Panels, manifestations, meetings : la diaspora sénégalaise en France, la plus importante dans le monde, s’organise depuis déjà plusieurs mois. L’annonce de la nouvelle date du scrutin le 6 mars a naturellement renforcé la mobilisation des Sénégalais établis dans l’Hexagone. Quelque 81 000 Sénégalais sont inscrits sur les listes électorales sur les 200 000 établis en France avec titre de séjour, sans compter les personnes sans papiers et les binationaux.

Une élection qui se déroule dans un contexte singulier. Le Sénégal a été en proie à une crise politique majeure provoquée par l’annulation puis le report de l’élection présidentielle. Le 3 février dernier, Macky Sall, le président sénégalais au pouvoir depuis douze ans, annonce le report du scrutin sine die, déclenchant un vaste mouvement de protestation.

Cette crise électorale a trouvé une issue suite à une décision du Conseil constitutionnel. Cette dernière a contraint le chef de l’État à fixer une date pour la tenue de l’élection avant la fin du mandat du président, le 2 avril. Le premier tour aura donc lieu, le dimanche 24 mars, et le second, le dimanche 31 mars.

Dix-neuf candidats sont en lice pour l’élection, mais parmi eux, deux personnalités sont données favoris : Amadou Ba, l’actuel Premier ministre, et Bassirou Diomaye Faye, représentant de l’opposition.

Ousmane Sonko et son candidat, premiers opposants à Macky Sall

Ousmane Sonko est le principal opposant au président Macky Sall et le fondateur du parti les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité (PASTEF). Sa candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel à l’issue d’affaires judiciaires qualifiées de « complot » par l’opposant. C’est donc son candidat désigné, Bassirou Diomaye Faye, qui représentera le PASTEF pour l’élection à la fonction suprême. Ce parti antisystème qui se réclame du panafricanisme compte des partisans, parmi lesquels beaucoup de jeunes, qui avaient manifesté pour exiger sa libération, jugeant cette arrestation « arbitraire ».  Des manifestations qui avaient été durement réprimées.

Selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la moitié de la population Sénégalaise avait moins de 19 ans en 2023. Une jeunesse sans perspective qui fuit massivement vers l’Europe et l’Amérique du Nord avec l’espoir de trouver un avenir meilleur. En 2023, près de 40 000 migrants, dont 60 % de Sénégalais, sont arrivés aux Îles Canaries en Espagne, territoire européen le plus proche des côtes sénégalaises, d’après El País. En parallèle, près 6 600 personnes ont perdu la vie en tentant ce même périple, d’après l’ONG Camino Sin Fronteras pour Infomigrants.

Malgré plusieurs arrestations pour « corruption de la jeunesse » ou « trouble à l’ordre public », Ousmane Sonko, 49 ans, est parvenu à se faire le porte-voix de cette jeunesse à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières du pays. En 2020, environ 700 000 émigrés sénégalais vivaient dans l’ensemble du monde selon l’OCDE, dont une grande partie en Europe (France, Italie, Espagne).

Rassemblement organisé par la PASTEF France sur la place de la République (Paris), le 16 mars 2024. ©DarioNadal

L’élection vue depuis la France

« En tant que diaspora sénégalaise, on veut un changement total pour notre pays », déclare Fatima, qui vit en France depuis 22 ans. « Sonko, il défend tout le Sénégal, y compris la diaspora. La jeunesse n’a pas d’emploi, donc on est obligés de s’expatrier, alors qu’on a beaucoup de ressources. » Habitante de Noisy-le-Sec dans le 93, elle a enfilé son maillot des Lions de la Téranga pour participer à une manifestation organisée à Paris par la section française du PASTEF, le parti du candidat Diomaye Faye.

« Toutes nos ressources sont pillées, on est devenu plus pauvres depuis que Macky Sall est président », estime Maj Buur Ngalam, cheffe de partie dans un restaurant parisien depuis cinq ans. Originaire de Dakar, elle dit avoir soutenu auparavant l’Alliance pour la République ou APR, le parti du président actuel. Le pays est connu pour ses 700 km de côtes réputées très poissonneuses. Mais la présence massive de navires de pêche industrielle depuis 2014, année de signature d’accords avec l’Union européenne, a fortement impacté la pêche artisanale locale.

