Davantage connu pour son rap, l’intriguant et charmant Oxmo Puccino est avant tout un adepte et amoureux des mots. Jimmy l’a rencontré à l’occasion de la sortie de son dernier livre, 140 Piles, publié aux éditions Au Diable Vauvert. Faites entrer l’artiste.

Pourquoi Oxmo Puccino et pas un autre ? Oxmo pour près de vingt ans de rap, six albums-studios, deux Victoires de la musique, des collaborations avec des artistes de tout bord, des salles de concerts pleines à craquer et une considération accordée par plusieurs de ses compères de la musique. Puccino pour un talent inouï, une écriture subversive, un flow technique et entraînant, un charisme indéniable, une traduction du monde particulière, un Sucre Pimenté,  un 365 Jours, enfin un Mama Lova.

Abdoulaye Diarra alias Oxmo Puccino est tout et son contraire. Le quadragénaire, féru de lecture et de mots d’esprit , se devait de rendre à son premier amour ce qu’il lui devait, en l’occurrence un livre. 140 Piles n’est pas la première œuvre dont il est l’auteur, Mine de Cristal étant sorti cinq ans plus tôt. Mais rien ne nous laissait présager à ce que ce nouveau recueil sois aussi surprenant dans sa forme.  Oxmo décide de rassembler tout les tweets postés sur son compte entre 2009 et 2014, une occasion pour le rappeur de partager sur un support papier, des moments, des rencontres, des pensées vécues avec ce qu’il appelle ses « flowers ».

Avec Mine de Cristal en 2009,  tu n’en est pas à ton premier tir, qu’est-ce qui t’a donné envie de continuer l’aventure littéraire ? 

Il faut savoir que ma première passion est l’écriture, la musique n’est qu’un instrument dont je me sers pour la prolonger. Depuis des années, j’écris pour des romans, pour des films ou des nouvelles en attendant qu’elles arrivent à maturation. Avec Mine de Cristal, j’ai eu l’occasion de partager mes chansons sous la forme écrite, car à la base, mes textes ont vocation à être lus avant d’être écoutés. À l’inverse des autres rappeurs, j’écris avant de choisir un instrumental ou de composer une musique pour l’occasion.

oxmo3oxmo3140 Piles est un recueil de tes tweets entre  de 2009 à 2014. Qu’est-ce qui t’a amené à Twitter ? Comment cette interface t’a conquis ? 

Depuis très longtemps, j’écris des notes rattachées à mes expériences, mes évolutions artistiques, mes pensées du moment sans que personne ne sache pourquoi. Twitter m’a permis de poser ces notes quelque part, et à la manière d’un coffre-fort, elles les conservent. Par contre, je fais bien la différence entre l’écriture et Twitter qui est une interface,  tout dépend de ce que l’on décide d’en faire en réalité. J’ai pris la décision d’en faire un bloc-notes.

tweet_oxmoEn y réfléchissant, publier un tweet peut être un exercice littéraire complexe, comment parviens-tu à trouver les bons mots pour captiver l’attention de tes followers en seulement 140 signes ? 

Je le dit dans ma préface, tout est dans la  concision, c’est à dire pourvoir tout dire en quelque mots. Twitter a accentué le pouvoir de la phrase, elle l’a modernisé. Combien de tempêtes ont été engendrées sur la toile par la publication d’un petit tweet. Dire quelque chose qui frappe avec quelque mots est la base de mon métier, je m’y consacre entièrement, donc Twitter est tombé à point nommé pour moi.

Le 20 avril 2010, tu tweetais : « Seul le hip-hop peu remettre les jeunes à la littérature ». Ne penses-tu pas qu’il produise plutôt l’inverse en devenant une source d’éloignement ? 

Par cette phrase, j’ai eu le désir de provoquer ceux qui se trompaient sur le rap et surtout le courant culturel trainant à sa suite. Le rap n’est pas un hall de gare mais une salle d’attente, il suffit de quelques-uns pour tout bouleverser. Vous pouvez parvenir à convaincre de la qualité de votre écriture en un couplet, et si vous réussissez à toucher des gens, susciter l’intérêt par vos textes, c’est une forme de littérature. Les textes de Notorious m’ont fasciné par leur beauté. La littérature n’est pas une entité indivisible. Comme il y a plusieurs genres de littérature, il y a plusieurs styles de rap.

  » On dit diversité pour ne pas écrire diverses cités.  » Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Les mots de diversité, discrimination positive ou racisme (que j’ai changé par « rapcisme ») ne font que produire une différence entre les individus, donc ça ne me concerne pas. Dès que ces mots sont employés dans un discours qui devrait m’intéresser, je me retire et je n’écoute plus. Je ne fais que suivre mon instinct et ma passion, peu importe comment on la qualifie. Certains me qualifie d’artiste issu de la diversité  puisqu’ils me voient comme ça, bien que je ne le sois pas. Cet élément nous donne une bonne photographie de la société où on vit aujourd’hui.

httpv://youtu.be/OTZhGDcK82k?list=UUXMsmrUmeJBdtKEDREREv-w

Au travers de certains tweets, on remarque la relation particulière que tu entretiens avec les métros parisiens,  surtout avec la ligne 13, qu’est-ce qu’elle t’évoque ?

Étant Parisien, j’ai eu à prendre cette ligne pour rentrer chez moi. Cette ligne est particulière puisqu’elle traverse Paris de manière horizontale. Elle se divise à partir de la station de la Fourche en deux. Entre 7 heures et 9 heures du soir, il est très difficile de rentrer dans ce métro si vous allez en direction de Saint-Denis, je me souviens avoir laissé cinq rames passer devant moi. Le contact avec la population y est très inspirant, le mélange des populations est plus violent qu’ailleurs et humainement très riche en matières. On peut lire au travers d’un visage une tragédie. Personnellement, j’ai beaucoup écrit sur la ligne treize.

oxmo_2Tu es caractérisé dans l’univers du rap par ton écriture, on peut aller plus loin en te désignant comme un artiste de « proximité » au vu de la relation étroite que tu as su créer avec ton public. Es-tu en accord avec cette analyse ?

Je ne suis pas dans la distance avec mon public, ni dans la surenchère, ni dans un personnage. Si je le pouvais, je parlerais avec tous les gens de mon public, bien que je sois accessible mais difficile à joindre. Tout le monde peut venir vers moi, par contre pas quand il veut. Notre public est un miroir, qu’on le veuille ou non. Lorsque je rencontre un de mes fans, je ne peux pas ne pas remarquer les similitudes entre nos vies. Je ne peux qu’apprendre d’eux.

Quand on est arrivé au sommet de la montagne, a-t-on des rêves à poursuivre encore ?

Je suis toujours dans le « ce qui me reste à faire » et non pas dans ce que j’ai pu faire. Rester sur ce que l’on a déjà accompli et se languir sur son passé peut être très dangereux. Bien évidemment je suis toujours étonné de ce qui m’arrive et je remercie les personnes de mon entourage me faisant saisir la personne que je suis et que je ne savais pas que j’étais.

Propos recueillis par Jimmy Saint-Louis

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