Les enseignants du collège Jean Zay de Bondy, qui avaient reçu la visite Jean-Marc Ayrault et Vincent Peillon en août dernier afin de saluer le dispositif de cours d’été, sont au bord de l’implosion. Un état des lieux alarmant qui ne protège ni les élèves, ni le personnel.

A l’heure où les revendications se font sur des grues, parfois nus, comment se faire entendre dans ce flot d’information spectacle ? « Porter un casque », c’est la méthode qu’ont adoptée, aujourd’hui, les professeurs du collège Jean Zay de Bondy pour dénoncer le manque de sécurité dans leur établissement. Ils ont choisi de manifester casqués devant l’inspection académique, « bien décidés à rendre public l’état déplorable de leur établissement. » Une dizaine de minutes d’attente en tenue de chantier, et les 42 professeurs, les 4 parents d’élèves et la CPE sont reçus par Jean Lhuissier, directeur académique adjoint.

« Nous sommes ici pour dénoncer un système hypocrite qui valorise les moyens mis à notre disposition alors que la réalité est toute autre », explique Fanette Mathiot, professeur de français au sein du collège Jean Zay. « La réalité de notre établissement, c’est l’absence de mixité sociale, l’incivilité quotidienne : des actes de violence envers les élèves et envers les professeurs, des agressions verbales, des bousculades, des vols de portable de professeurs, des menaces… », ajoute-t-elle.

« Des élèves qui poussent les limites »

Pendant plusieurs heures, la délégation expose les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour : « devons-nous admettre une recrudescence de croix gammées, des propos sexistes, des propos homophobes ? Est-ce qu’on peut accepter que les enfants noirs soient insultés toute la journée, que les enfants indiens soient insultés ? Doit-on tolérer les attouchements sexuels sur des élèves filles ? », s’interroge Thierry Noé, professeur d’histoire-géographie, et d’ajouter « c’est un combat républicain que nous menons aujourd’hui. Nous insistons bien là dessus, il est hors de question d’accepter ce type d’actes ! »

BBWidadZay2BBWidadZay2Du bout des lèvres, une enseignante raconte l’histoire d’une jeune fille, victime de violence sexuelle au sein de l’établissement, « l’année dernière un élève a forcé une fille à lui faire une fellation dans les toilettes, prenant le soin de tout filmer. L’élève n’a pas été exclu définitivement, ça n’a pas été considéré comme un viol et c’est la fille qui est partie du collège. Quelle image on donne aux élèves ? » Parmi les revendications des professeurs, figure le signalement systématique des faits d’ordre pénal aux autorités, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « Déclencher une alarme, ne pas apporter son cahier, ok, c’est de l’ordre du règlement intérieur, mais là, il s’agit de non dénonciation de fait pénaux, c’est grave », explique monsieur Noé. « Souvent les familles ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte parce que leur adresse figure sur le procès verbal, elles craignent des représailles. »

Les professeurs, estiment être confrontés aujourd’hui à un nouveau type de violence, à « des élèves qui poussent les limites, des jeunes qui ne respectent aucune règle, qui sont totalement insensibles aux sanctions » L’un d’entre eux raconte une anecdote pendant l’épisode neigeux il y a quelques semaines : « tous les jours, on nous envoyait des boules de neige au visage et sur la salle des profs. Une fois la neige partie, ils se sont mis à nous envoyer des œufs » Un professeur raconte que l’année passée, certains élèves s’amusaient à lancer des pétards dans l’école maternelle voisine.

Aujourd’hui leur nouveau jeu serait d’imbiber des mouchoirs de bombe lacrymogène et de les frotter sur les yeux de leurs camarades. Certains entrent dans l’établissement avec des couteaux ou des cutters. « La cité est rentrée dans le collège, et pas les bons côtés de la cité. Parfois, certains élèves nous disent que nous sommes chez eux ».

« En tant que parent d’élève, je voudrais que mes enfants puissent étudier dans des conditions normales, pas dans un sous-collège », explique un parent d’élève. « Je crois en l’école de la République, néanmoins, je ne vais pas sacrifier ma fille pour autant. Si elle revenait abîmée physiquement ou moralement, je la retirerais de ce collège. Je ne comprends pas comment on peut laisser un endroit se gangrener. On a une petite zone où on peut laisser se concentrer tous les problèmes, ce n’est pas normal. »

Pire que la gangrène, la peur s’installe auprès du corps professoral. « Est-il normal que des professeurs aient peur de traverser les couloirs ? Est-il normal que des professeurs se lèvent le matin en pleurant ? Est-il normal qu’il y ait eu autant d’arrêts maladie au mois de janvier en retour de vacances ? », interpelle l’une des enseignantes au fond de la salle. Des questions qui resteront, elles aussi, sans réponses.

