C’était sa fête d’anniversaire. Et la dernière émission de la saison. Il y a des jours comme ça où tout se bouscule. Car en cette soirée de juin, Pascale Clark était aussi attendue pour une master class dans les locaux du Bondy blog. Et une Ecole du blog sur l’interview par la papesse du genre, ça avait de la gueule pour terminer ce premier semestre… Comme des écolières sages, des jeunes filles prennent place dès leur arrivée dans la grande salle de rédaction, pendant que les plus effrontées réservent le premier rang avec leur sac. Et peu importe, si elle est retardée par l’emploi du temps de cette folle journée. Son public attend Pascale Clark avec un mélange de patience résignée et d’excitation.

Puis elle débarque, relax et souriante, encadrée par deux gardes du corps à lunettes noires, Mehdi et Badrou, ses « kids » de chroniqueurs. La grande messe peut commencer. « Ah ouais quand même ! » sont ses premiers mots, une fois assise derrière l’autel de la conférence. Devant le côté solennel de l’assistance avec « petit doigt sur la couture », elle dédramatise et balance quelques répliques de prof sympa pour détendre l’atmosphère surchauffée par les premières chaleurs de l’été.

Elle déroule sa biographie. Professionnelle uniquement. De vraiment personnel, on ne saura rien. Où comment se raconter pendant deux heures, jouer le jeu des questions-réponses sans lever un minuscule coin du voile sur le jardin privé. Du grand art. Mais après tout, elle règne sur l’interview pas sur l’auto-fiction… Et avec son parcours, on voyage dans l’histoire de la radio française : les petites stations qui lui donnent sa chance, France Info où elle finit par s’ennuyer puis les « mastodontes » comme Europe 1. Elle y fera tout, même les points routiers de Rosny-sous-Bois avant de se voir proposer un morceau de choix : une revue de presse quotidienne de 10 minutes. « Pendant 3 ans, je me suis levée à 3 heures du mat’ tous les jours… J’avais même envisagé d’arrêter de fumer et puis non… » sourit-elle en secouant ses boucles châtains et châtains clairs.

Après, elle enchaîne avec les émissions cultes, Tam Tam sur France Inter ou En aparté sur Canal Plus. Mais des questions impatientes s’immiscent dans son récit. Les jeunes ne tiennent plus. Ils veulent tout savoir. Savoir pourquoi on ne voyait jamais son visage à la télévision. « Un jour, j’étais à Rome et des gens m’ont reconnue dans la rue… Ça m’a traumatisée.» A bien y réfléchir, aujourd’hui encore dans sa quotidienne sur France Inter, reconduite pour la saison 2012-2013, la caméra tourne mais sans elle. Les invités sont captés en plan fixe mais Pascale Clark n’est jamais visible. Seule sa voix enrobe la vidéo.

Imane, venue chercher des conseils, l’interpelle. Après une expérience à Beur FM, elle pige au Mouv’ mais déteste sa voix et manque encore un petit peu de confiance en elle. « Mais ça c’est normal ! Car avant de réécouter tes enregistrements, tu n’avais jamais pu entendre à quoi ressemble ta voix. Et puis à part fumer et boire pour la rendre plus rauque si c’est ce que tu cherches, tu ne pourras jamais la changer ! » Elle poursuit : « Mais pour gagner en assurance, le secret est de travailler sa voix en pratiquant beaucoup. Ton débit, tu le trouveras par l’écriture. Fais des phrases courtes ! Et au début, il faut beaucoup se réécouter. D’ailleurs quand tu fais de la radio, à qui tu parles ? »
Imane : « A mes auditeurs ?! »
Pascale Clark : « Tu les imagines ? Moi, je parle au micro…»

Faïza interrompt le ping pong imano-clarkien pour ajouter son grain de sel. Mais c’est pour mieux se confesser. « En Aparté m’a donné envie de devenir journaliste. Votre billet, c’était mon moment préféré, je le trouvais génial. Devant ma télé, je me disais « Je veux faire ça ! ». Vous étiez mon modèle avec Anne Sinclair mais elle, elle a mal fini ! » cingle la jeune reporter, pigiste au Monde. « Au fait, pourquoi pas la presse écrite ? » interroge Faïza. « Pour le direct ! ». Cette drogue que ne connaîtront jamais les journalistes de presse écrite…

Les questions fusent. L’auditoire connait ses émissions, Comme on nous parle ! bien sûr, mais aussi son interview de 7h50 sur France Inter. Il veut savoir le moindre secret de fabrication. Alors elle énumère sa méthode mais de remède miracle, elle n’en a point. Elle bosse, et beaucoup. « Je suis debout à 5 heures. Mais 5 heures, c’est déjà le matin. A 3 heures, c’était bien plus dur… Pour l’invité de 7h50, c’est l’actualité qui l’impose et il me faut pas moins de 3 heures de boulot pour tout préparer. Je travaille de chez moi l’après-midi aussi, sur Internet, j’essaie de trouver le plus de choses possible… »

Et « ses fameuses questions », comment les choisit-elle ? « Ce sont celles que je me pose sur l’invité. ». Suit le jeu du « c’était qui le plus de l’année…? » comme « Qui était le plus dur à interviewer ? » « C’est les politiques en général pour tenter d’obtenir des putains de réponses à mes questions ! ». « Et l’émission la plus glam ? » « Celle avec Peter Doherty ! » Comme elle répond du tac-o-tac, Nassira y va franco : « Vous gagnez combien ? » 250 euros brut par interview. Là aussi, ça tombe net.« J’ai la carte de presse » tient-elle à préciser. Car en tant que productrice indépendante de ses émissions, elle a du batailler ferme pour faire valoir son statut, mais elle l’a décroché son sésame, son badge Bleu Blanc Rouge de journaliste.

Pascale Clark arrive enfin au bout du face à faces mené par des dizaines de paires d’yeux braqués sur elle. Elle peut aller fumer sa clope tranquille rue Roger Salengro avant de venir croquer avec l’équipe du Bondy Blog quelques brins de salades de carottes ou de céleris en boîte. Elle semble goûter cette bonne franquette et la décontraction des blogueurs. Portable à la main, elle regarde les tweets balancés pendant la séance et s’empresse de suivre tous les abonnés présents à son compte Twitter. « C’est toi qui a twitté ça ? Attends, j’vais te follower !» Elle a l’air si cool, celle qui nous a révélé que sans le travail, le talent n’est rien. Celle dont les interviews ont l’air si faciles, et tellement naturelles mais qui sont le fruit d’années d’expérience et d’une préparation acharnée. Elle a l’air, mais si elle nous a conseillés, aidés et aiguillés pendant plus de deux heures, on ne sait toujours rien d’elle, de qui elle est vraiment au fond… Faire parler les autres sans se révéler pour mieux se protéger… Et si c’était celui-là son véritable talent ?

Sandrine Dionys

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