Tout a commencé pendant le cours de sciences sociales, nous sommes le mardi 15 mars. Ce jour-là le prof fait un cours sur la conflictualité sociale, il nous parle des émeutes de banlieues survenues en 2005 et de « La Marche des Beurs ». À la fin de l’heure il nous demande pourquoi nous n’avons rien fait le 9 mars alors que c’était une journée de mobilisation contre la « loi Travail ». Nous ne savions pas ce que cette loi voulait dire. Alors, il nous a expliqué ce que c’était et pourquoi cela nous concernait. C’est tout naturellement que nous avons décidé, à notre tour, de nous organiser pour protester.
Nous avons pris la décision qu’il fallait bloquer le lycée. J’avais demandé au rédacteur en chef du journal municipal si l’on pouvait avoir leur soutien, mais il m’a officieusement fait comprendre que vu que la mairie était une mairie de droite (LR) il n’aurait pas l’autorisation de nous aider.
Mais comme la vie fait bien les choses, les locaux du PCF de la ville sont situés à quelques pas seulement de l’hôtel de ville. Aucun d’entre nous n’est affilié à un parti politique, mais je savais que l’on pourrait trouver du soutien chez eux puisque les opposants à la loi Travail sont en grande partie des militants de gauche. J’ai donc été rejoint par 10 autres élèves et c’est comme ça que nous avons improvisé une assemblée générale avec l’aide logistique des « cocos ». Beaucoup de bonne volonté, un mégaphone et des pancartes plus tard nous étions prêts pour le 17 mars.
Le lendemain, dès 6 h 30 du matin, un groupe d’élèves est venu mettre en place le blocus qui a duré toute la matinée. « Je suis absolument contre cette loi et je voulais me faire entendre d’une façon ou d’une autre, je voulais me sentir utile et essayer de diffuser ma motivation aux autres lycéens. Me réveiller à 6 h pour bloquer le lycée était la moindre des choses que je pouvais faire » confie Sinan, élève en Terminale ES. L’après-midi, nous sommes allés manifester à Paris. À la différence des autres, notre cortège n’était pas uniquement constitué de lycéens ou de professeurs, c’était un mélange des deux. Les professeurs marchaient main dans la main avec leurs élèves et les deux scandaient les mêmes slogans, pour la même cause.
Le mardi suivant dans le même cours, le prof de sciences économiques et sociales nous félicitait pour notre mobilisation. C’est ça Mozart, des profs qui encouragent à la citoyenneté ! Mais l’attraction de la journée c’était les journalistes du Parisien venus enquêter sur « le meilleur lycée de France ». Les chiffres sont tombés… nous sommes les premiers en France. En effet, d’après un classement du Parisien basé sur les données du ministère de l’Éducation mon lycée est le premier lycée de France. En terme de valeur ajoutée Mozart est l’établissement qui apporte le plus aux élèves. Et cela se ressent aussi bien chez les élèves que chez les professeurs.
Le secret : stabiliser l’équipe enseignante
Les élèves étaient surpris d’apprendre ce classement. C’est amusant de se dire que c’est un lycée de Seine-Saint-Denis qui fait rougir tous les autres de France. Mais à mon sens, cela relève plus de l’anecdotique qu’autre chose. C’est surtout un chiffre qui fera plaisir aux parents d’élèves.
En tant qu’élèves, nous avons véritablement le sentiment d’être bien entourés. « Honnêtement, je ne prends pas trop en compte ce classement. Avant même ce classement, je ne doutais absolument pas de la qualité du corps enseignant. C’est une fierté d’être dans les premiers lycées de France, mais il ne faut pas s’accaparer cette victoire puisqu’elle revient en fait aux anciens terminales, ce sont eux les stars ! » explique Tara, en terminale ES.
