BEST-OF ÉTÉ 2013. L’Ecole du blog recevait le journaliste, correspondant, récemment mis en cause par le gouvernement Israélien, dans l’affaire Al-Dura, un palestinien de 12 ans mort dans les bras de son père, pendant la deuxième intifada.

Quand il arrive dans les locaux du Bondy blog « en avance comme toujours » selon son ami, le producteur Paul Rozenberg qui l’accompagne, Charles Enderlin semble transi de froid. De passage à Paris pour la sortie de son nouveau livre Au nom du temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967 – 2013), il redécouvre, en cette saison particulièrement glaciale, l’amplitude thermique qui le sépare de Jérusalem où il réside depuis des décennies. Déjà, un petit groupe est attroupé dans la cuisine, impatient de rencontrer « en chair et en os » celui qui apparaît dans la petite lucarne des JT de France2, chaque fois que l’actualité brûle au Proche-Orient et en Égypte.

La salle de rédaction aménagée en lieu de conférence s’est remplie pour cette masterclass de gala. Charles Enderlin pose ses deux téléphones portables devant lui et entame son biopic. C’est mai 68 et son destin journalistique qui l’empêchent de poursuivre des études de médecine. Membre du comité de grève à la Faculté de Nancy et empreint des pensées de Théodor Herzl, il décide de tout plaquer pour vivre son rêve communautaire dans un kibboutz en Israël. Mais sur place, il lui faut bien « gagner sa croûte ». Il fait ses premières piges pour une radio israélienne, puis travaille pour RMC. Autodidacte, il apprend en observant les autres.

« C’était l’époque bénie où les portables et les liaisons satellites n’existaient pas. On faisait notre sujet. Le rédacteur en chef ne savait pas ce qu’il contenait. Après, ça passait ou ça ne passait pas… ». Une autonomie et une liberté qu’il se remémore avec nostalgie. Après plusieurs années, il quitte la radio israélienne : « C’était comme si j’étais devenu un traître car la France ne donnait pas une image très sympathique d’Israël. Alors je suis allé voir France2. J’ai travaillé longtemps en CDD et en 1991, il m’ont intégré comme Grand Reporter ».

CEnderlinPortrait (2)CEnderlinPortrait (2)Au fur et à mesure du récit, Charles Enderlin passe de son histoire individuelle à celle du pays qu’il a fait sien dans les années 1970. Sa mère d’origine autrichienne comme ses grands-parents, des juifs fuyant l’Anschluss en 1938 en se réfugiant à Paris, furent sauvés par des justes dont des policiers français qui avaient confectionné des faux papiers pour eux. Son installation en Israël permet aussi au jeune journaliste de renouer avec ses racines maternelles.

Tel un livre ouvert, il nous feuillette le conflit israélo-palestinien : la guerre des 6 jours, celle du Kippour, raconte la mort du petit Mohammed Al-Dura jusqu’à la poussée du mouvement messianique dont l’une des victoires est la colonisation de la Cisjordanie où vivent désormais 350000 Israéliens. « Il n’y aura pas d’État palestinien si il n’y a pas d’accord en Cisjordanie et sur le Haram al Sharif, le troisième lieu saint musulman et le seul lieu saint du Judaïsme. Les musulmans n’accepteront jamais une souveraineté israélienne quelconque à cet endroit et les Israéliens n’y renonceront pas. »

Dans son discours, tout le monde en prend pour son grade dans la responsabilité sur la situation inextricable du Proche-Orient. Le gouvernement israélien mais aussi la ligue arabe, l’OLP, le Fatah et le Hamas. « Les dirigeants palestiniens, s’ils avaient une stratégie, ça se saurait ! Et puis on verra peut-être un jour la paix entre la Corée du nord et la Corée du sud mais il n’y aura probablement jamais la paix entre le Hamas et le Fatah ! ». Comme dans un précédent ouvrage paru en 2009, Le Grand Aveuglement, Israël et l’irrésistible ascension de l’Islam radical, il explique : « Les Israéliens n’ont rien compris jusqu’à ce que ça leur saute à la figure ! » ou comment Israël fut plus que complaisant avec l’islam radical… Ou comment Ariel Sharon s’entendait avec le Cheikh Yacine au point de lui offrir des maillots pour son équipe de foot, avant de voir l’accession du Hamas au pouvoir et l’instauration d’un état totalitaire et religieux à Gaza.

Évoquant la seconde Intifada (5000 morts côté palestinien, 1000 du côté israélien) qui plombe l’assistance, Charles Enderlin décrit à sa façon l’affaiblissement de la gauche israélienne : « Au moment des attentats suicides, on était avec mes amis dans une voiture et quelqu’un a dit : si on a un accident, c’est 50% de la gauche israélienne qui disparaît ! ».

Kahina l’interpelle sur les chocs post-traumatiques que subissent ceux qui vivent la guerre. « Quand on travaille dans ces conditions, il faut oublier qui on est et d’où on vient. C’est sûr, entrer dans un hôpital de Gaza et voir des dizaines de mômes morts ou blessés, ça secoue. Les attentats suicides, ça secoue. Quand on entend les explosions à Jérusalem-Ouest, on se demande « Où est l’épouse ? Où sont les gosses ? » Et puis quand on perd un proche à cause de la guerre, qu’on va à ses funérailles… C’est dur. Dans ces moments là, je refuse d’être filmé. Mais c’est dur des deux côtés… Moi, quand je travaille, je suis avant tout journaliste ! Ni Français, ni Israélien, ni Palestinien… », répond-t-il.

Mehdi le questionne aussi sur les risques de son métier. A force et avec le temps, n’est-il pas devenu parano ? « Non et quand on est journaliste, on n’a pas intérêt à être parano ! Et puis c’est une profession qui se transforme si rapidement… Du grand reportage, il y en a de moins en moins et aller « au casse-pipe », ça fini par être dangereux aussi… Si je peux vous donner un conseil, spécialisez-vous dans le journalisme scientifique, le droit ou l’économie par exemple… En apportant un savoir, là vous aurez des débouchés ! »

Hugo lui, veut connaître ses grands principes du journalisme. « Avoir une totale confiance dans ses infos les vérifier, les revérifier, et ne faire de cadeaux à personne ! Et puis revenez sur votre travail. Retournez voir les gens. Nous journalistes, sommes aussi des témoins. Les archives officielles sont manipulées. Or nous laissons des traces qui ne seront pas dans les archives officielles. » Une façon de dire que ses témoignages ont aussi une valeur historique, lui qui a participé bénévolement à la création de la première télévision palestinienne. Historique vraiment ? C’est ce que semble avoir jugé un étudiant aux Etat-Unis qui a rédigé sa thèse universitaire à partir des livres et très nombreux témoignages réalisés par Charles Enderlin en plus de 40 ans de carrière.

L’heure a tourné et le jeu des questions-réponses s’achève. Le clap de fin résonne sous les flashs et les fous-rires. Resteront dans nos propres archives quelques photos et dans les mémoires, un grand moment d’échange sur le journalisme et une leçon d’érudition sur le conflit israélo-arabe.

Sandrine Dionys

 

Le blog de Charles Enderlin

Publié le 20 mai 2013

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