« ET SI ON PASSAIT L’ETE EN ALGERIE ? » 2/4. Après 21 ans sans retourner en Algérie, Faïza, encouragée par ses proches, a opté pour un vol Paris-Alger. Premiers pas sur une terre pleines de promesses.

Après le casse-tête du consulat, je ne peux plus reculer. Je dois aller en Algérie pour étrenner mon passeport vert. Enfin si je trouve un billet Paris-Alger à un prix abordable. Tout le défi se situe dans ce dernier adjectif. Parcourir ces 1373 km à vol d’oiseau selon mon ami Google se négocie à prix d’or. En gros, il faut hypothéquer un rein pour se payer ce voyage. Huit cents euros, aller-retour quand même, me dit Air France. Ha, ha. Bizarrement à ce prix-là je préfère aller à Miami. Sur Air Algérie ce n’est pas mieux, la compagnie est complice du braquage estival des binationaux.

Finalement Aigle Azur fait mon bonheur. Enfin mon bonheur, presque. Mon découvert se trouve amputé de 330 euros tout de même. Plus ce projet de vacances se concrétise plus j’appréhende. Billet réservé, impossible de me défiler. Autour de moi, lorsque j’annonce que je pars après maintes péripéties plusieurs personnes me font cette réflexion « Fais attention au mariage forcé, faut pas qu’on te retrouve mariée à un barbu ». Moi je surenchéris en demandant à mes amis de choisir une belle photo de moi, quitte à la retoucher, pour mon comité de soutien.

Blague à part je me demande comment ce séjour va se dérouler et si le choc culturel, oui j’ose l’expression, ne va pas être trop violent. Ces peurs irrationnelles me stressent. Quand j’étais petite, l’une des questions qui m’a le plus marquée lors de ces étés algériens est « Est-ce que tu préfères la France ou l’Algérie ? » Pour moi la réponse est évidente. C’est la France qui m’a vue grandir et où je vis. Je mange français, je rêve en français, je parle français. La liste se décline à l’envi. Petite j’avais des gènes suisses (ou une tendance au mensonge c’est selon) et je répondais poliment que ce n’était pas pareil et que j’aimais autant les deux. Les enfants d’immigrés sont tous schizophrènes. À des degrés divers, mais quelqu’un qui s’appelle Michel Cheng ou Mehdi (comme tous les garçons maghrébins nés en France) devra forcément passer quelques heures chez le psy une fois dans sa vie.

Moi je trouve que ma schizophrénie je la gère assez bien. Je n’idéalise pas l’Algérie, mais je ne la renie pas. Je l’aborde et la découvre sous un angle culturel et historique. De manière froide, presque scientifique. Pourtant quelque chose d’impalpable me relie à cette terre. Quand je lis un article sur l’Algérie, je tressaille. J’ai aimé qu’on étudie (très peu) son histoire à l’école. Bref aujourd’hui à presque 30 ans, je pense avoir accepté le fait d’avoir une double culture et depuis peu une double nationalité. En France, on a un peu de mal avec ce concept. Contrairement à leur réputation, les Français préfèrent les relations monogames et ne plébiscitent pas le ménage à trois qu’ils auraient inventé. Moi j’aime bien faire des infidélités à la France. Je suis excitée de passer à l’acte même si cette fichue appréhension ne me quitte pas.

Parfois j’en viens même à imaginer que la blague de mes amis va se réaliser. Et que comme dans un mauvais téléfilm des années 90 je vais épouser Abdelhamid, un lointain cousin édenté de 48 ans. Bien sûr on m’aura retiré mon passeport et je me vois devoir fuir au cybercafé pour alerter par mail mes amis qui viendront me chercher. Puis j’irai ensuite militer à Ni putes ni soumises, et écrire mon livre comme Jeannette Bougrab dans lequel je dénoncerai les sauvages qui pratiquent ces mariages forcés. Je m’emballe un peu là. Même dans ce scénario bidon je me demande s’ils ont internet au bled. Oui j’ai un peu honte je pense comme une touriste à l’esprit étriqué pleine de préjugés. Je me suis même demandée ce que j’allais bien pouvoir manger et si je ne ferais pas mieux d’aller chez le docteur pour obtenir une ordonnance prophylactique de médicaments anti-paludéen par exemple. Alors que je sais pertinemment qu’il n’y a pas de paludisme en Algérie. Ebola ? Non plus. On est loin de l’idée bien ancrée selon laquelle les enfants d’immigrés, ces ingrats profiteurs des avantages de la France comme disent les supporters du FN, idéalisent « le bled ».

