Depuis le départ de Ben Ali, en janvier 2011, le pays peine à trouver un équilibre. L’assassinat en juillet dernier du député Mohamed Brahmi, a plongé la Tunisie dans une grave crise politique, à laquelle s’ajoute le chômage, qui dépasse les 16%. Autant d’éléments qui participe au sentiment d’insécurité. Récit.

En août dernier, j’ai revu ma tante Khalija, venue de Tunis pour célébrer le mariage de ma cousine à Gabes, au sud de la Tunisie. Lors de la soirée, tout le monde rigole, le dance floor est plein à craquer, les femmes font des youyous, les enfants courent partout et les hommes papotent et boivent du thé entre eux. Pourtant je remarque le regard évasif de ma tante. J’essaye alors de me rapprocher d’elle pour savoir ce qui la préoccupe. J’ai dû remuer ciel et terre pour qu’elle crache enfin le morceau.

« C’était en fait, durant la dernière semaine du mois de ramadan, me révèle-t-elle, quelques jours avant la fête de la Aid, j’étais partie après mon travail, au bureau de poste, retirer de l’argent. En sortant, deux jeunes ont couru vers moi et m’ont arraché mon sac à main et se sont sauvés aussi rapidement qu’ils étaient venus. À ce moment-là, je suis passée par beaucoup de sentiments : peur, colère, rage, tristesse, humiliation… Car cela s’est produit en public. Il y avait beaucoup de témoins autour de moi, mais personne n’est venu me porter secours. Il y avait toute ma vie dans ce sac, mes papiers d’identité, ma carte bancaire, mes clés, mon portable et surtout l’argent que je venais de retirer, l’équivalent de 500 euros. Je suis donc partie porter plainte, en pleurant. Les policiers ont eu l’immense gentillesse, poursuit-elle ironiquement, de me demander si je voulais ou non faire une patrouille avec eux. On aurait dit qu’ils avaient eu à traiter ce genre de cas plusieurs fois dans la journée. Nous avons donc fait le tour, mais impossible de mettre la main sur les voleurs, c’était trop tard ».

Je lui demande alors s’il lui arrivait, tout de même, de se sentir en sécurité avant que ce vol se produise. Elle m’a jeté un regard… Le genre de regard qu’un professeur vous lance lorsque vous lui posez une question bête ? Eh bien je suis presque sûr que c’était ce regard là. « Tunis, n’est plus du tout sûre ! Tout le monde vole. Ce n’est plus possible de garder un téléphone à la main. Quant à ces braves forces de l’ordre, elles ne s’occupent que de la circulation et non pas de la sécurité des habitants. Les policiers sont plantés là sur la route, à faire des signes ou arrêter les gens à tort juste dans le but de dégoter un petit pourboire. Ils ne sont pas présents, en tout cas moi, je ne sens pas du tout leur présence, et les voleurs non plus. C’est pour cela que les vols à Tunis sont de plus en plus fréquents. Le jour où je me suis fait voler mon sac, les policiers m’ont seulement donné une feuille précisant que j’avais perdu mes papiers d’identité et m’ont dit de rentrer chez moi. Ils n’en avait rien à faire de moi et de ce qui venait de m’arriver. Ils étaient plutôt pressés que je m’en aille pour les laisser mener leur activité favorite : la paresse. Tu les sens blasés de cette situation en Tunisie, du fait que rien ne bouge, rien de ne change. À l’époque de Ben Ali, il y avait des vols, certes, mais pas à ce point là ! Les gens avaient un minimum peur de la police et de la prison surtout. Et puis il y avait à n’importe quelle heure des patrouilles de police qui circulaient dans toute la ville. Et à cause de tout cela, beaucoup aimeraient que Ben Ali revienne et moi j’en fais partie ».

