Hier, nous avons appris la disparition d’Aicha Belaidi. Elle manquera au cinéma français et à toutes les pépites qu’elle a mis en lumière depuis une dizaine d’années. Elle avait créé le festival «Les Pépites du cinéma» pour faire émerger un cinema vivant, qui raconte la culture urbaine, suite aux émeutes de 2005. Il y avait dans chacun des films qu’elle avait sélectionnée une manière cash et poétique de raconter notre époque. Retour sur son parcours. 

Prologue. Au départ, elle est un grand saut. Ce grand saut qu’elle fait, à 17 ans, de Saint-Quentin, dans l’Aisne (02). Quelques kilomètres de broussailles, de vaches brouteuses sont ainsi franchi d’un trait. Sa sœur, qui s’était fait la malle avant, est sur place. Elle l’héberge. La capitale lui ouvre ses portes, sans hésiter. Elle fonce, tête baissée. Aicha est jeune. Deux « seconde » et deux « première » dans les pattes et pas de bac en poche. « Plus tard, j’ai bien vu que le mépris d’une partie des gens était lié à cette absence de diplôme », se souvient-elle.

Premier acte. Le plus long. Quinze années et des échelons gravis. On est à la Fondation Danielle Mitterrand. Aicha est secrétaire, « une semaine » seulement. L’attachée de presse est enceinte, elle ne reviendra jamais. Aicha lui pique la place. Et monte encore. La petite protégée de Danielle arrive au « poste de ses rêves » : directrice de la « communication et de la culture » de la Fondation. Elle voit de loin le président Mitterrand, fait le tour du monde avec sa « marraine », Danielle, sans qui elle n’aurait pas fait « tout ça ». Là-bas, elle règne. « J’étais celle qui devait financer les projets culturels intéressants », frémit-elle encore. Et d’ajouter : « J’œuvrais déjà à la culture du métissage. Avec des festivals engagés. » 

Entracte. Elle prend une gorgée de Coca. S’interrompt dans son récit du passé. Et déduit que cet engagement vient de ses « parents très politisés ». Elle raconte son père qui montait des grèves dans les usines. On comprend son côté rebelle. Des parents immigrés, débarquant d’Algérie. Un pays qu’elle n’a « jamais vu mais qu’elle rêve de voir ». Elle part dans ses pensées : « L’Algérie, je la vois dynamique, jeune. Et je vois ces beaux physiques. » Elle reprend une gorgée de Coca.

Deuxième acte. Elle est un poing. Ferme. Quand elle décide d’arrêter, elle arrête, malgré les conseils d’amis qui bourgeonnent dans sa tête (« tu devrais vraiment pas quitter la Fondation »). Mais après quinze ans, elle claque délicatement la porte. Un risque, c’est sa « seule expérience professionnelle ». Mais le risque est contrôlé. On est en 2001, elle saute à pieds joints de la Fondation Danielle Mitterrand à la direction de l’ACID (Association du cinéma indépendant), où elle n’a pas son « mot à dire », assure-t-elle.

Un jour, un mec l’appelle, sa bobine (de film) sous le bras. Il s’appelle Rabah Ameur-Zaimeche. C’est son dernier espoir, ce coup de fil. « Je peux venir vous déposer mon film ? », supplie-t-il. Elle accepte, « touchée » par cette supplique. Son film, c’est « Wech-Wech ». Elle convoque les réalisateurs de l’association pour le leur montrer. Elle, elle adore. Eux, apparemment, n’y comprennent rien, demandent « des sous titres pour le verlan ». Aicha s’indigne.

Elle revient à la charge, reconvoque les « jeunes et dynamiques » réalisateurs de l’association pour une seconde projection. Mais c’est à son tour d’être convoquée. « On m’a dit d’arrêter de montrer des films du tiers-monde .» Elle s’indigne à nouveau et prend la porte, la claque fort. Oublie vite ses « 15 000 balles (en francs) par mois » qu’elle gagnait et son CDI. « Depuis, l’ACID a changé, ils sont partenaires de notre festival », se félicite-t-elle dans un sourire.

Troisième acte. Elle aime se voir sur un fil, avec la peur du vide. Mais pas au point de se voir tomber, ça non. Un autre jour, sa sœur, cinéaste, l’appelle. Une copine à elle, Louisa, cherche un bras droit pour organiser le Festival du film de Paris. Elle commence bas pour finir haut, comme toujours. « Je faisais la sélection des jeunes talents et c’était une superbe formation », se rappelle-t-elle. Mais Bertrand Delanoë, le maire, sucre les subventions au festival, pour en créer un autre. Aicha s’arrêtera là. A 40 ans, elle a presque déjà tout fait. Alors elle plaque tout pour monter son « propre festival »Les Pépites du Cinéma, qui « promeut les jeunes talents et représente la société française ».

Epilogue. Année 2005. Elle sillonne les quartiers. Les émeutes éclatent. « C’est à cause de ces émeutes que je me suis vu faire davantage qu’un festival », raconte-t-elle. Elle a 40 ans, court de mairies en mairies. Celle de La Courneuve est « la seule » qui lui ouvre ses portes pour organiser des « ateliers d’image », destinés aux 12-25 ans).

« Les salles de cinéma d’art et d’essai parisiennes ne veulent pas du festival, ils ont peur du public qui va avec. » Et paf ! « Le ministère ou la région ne donne aucune subvention, ils pensent que le festival est une affaire sociale. » Et vlan ! « La presse ne vient pas jusqu’à La Courneuve, surtout quand il n’y pas de people. Ce que je refuse catégoriquement. Mes stars à moi, ce sont les talentueux réalisateurs que je reçois. » Et toc !

Elle court, elle court, Aicha, comme la banlieue. Avec cette envie de bousculer le cinéma français, qu’elle juge « figé ». Rideau.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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