Encore sous le choc des extraits de Tomorrow Tripoli, le dernier film de Florent Marcie, les participant-e-s de son école du blog ont du mal à trouver leurs mots dans la salle de projection refroidie par les scènes de guerre et les rares degrés Celsius de cette matinée de février 2015 à Bondy. Plongé-e-s au cœur de la révolution libyenne lors de la prise de Tripoli par les rebelles de la ville de Zintan, opposés au colonel Kadhafi, le son des balles perce les tympans accompagnés des cris incessants « Allahou akbar». Quand Florent Marcie arrête le documentaire pour reprendre ses explications, un soulagement se fait ressentir.
A l’instar de son auteur, le film est sans concession, même si voir la mort en face par écran interposé, permet de mettre des images sur le récit et le parcours hors sentier battu que nous narre le réalisateur depuis le début de sa masterclass.
« Incroyable » laissent échapper plusieurs de celles et ceux qui retrouvent l’usage de la parole. « Le gars est un héros » commente Fethi. Pour être passé entre les balles et avoir ramené un document unique de 3h15, tourné, produit et monté par lui-même en Libye entre 2011 et 2014, ou le fruit de 3 ans et demi de travail « in situ » et acharné.
Années 1990 : ses débuts en tant que reporter
encours
Florent Marcie est hors-norme. Pas d’école de journalisme ou de cinéma en bas de son CV mais des lignes de vies professionnelles plus extraordinaires les unes que les autres cimentées par sa curiosité, sa soif d’aventures et de voyages aux confins des cultures, des civilisations et de l’âme humaine.
Ses débuts de reporter de guerre coïncident avec la révolution roumaine de 1989. Il a 21 ans. Déjà globe-trotter durant ses études de droit et de sciences politiques à Paris Assas, il ne peut résister à l’appel de l’histoire. Il se débrouille pour entrer dans le pays et rejoindre Timisoara. A l’université d’où est partie la révolution, il se rend compte qu’il est le seul étranger sur place aux côtés de 15 jeunes barricadés. Sympathisant avec ces étudiants, il crée avec eux une association de coopération culturelle. Sans argent pour rentrer en France avec 2 d’entre eux, ils sautent dans un avion militaire français qui évacue des civils. Sur le tarmac à Paris, ils sont approchés par un représentant d’une agence de presse qui récupère des photos papiers apportées par un des jeunes roumains. En direct, il assiste à la transaction entre l’agence et Paris-Match. La semaine suivante, les clichés font le tour du monde. Florent Marcie prend conscience qu’il est possible « de vivre » de l’actualité et d’en faire son métier.
Yougoslavie en guerre, Algérie entre les deux tours de l’élection annulée de 1991 : Florent Marcie finit toujours par atterrir sur les points chauds de la planète. Appareil photo en bandoulière pour ne pas être pris pour un informateur mais bien un journaliste, il témoigne de ce qu’il voit et propose ses textes aux médias français et les photos aux agences de presse.
En 1995, il sympathise avec des SDF qui vivent dans le tunnel ferroviaire de la petite ceinture à Paris. Il décide d’en faire un documentaire qui deviendra La tribu du tunnel. Au début, aidé par un ami caméraman, il apprend la technique en regardant puis « en faisant ». De la même façon, il devient producteur en 1997 pour le film Une fille contre la mafia de Marco Amenta.
En 1999, alors qu’il se trouve en Afghanistan pour un reportage sur une mine d’émeraudes, il assiste aux attaques des Talibans pour « nettoyer la zone » de l’ethnie Tadchik notamment. Il croise de nombreux étrangers venant du Yemen, du Golfe, du Maghreb, d’Angleterre et qui appartenaient déjà à Al Qaïda, ce qu’il ignore alors. Il décide d’abandonner le reportage sur la mine pour enquêter sur ces nouveaux combattants qui font (ce qu’on nomme aujourd’hui) le djihad. De retour à Paris, personne n’est intéressé par ses images ou les histoires collectées sur cette zone de conflit.
« J’étais pauvre le 10 septembre et au lendemain du 11, je n’avais jamais eu autant d’argent de toute ma vie»
GroupeTout bascule le 11 septembre 2001. Quand les tours du World Trade Center s’effondrent, Florent Marcie est à l’ambassade d’Afghanistan à Paris pour préparer un nouveau départ et prendre des nouvelles du Commandant Massoud, afin d’infirmer ou confirmer son assassinat. Il raconte de ce qu’il a filmé quelques mois auparavant. Le hasard fait que son interlocuteur connaît très bien une des deux présentatrices d’Envoyé spécial. En deux jours, il trie 80 heures de rushs et d’interviews pour sortir un 12 minutes diffusé le 13 septembre en prime time sur France 2. Le reportage est vendu dans le monde entier. « J’étais pauvre le 10 septembre et au lendemain du 11, je n’avais jamais eu autant d’argent de toute ma vie, alors qu’avant, personne ne voulait de ce sujet ! Paradoxe de ce système et de ce milieu qui fonctionnent par flux… ».
Suivent Le kiosque et la guerre, film expérimental tourné à Paris pendant la guerre d’Irak en 2003 et surtout Itchkéri Kenti distribué au cinéma par MK2, rencontrant un beau succès critique et dans les festivals. Ce documentaire long métrage tourné en Tchétchénie circule sous le manteau dans ce pays ravagé par deux guerres et devient une référence pour le peuple tchétchène.
Le temps vient à manquer pour remonter le fil de l’ensemble de la vie de ce self made man doublé d’un self media maker. Et en dépit du glucose des loukoums de Turquie offerts par Florent Marcie, qui adoucissent un peu les 3 heures de la cette masterclass si intense en carnets de voyages et images de guerre, il faut bien qu’elle se termine afin que chacun-e retrouve le quotidien de sa vie et une vraie pause déjeuner. Mais quel parcours et quelle leçon de journalisme le groupe vient de vivre… Quelle claque !
 
Sandrine Dionys

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