Deux amis de ma tante, habitant Tunis aussi, décident de prendre la parole. « Dans les transports, c’est pareil, les voleurs sont même armés de lames de rasoir qu’ils cachent dans leurs vêtements. Beaucoup de femmes ne prennent plus de sac à main, elles optent plutôt pour des sacs en plastique… Des sacs en plastique, tu te rends compte ! Super comme look tu ne trouves pas ? », dit-elle en riant. Mais j’arrive tout de même à ressentir leur consternation. Puis elles continuent : « Quant à leurs objets personnels, elles le cache dans leur soutien-gorge. Tu sais, tout ce qui est téléphone portable, argent … Moi, je préfère dorénavant prendre le taxi, ça me coûte plus cher malheureusement, mais au moins je suis en sécurité ».

L’autre amie prend la parole : « J’ai une copine qui a été agressée et à qui ont a volé son sac. Le voleur lui a entaillé la joue avec une lame de rasoir. Mais le plus choquant, c’est que le wagon était bondé d’hommes, mais personne, absolument personne n’a réagi. De vrais hommes prêts à vous secourir quand il le faut, il n’en existe plus ici, ils ont tous peur. Il ne te reste plus que tes larmes pour pleurer sur ton sort. C’est vraiment triste, car ce sont souvent des jeunes qui volent, probablement au chômage depuis longtemps, sans espoir de trouver un travail un jour. Chacun exprime sa colère contre le régime à sa manière. Les policiers arrêtent de faire leur travail et les jeunes volent. Voilà ce qu’est la Tunisie d’aujourd’hui ».

Pour en savoir plus sur cette situation, je prends contact avec Mabrouk, la quarantaine, qui est un policier en poste à Djerba, mais habitant à Gabes. Je lui demande son avis sur la compétence des policiers à Tunis, une ville qu’il connait parfaitement pour y avoir travailler plusieurs fois. « La police fait très bien son travail, je ne doute pas de sa compétence. Il ne faut pas prendre au premier degré tout ce que racontent les médias. Ils en font un peu trop à mon goût. Il y a, par moment, des mouvements sociaux qui ne durent qu’une heure et eux ils veulent nous faire croire que ça dure des semaines ».

Je lui raconte alors tout ce que ma tante et ses amies m’ont raconté, et à nouveau, lui demande son avis sur le sujet. Et là, changement de ton, son visage n’est plus le même et son regard non plus. « C’est vrai qu’on est blasé, m’avoue-t-il. On aimerait bien nous aussi pouvoir manifester, mais cela nous est interdit… Il y a tellement de raisons qui expliquent notre mécontentent… Notre salaire, par exemple, n’a pas beaucoup changé depuis Ben Ali. À la fin de la révolution, les militaires ont reçu une prime alors que nous nada. Entre l’essence, la réparation de la voiture, les courses et le loyer, il ne reste plus rien à la fin du mois. Et c’est très difficile quand on est père de famille et qui plus est, le seul qui possède un emploi, c’est mon cas aujourd’hui. Alors, je comprends que ça puisse démoraliser certains… Je suis malheureusement très pessimiste sur l’avenir de la Tunisie. J’ai l’impression que nous marchons à reculons. La majorité du peuple veut un changement de régime, ok très bien, mais changement contre qui ? On tue tous ceux qui sont aptes à bien gouverner le pays. Il n’y a plus aucune personne politique qui m’inspire encore confiance. Plus les gens en auront marre et plus l’insécurité s’accentuera. Il suffit de voir à quel point il est devenu simple de trouver, par exemple, un passeur, alors que les sanctions sont de plus en plus lourdes…».

«Voilà ce qu’est la Tunisie d’aujourd’hui », me disait l’amie de ma tante … Un pays touché par la pénurie, l’inflation, le chômage et l’insécurité. Un pays qui autrefois à donné le courage  de se révolter contre l’injustice à des millions de personnes dans le monde arabe et ailleurs. A présent le pays ne suscite plus les mêmes espoirs pour les Tunisiens eux-mêmes.

Yamina Jarboua

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