 
IMG_0371.resizedLes profs nous donnent le maximum, on sent bien qu’ils ont envie d’être là et c’est ce qui fait la différence. Plus que le fait d’être les élèves du « premier lycée de France » on est surtout content d’être dans un bon lycée. En 2007, le lycée Wolfgang Amadeus Mozart était classé 1587e parmi les 1593 lycées de France. Une époque où moins d’un élève sur deux décrochait le bac… Et aujourd’hui, il est classé premier. Une fierté, évidemment. Mais comment expliquer l’ascension fulgurante d’un lycée qui était parmi les derniers de la classe ? Ceci s’explique par la volonté des professeurs à accompagner encore et toujours plus leurs élèves. Un noyau dur d’enseignants à Mozart (une bonne vingtaine sur 80) est en place depuis une dizaine d’années.
Pour Giles Archimbaud, professeur d’histoire au lycée depuis 2004 « cela montre bien que les enseignants se sentent bien à Mozart, sinon ils partiraient ». Une des clés du succès d’un établissement, c’est de réussir à stabiliser l’équipe enseignante : trop de départs chaque année nuit à la cohésion d’une équipe, c’est comme au football. Beaucoup d’enseignants connaissent bien les élèves, et inversement. Tout le monde s’apprécie, et travaille ensemble.
Si on fait un peu l’histoire du lycée, c’est le rôle de Jean-François Baillon, proviseur en place en 2006, lorsque nous étions derniers lycée de France, qui a été déterminante. Monsieur Archimbaud se souvient « il a provoqué un sursaut, alors que nous étions démoralisés. Il a organisé de nombreuses réunions entre professeurs pour que nous trouvions des solutions en commun pour réagir. Il a lutté contre le contournement de la carte scolaire par les meilleurs élèves du Blanc-Mesnil (qui avaient tendance à fuir le lycée Mozart), par exemple en créant une filière musique. Il a aussi signé avec Sciences Po une Convention Éducation Prioritaire qui permet à nos meilleurs élèves d’accéder à cette prestigieuse école. Tout ceci a cassé la spirale négative ».
Des classes à 24 élèves
Par ailleurs, les professeurs, avec le soutien des élèves et des parents d’élèves, se sont battus chaque année pour disposer de moyens supplémentaires. La question des effectifs par classe est cruciale. Prenons la question de la filière STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion). En 2004, elle était sinistrée : ces classes étaient très difficiles et les résultats étaient pitoyables (moins de 30 % de réussite au bac). « Nous nous sommes battus pour obtenir des classes STMG à 24 élèves maximum. Très vite, les résultats se sont améliorés, et nos classes de STMG sont désormais parmi les meilleures de France, avec un taux de réussite au bac proche de 100 % » m’explique-t-il. Or le maintien de ces classes à 24 élèves n’est pas automatique ; chaque année, les enseignants doivent faire pression pour les maintenir, dans un contexte budgétaire de restriction.
Tout ceci nous renvoie à la question de la politisation du lycée. « Les élèves et les professeurs de Mozart sont parmi les plus combatifs de l’académie » pour monsieur Archimbaud. On l’a encore vu l’an dernier sur la question du chauffage, ou cette année lors des blocus contre la « loi Travail ».
Mais l’administration s’inquiète sur le fait que ces mouvements aient une incidence sur les résultats du lycée. Un argument tout de suite balayé par Madame Zoughlami, professeure de philosophie « les mouvements sociaux n’ont jamais pénalisé les résultats du bac, bien au contraire, le fait d’être meilleur lycée de France est aussi lié à la capacité des élèves à organiser des mouvements à connotation politique et militante ». Il y a une véritable synergie entre professeurs et élèves et une communauté éducative mobilisée et combative est une communauté dynamique et vivante, c’est le signe que ça va bien.
L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est un passage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que j’ai appris par cœur parce que c’est ce que j’ai toujours recherché à l’école. Avant d’être le premier lycée de France, le lycée Mozart est avant tout un établissement où les professeurs sont soucieux de l’éducation (avec un grand « E ») de leurs élèves, d’où la réussite de celui-ci.
Jalalle Essalhi

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