a pas que des choses négatives. Dans la banlieue, il y a de la vie, de la jeunesse, il y a une énergie qui est incroyable, il y a des talents, il y a des gens qui réussissent dans les études, des gens qui réussissent dans tous les secteurs. J’essaye de faire des films pour montrer autre chose que ce que les médias ont l’habitude de nous faire voir aujourd’hui.

Bondy Blog : Dans tes films, tu traites de la misère sociale présente dans les banlieues et des violences policières. Ce sont deux thèmes que l’on retrouve dans ton dernier court-métrage « Les Misérables ». Un film qui est en lice pour les Césars 2018.

Ladj Ly : C’est un court-métrage de 15 minutes qui parle des violences policières dans les quartiers difficiles, en Seine-Saint-Denis. J’ai voulu faire un petit parallèle au roman de Victor Hugo car une partie de l’œuvre littéraire s’est déroulée à Montfermeil. Depuis tout petit, on nous parle des Misérables, on a baigné dans cette ambiance. Ce qu’il faut dire, c’est qu’un siècle après la misère n’a pas vraiment changé. Elle est toujours ancrée sur ce territoire et sur cette ville. J’ai aussi voulu parler des violences policières car pendant plusieurs années, j’ai fais des « copwatch » c’est-à-dire que je filmais les forces de l’ordre durant leurs interventions jusqu’au jour où j’ai filmé une bavure policière, en 2008. (…) C’est aussi le point de départ de mon court-métrage « Les Misérables ».

Bondy Blog : Dans ce film, on suit une équipe de la BAC dans une cité difficile de Seine-Saint-Denis. L’un des policiers, le débutant, commet une bavure. Le propos du film est-il de dire que les « misérables », ce sont à la fois les habitants des quartiers populaires et ces policiers qui y travaillent ? 

Ladj Ly : Je les mets tous dans le même groupe. Ce sont des gens qui vivent dans ces quartiers, les policiers n’y habitent pas certes, mais ils y travaillent 8-10 heures par jour durant plusieurs années. Donc, forcément, eux aussi font partie de cette misère. C’est pour cette raison que j’ai voulu me mettre dans la peau d’un policier pour raconter cette histoire. Ils arrivent dans des quartiers totalement abandonnés où il y a une misère sociale qui est très forte, où le taux de chômage est très élevé. La situation est vraiment chaotique et les seuls représentants de l’État aujourd’hui, ce sont les policiers. C’est à eux, entre guillemets, de gérer tous les problèmes et ce n’est pas évident.

Bondy Blog : Ta carrière a été faite de rencontres et de collaborations. Il y a notamment le collectif de vidéastes Kourtrajmé, créé en 1996, qui regroupe Kim Chapiron, Romain Gavras et Toumani Sangaré. L’histoire de Kourtrajmé, est-ce que c’est l’histoire de la débrouille ?

Ladj Ly : Kourtrajmé, c’est une bande de potes qui viennent de différents milieux sociaux. On se connait tous depuis qu’on a 10 ans. (…) C’est après avoir vu le film « La Haine » de Mathieu Kassovitch qu’on a décidé de monter le collectif. Les gens pensent que Kourtajmé, c’est une grosse boîte de production avec des moyens incroyables alors que non, on était une dizaine avec deux petites caméras numériques toutes pourries. C’est vraiment la débrouillardise du début à la fin. On avait pas de moyens, c’était surtout de la volonté de faire des films. Pendant dix ans, c’était de la débrouillardise, on appelait des potes pour se faire prêter une caméra, un micro, on allait les récupérer à l’autre bout de Paris. On ne le faisait pas pour l’argent mais parce qu’on kiffait ce qu’on faisait. C’était ça notre force ! C’est quand on n’a pas de moyens qu’on arrive à sortir les meilleures choses.

Kozi PASTAKIA

Crédit photo : Leïla KHOUIEL

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