Cet « accaparement » des ressources par des grandes firmes internationales est un argument phare du PASTEF qui prône notamment un éloignement de la France et réclame la fin du Franc CFA.

« Depuis Sonko, les jeunes ont commencé à s’intéresser à la politique »

Birane Niang est le coordinateur du PASTEF dans le 93. Il explique avoir été le premier du département en 2016, contre 700 adhérents aujourd’hui. Sweat et casquette floqué « Diomaye Président 2024 », il scande : « Souveraineté, séparation des pouvoirs, État de droit, tels sont les objectifs de Sonko ». Birane Niang se réjouit d’une politisation de la jeunesse. « Depuis Sonko, les jeunes ont commencé à s’intéresser à la politique. Mes enfants nés ici iront voter quand même, il faut que les parents convainquent leurs enfants d’y aller. »

Pendant ses 12 ans de mandat, la politique du président Sall a consisté à investir massivement dans les infrastructures publiques du pays. L’inauguration du TER (Train Express Régional), sorte de RER moderne qui relie Dakar à sa banlieue, en est l’exemple phare. Mais d’après le Docteur Bamba Diagne, enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, interviewé par France 24, le taux de chômage est passé de « 12 % en 2012 à environ 23 % aujourd’hui (…) L’humain, c’est ce qui est absent dans le bilan du président Macky Sall », affirme-t-il.

Abdoulaye Ba, délégué de la Coordination des Sans-Papiers 75 (CSP75). ©DarioNadal

 « Au début, Sonko avait de belles idées, mais après, j’ai reculé. J’ai compris qu’il n’était intéressé que par le pouvoir »

Abdoulaye Ba, délégué de la Coordination des Sans-Papiers 75 (CSP75) n’est pas du même avis. « Sonko tient des discours populistes, la rupture avec la France ne règlera pas tous les problèmes. Ce qu’il veut faire, c’est semer le chaos, déstabiliser le pays. Il appelle à la violence et ne porte aucune solution rationnelle. Ce n’est pas rassurant. », déclare-t-il.

Depuis l’annonce de la date du scrutin, il explique s’être mobilisé « nuit et jour » sur les réseaux, participant à des débats en ligne après le travail. « Beaucoup veulent voter Sonko autour de moi, je respecte leur choix. » Arrivé en France en 2017 et régularisé en 2019, il milite depuis pour défendre ses camarades sans papiers « qui se cachent et vivent dans la peur en permanence ».

« En 2019, j’ai milité pour le PASTEF à Paris. Au début, Sonko avait de belles idées, mais après, j’ai reculé. J’ai compris qu’il n’était intéressé que par le pouvoir », retrace Abdoulaye Ba. Il explique soutenir Amadou Ba, le candidat du parti présidentiel, mais tient à garder une liberté d’esprit. « Moi, je suis libre, si le gouvernement fait quelque chose de bien, je prends, et pareil pour l’opposition. » Abdoulaye Ba avait prévu de se rendre au Sénégal pour l’élection initialement prévue le 25 février dernier et ne pourra pas voter dimanche, n’étant pas inscrit sur les listes électorales d’expatriés.

Les inscriptions sur les listes électorales sont un sujet à en croire Mariana Dieng, secrétaire générale du Haut Commissariat des Diasporas Africaines de France (HCDAF) et soutien du PASTEF. Cette dernière accuse le gouvernement de vouloir « tout faire » pour « saboter » les élections. « Normalement, on devait avoir six mois pour s’inscrire sur les listes, mais on a eu qu’un mois. C’est du jamais vu au Sénégal. »

Ce dimanche, près de 40 000 ressortissants Sénégalais s’apprêtent à voter dans les 67 bureaux administrés par le Consulat en Île-de-France.

Dario Nadal

Articles liés