Moi j’ai décidé de concentrer toutes mes peurs sur le douanier algérien. Je vous explique, j’ai souffert pour obtenir mon passeport algérien. N’importe qui aurait abandonné et aurait opté pour le visa. Mais moi je suis masochiste et peureuse. Des légendes urbaines circulent depuis toujours sur le passage à la douane en Algérie. Une telle se serait vue reprocher le fait de ne pas être venue depuis 2 ans. Un autre accusé d’être un traître, car il aurait présenté un passeport rouge et un visa. Tous auraient eu droit à une leçon de morale patriotique et un rappel historique détaillé sur les relations franco-algériennes. Moi je ne veux pas être affublée de la lettre écarlate et désignée comme une traîtresse. Je culpabilise pour la colonisation, je me sens responsable alors que je n’ai rien fait.

Ma famille a même des combattants dans ses rangs, morts pendant la guerre d’Algérie. Je me cherche un brevet d’algérianité. D’autant qu’avec mes 21 ans de désertion je risquerais de prendre perpète. Je ne veux pas déplaire au douanier algérien que j’imagine moustachu et obèse rapport aux pots-de-vin dont il se gave. Je suis prête à brader mon éthique et à lui donner un bakchich pour qu’il mette une croix à la craie sur ma valise. Oui je suis Hibernatus, je crois que nous sommes encore en 1988. Ce n’est qu’à Orly qu’une amie me fait réaliser que ça fait 21 ans que je n’ai pas vu ma famille et que cela risque d’être émouvant. J’oublie momentanément le douanier algérien pour me concentrer sur le vrai enjeu. À l’atterrissage, je respire un grand coup. La confrontation arrive. C’est un pétard mouillé. La douanière est très sympa, n’a pas de moustache ni de gros ventre. Elle me parle en français et s’en fiche de ma vie en réalité. Elle tamponne mon passeport en 30 secondes et me souhaite la bienvenue à Alger.

Algerie2Algerie2Tout ça pour ça. Ma première image de l’Algérie, c’est son drapeau. Ça me fait rire, car en France le drapeau algérien et son omniprésence lors d’événements divers comme un match de foot, l’élection d’Obama ou l’expédition lunaire est devenu une blague. Et je ressens cette chaleur crue, âpre sur ma peau. Durant l’heure de voiture nécessaire pour rejoindre la maison de mon enfance, je me rends compte que je ne reconnais rien. Il faut savoir que c’est normal, car l’Algérie a la passion des travaux publics. Tout est toujours en chantier et les Algériens passent leur temps à construire des routes et des autoroutes. Celui qui veut être élu président en Algérie doit promettre plein de travaux. La lutte contre la cherté des produits, le chômage, la corruption et le terrorisme ça peut attendre. Pas besoin d’avoir fait l’ENA, mieux vaut avoir fait du BTP.

Blague à part ça a vraiment changé. Sauf les trottoirs rouge et blanc. Et les arbres peints en blanc. Si quelqu’un sait pourquoi… Le village ne ressemble plus trop à mes souvenirs, c’en est presque décevant. Tout le monde a grandi et vieilli. La famille est rassurée, je baragouine quelques mots en arabe, je comprends presque tout ce qu’ils me disent et surtout je suis habillée décemment. Eux aussi sont bourrés de clichés sur nous « les immigrés » et certains ont eu peur que je n’arrive vêtue, ou plutôt dévêtue comme Rihanna, en micro-short et micro-débardeur. Ma jupe longue et ma chemise me préservent de tout babillage inutile et leçons de morale religieuse.

Algérie3Parmi mes interrogations de déserteuse, il y avait bien entendu la religion. La touriste à l’esprit fermé tapie dans mon cerveau a récidivé. Je m’imaginais qu’on allait m’emmener à la mosquée 5 fois par jour et m’obliger à porter le voile. Encore une fois, comme pour la fille de la douane, ma famille ne m’a pas calculé là-dessus et à part une ou deux questions je n’ai pas eu droit au jugement sur l’insuffisance de ma pratique religieuse. Bien sûr dans le village, toutes les femmes ou presque sont voilées. Question de tradition. Mais je ne relève aucun regard désapprobateur sur mon passage. À Alger plus de femmes cheminent tête nue, je me sens moins seule. Les plus âgées portent pour certaines le haïk, ce voile blanc traditionnel. Comme dans mes livres.

