TOUR D’EUROPE. Après Londres, Saïd a pris la direction des Pays-Bas, quelques jours avant les élections. Sortir des sentiers battus, ceux que les français par milliers, empruntent chaque année pour visiter la belle « Dam ». Retrouvez tous nos articles sur notre page spéciale.

Jeudi, Amsterdam Centraal Station, 16h00. Le tramway 14 annonce l’arrêt. La voix est à peine audible pour un non habitué de la langue flamande, les « r » son particuliers ici, un mystère phonétique ancestral. Mon oreille de latin est sous le choc, mes yeux aussi. Les vélos sont partout, ici tout le monde pédale, de la jeune femme intégralement voilée, au papy en mini-short.

Nous sommes à des kilomètres des rues larges haussmanniennes de nos métropoles françaises. Ici les rues étroites accompagnent les grands axes commerciaux, pour épouser ce que la ville a de plus sublime, ces canaux du XVII siècle. Une heure de marche ne suffisent pas pour comprendre comment fonctionne la ville.. De la mémé touriste japonaise qui prend en photo son fils en train de négocier devant une vitrine du Redlight district, à l’assemblée d’immenses joints devant un coffee shop gay à proximité de Oude Kerk, Amsterdam intrigue ses visiteurs. Les touristes sont partout, ce n’est pas forcément une ambiance de débauche, l’imaginaire français joue beaucoup. Sans savoir si c’est le pragmatisme protestant, ou une tolérance assez grande, une impression se dégage de ces rues que je découvre, celle que les gens en ont totalement rien à foutre de votre dégaine.

Amsterdam2Amsterdam2En empruntant un axe commercial, plus précisément entre Kalverstraat et Niewwedyk, je rencontre Morrad et Wahid posés sur un scooter. Ils ont le même âge. Wahid m’explique en roulant son joint qu’il ne veut pas fêter ses 23 ans qui arrivent la semaine prochaine : « on organise des évènements pour les naissances et les décès dans nos familles, je ne pense pas te surprendre ». Le feeling est facile « mon frère, plus tu diras ‘sorry’, plus je vais prendre mon temps pour te resserrer la main, je suis content de parler avec toi ».

Sur les élections européennes, cet Hollandais d’origine afghane a son avis : « je ne vote pas pour les élections européennes et dans mon entourage personne ne s’y intéresse vraiment. Pour moi, l’UE c’est un outil politique qui permet aux riches d’être plus riches et au pauvres d’être plus pauvres, on circule, mais personne ne voyage chez les pauvres. Morrad est originaire du Maroc de la région de Tétouan, il est très curieux sur Paris : « Est-ce que les Marocains se mélangent aux autres communautés en France ? » « Est-ce que c’est vraiment dur pour un musulman la France ? J’entends des choses quand je vais au bled, mon oncle me parle des problèmes français, il dit que les Pays-Bas c’est 4, quand en France c’est 10 ».

« Geert Wilders, c’est le blond qui fait peur, c’est la même chose que la blonde chez vous »

Wahid revient sur son devoir de citoyen : « Voter je l’ai fait il y a 4 ans, je venais d’obtenir la nationalité hollandaise, il fallait que j’existe sur le papier, aujourd’hui j’ai arrêté mes études de commerce je suis auto-entrepreneur. Je vends des fleurs, des tulipes, dans un petit local, je ne veux pas travailler pour quelqu’un ». Wahid est arrivé il y a 12 ans : « on est la nouvelle génération d’Afghans venus avec les dernières guerres, on a une responsabilité très forte ». Mohad pose sa veste sur son scoot et parle des communautés sans gêne : « Ici, les blacks sont à l’extrême-ouest avec quelques Indiens, le Sud-ouest c’est les riches, moi je viens de l’ouest dans un quartier entièrement marocain. »

Amsterdam1Il enchaine : « Certains politiques ne nous aiment pas. Geert Wilders par exemple, c’est le blond qui fait peur, c’est la même chose que la blonde chez vous ». En me voyant rigoler, il ajoute : « je n’ai pas de problèmes avec les blonds, je regarde beaucoup l’actu sur internet depuis que je suis ici c’est grâce à internet que je parle anglais, hollandais, un peu allemand, arabe et afghan je parle même deux dialectes afghans mais ça ne compte pas ».

Avant de partir Wahid demande que je note l’adresse du Bondy blog sur un papier : « ça fait plaisir de voir des Français nous aborder sans demander des adresses de coffee shop ». C’est d’ailleurs devant le petit Coffee Shop Abraxas dans la rue étroite Jonge Roelensieeg que je sème la zizanie entre deux femmes. Maya, néerlandaise et Laura, Italo-anglaise ne sont pas d’accord. Laura est un petit bout de femme, une légèreté rousse aux yeux verts perçant. Elle a le regard qui tue, elle a les yeux « crédit revolving » dirait le rappeur Nakk. Elle parle avec virulence et fracas : « On ne peut pas dire que le vote ne serve a rien, tu dis n’importe quoi ! En Europe, les femmes doivent montrer l’exemple, elles ont le devoir d’être présentes et en tête de liste. Il faut le faire pour celles qui ne peuvent pas le faire dans le monde. »

Elle tremble des jambes en tassant le joint qu’elle a roulé comme une ouvrière. Elle m’explique qu’elle n’a pas fait le nécessaire pour s’inscrire sur les listes à Amsterdam à cause de sa nationalité italienne. Elle exprime un grand regret quand elle apprend qu’elle pouvait voter. Peu gênée par mon zoom caméra isolé de goujat sur son mini short et ses Air force one blanche, elle enchaine : « En Italie c’est le bordel, je viens de la région de Bologne et depuis que je suis ici j’ai peur d’y retourner, je m’intéresse à l’actualité italienne et je suis très pessimiste. » D’un coup, elle devient moins austère et plus sympathique, elle essaye même de me parler avec un français approximatif de la Normandie, de sa passion pour l’équitation. « Bandits blog ? », elle allume son blunt, il faut partir.

Amsterdam3A proximité du Dammark Centrum des Brésiliens dansent devant les yeux médusés du public, je repère le croco sur le linge de certains, les deux jeunes de Vaulx-en-Velin que j’interpelle, m’expliquent qu’ils cherchent le coffee shop « avec des tubes ». Je marche jusqu’à tomber sur un couple d’Allemand qui me demande de les prendre en photo, l’Allemagne, l’Europe, ce couple de quinquagénaires est tellement content d’en parler « mit einem Franzose« .

Pour Helmut, les Hollandais sont les plus romantiques d’Europe, sa femme Helga est triste de voir cette Europe « C’est vous le futur de l’Europe ». « Les jeunes sont moins concernés que notre génération, je trouve que c’est très important de ne pas se séparer ». Helmut me demande de parler français avec sa femme : « elle a vécu il y a très longtemps à Paris, je veux la voir parler français ». Dans sa phrase je comprends qu’elle appréciait beaucoup le quartier Latin. « Bonty Blok ? ». J’essaye de les subjuguer avec une des seules phrases d’allemand que j’ai retenu à un vieil oral de bac, Helmut finit même par me demander un selfie.

Saïd Harbaoui

 

 

Articles liés