Des classes surchargées

Tous s’accordent sur le même point : il n’est pas possible de travailler dans des classes de vingt-quatre ou vingt-cinq élèves, homogènes dans la difficulté. « Dans ces classes, on trouve une douzaine d’élèves décrocheurs, cinq ou six élèves violents, un élève autiste sans prise en charge, cinq ou six élèves anciens non francophones, et deux ou trois bons élèves qui n’osent plus travailler. Ça en fait des cohortes de sacrifiés ! », explique un professeur.

BBWidadZay3Ils souhaitent que la classe soit de nouveau sacralisée, et pour eux, cette sacralisation passe obligatoirement par une réduction des effectifs par classe : « dans les structures qui sont pensées pour les élèves en difficulté, on ne trouve pas plus de seize élèves par classe », explique Madame Mathiot. Pire, certaines salles de classes ne sont pas adaptées pour contenir plus de dix-neuf élèves. Lorsqu’un professeur de sciences évoque ce problème, la réponse du directeur adjoint est étonnante « prenez-en dix-neuf ! » Un cynisme qui passe mal.

Au-delà du nombre d’élèves, c’est toute l’hypocrisie du système de sectorisation que sont venus dénoncer aujourd’hui les professeurs : « nous avons deux écoles primaires de notre secteur qui refusent de nous envoyer leurs élèves, surtout leurs bons élèves. Dès qu’un élève a un niveau convenable, on lui déconseille formellement d’aller à Jean Zay. En revanche, on nous envoie tous les élèves en grande difficulté », ajoute-t-elle.

« Pourquoi on s’échange les élèves en difficulté ? Clichy-sous-Bois – Bondy Nord – Clichy-sous-Bois – Bondy Nord, voilà la règle. Pourtant entre les deux villes, il y a Livry Gargan, Le Raincy, Pavillon-sous-Bois, mais, eux, ne prennent jamais les élèves en difficulté, comment ça se fait ? » En effet, l’établissement qui se situe 20 points au-dessous de la moyenne aux évaluations de sixième fait fuir de nombreux bons élèves. « On récupère les élèves exclus des ERS (Etablissement-Réinsertion-Scolaire), pourquoi est-ce à nous de les accueillir ? Pour que l’ensemble des collèges de Bondy fonctionne, faut-il un collège poubelle ? », s’interroge un enseignant.

Pourtant, le collège Jean Zay avait été salué en août dernier lors d’une visite officielle de Jean Marc Ayrault et Vincent Peillon, pour son dispositif de cours pendant les vacances scolaires. On avait alors fait fî des nombreuses failles de l’établissement et de la difficulté d’enseigner dans un collège Eclair et Zep. Outre la violence, ce sont aussi les conditions matérielles indécentes que dénoncent les professeurs : « le CDI n’est pas chauffé, une paillasse d’environ 150kg a failli tomber sur des élèves, les rideaux ne sont plus utilisables », raconte un professeur.

Beaucoup de professeurs expérimentés ont d’ores et déjà demandé leur mutation pour l’année prochaine. « Je m’en vais dans un lycée plus calme, Vincennes, Saint-Mandé. Pas à cause des élèves mais à cause de l’institution », explique l’une des enseignantes présente depuis 15 ans au collège Jean Zay. « Que va devenir le collège Jean Zay ? », demande Fanette Mathiot.

Et si le directeur académique admet que le roulement des enseignants est un vrai problème, il ne semble pas en mesure de l’empêcher. Peu de solutions ont été trouvées aujourd’hui, pourtant les demandes étaient assez simples. Moins d’élèves par classe, trois surveillants en plus et la non suppression d’une classe de 6ème pour l’année prochaine. Face aux revendications des professeurs, ses réponses laissent peu d’espoir : « ce n’est pas à la direction départementale que l’on risque de trouver ces solutions. Je ne suis pas député, je ne suis qu’un simple fonctionnaire », explique Monsieur Lhuissier, et d’ajouter : « on ne peut pas vous accorder cette revendication en ce qui concerne les vingt élèves par classe, on n’en a pas les moyens. »

Fin de non recevoir donc pour la quarantaine de prof qui n’en restera pas là. « La seule chose que l’on va retenir, c’est qu’on nous maintient sciemment comme des parias de la république », conclue l’un d’entre eux. La délégation sera reçue vendredi 22 février au matin par Sylvine Thomassin, maire de Bondy et conseillère générale de Seine-Saint-Denis, casquée évidemment.

 

Widad Kefti

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