Aujourd’hui la capitale n’est plus le seul centre névralgique du pays. Je me suis rapidement adaptée à la vie quotidienne algérienne à quelques détails près. Le matin quand l’eau courante arrive j’aide à remplir les bidons et autres seaux nécessaires pour tenir jusqu’au lendemain. Bien sûr cette eau je ne la bois pas je ne consomme que de l’eau en bouteille. Ma famille est pleine d’égards envers moi. Lorsque je m’assois par terre par exemple tout le monde se presse pour m’apporter une chaise que je refuse. Ils s’imaginent que je suis une précieuse habituée au confort 5 étoiles. Même stupéfaction quand ils m’ont vu une serpillière à la main. Hey oh je ne suis pas Kate Middleton détendez-vous. Entre nous si j’avais voulu le luxe absolu je serais descendue au Sofitel d’Alger, ce qui m’aurait évité d’être réveillée à 4 h ou 5 heures du matin par le coq dans le jardin. Mais je m’adapte. Enfin presque.

Je rêve de manger des compotes et des céréales. Et tout ce qu’ils ont à la supérette (en français dans le texte hein) du village ce sont des ersatz chimiques de Miel Pops, les boules jaunes au miel transgénique. Je ne suis pas suicidaire je n’avalerai jamais cela. Direction Blida et son Family shop. Family shop c’est une sorte d’Auchan (avec même un distributeur de billets Société Générale) ou Carrefour avec des produits algériens et des produits importés. Scandaleusement onéreux pour l’Algérien lambda, mais pour nous les immigrés les prix sont normaux ou presque.

Algérie1Même si là-bas ils imaginent qu’on est milliardaire et qu’on peut dépenser le PIB du Botswana en 1h je trouve que les Kinder à 620 dinars ou mes céréales au blé complet à 450 dinars (oui je suis une bobo je sais) c’est un peu du racket digne d’Air Algérie. Même si le cours du dinar, surtout au marché noir, est avantageux (1 euro = 140 dinars). Enfin je dis ça, mais je ne comprends rien au taux de change d’autant que les gens trouvent ça cool de parler en anciens dinars. On me parle de choses valant 150 000 dinars, j’ai l’impression de jouer au Monopoly. Mon grand-père est sympa il ne veut pas me laisser en galère et me convertit tous les prix en… francs. Allez, passez tous à l’euro s’il vous plaît comme ça je ne resterai pas comme une godiche pendant 10 minutes devant le distributeur de la Société Générale ne sachant combien retirer.

Pendant ma visite au pays du capitalisme algérien je suis surtout surprise de voir un rayon entier consacré aux produits sans gluten pour les intolérants, ainsi que de multiples aliments pour les diabétiques, la maladie qui touche toute l’Algérie. Merci les sodas surdosés en sucre. Et oui j’en étais restée à l’image du pays socialiste à économie planifiée, sujet à la pénurie et proposant des produits alimentaires à la qualité gustative discutable. C’est fini, tout ce qui se trouve en France, existe en Algérie ou presque. À condition de pouvoir se l’offrir. D’ailleurs là-bas le bio n’est pas un argument de vente tout est bio. Les légumes ne sont pas traités ils sont donc parfois difformes, beaucoup moins brillants et calibrés que chez nous.

Enfin la déception ultime reste le peu de demandes en mariage que j’ai reçues. Remboursez ! Pour tout avouer, je n’en ai eu qu’une seule. Et encore on ne peut même pas la prendre au sérieux vu que celui qui l’a vaguement formulée était sous l’emprise de la drogue. Et moi qui comptais sur les blédards au désir de fuite pour regonfler mon ego je me suis trompée. Visiblement les cousins ont envie de venir en France à la régulière avec un visa en bonne et due forme. Peut-être que, eux aussi, ils ont peur du douanier français.

Faïza Zerouala

 

Episode précédent : Le bled retrouvé

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