Salma* est une élève de 3ème scolarisée dans un collège du sud de l’île. Salma est malmenée par ses camarades en raison de ses origines. Elle vient d’Anjouan, une des trois îles de l’archipel des Comores. Pour en parler, elle a pris la plume et a adressé une lettre à un de ses professeurs. Elle y décrit ce que des élèves de sa classe lui font subir. « Ils disent que je suis venue à Mayotte pour détruire, que je n’arrête pas de polluer la ville (…) Eux deux me traitent de chienne. Moi, j’aime pas, ça ma mère ne m’a pas mis au monde comme un chien mais comme humain », écrit la jeune fille. La suite est ici dans sa lettre.

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« Les insultes à caractère racial à l’encontre des élèves comoriens, comme « sale anjouanais » se multiplient en ce moment», constate un enseignant sous couvert d’anonymat. Ceci arrive dans un contexte très particulier de violences et d’actions punitives envers les Comoriens de l’île. A 15 ans, Billal* s’apprête à peut-être vivre la deuxième expulsion de sa jeune existence. Cet élève de 5ème au collège de Kani-Kéli dans le sud de l’île, est arrivé à Mayotte en 2010 avec ses trois sœurs. Ils sont eux aussi originaires d’Anjouan. Comme quasiment tous les Comoriens ici, il a fait la traversée en kwassa-kwassa, ces embarcations de fortune conduites par des passeurs sur les 70 kilomètres qui séparent l’île de l’archipel. Billal vit dans le village de Choungui, à six kilomètres de son collège, avec ses deux parents, ses trois sœurs et son petit frère, scolarisés à l’école de Choungui. Ils sont en situation irrégulière. Ils occupent un banga (maison traditionnelle faite de torchis) appartenant à une Mahoraise. « Sur un des poteaux du village, il y a une affiche qui dit aux Anjouanais de quitter Choungui au plus tard le 30 avril. Mes parents ont déjà préparé les bagages mais nous ne savons pas où aller. Nous n’avons nulle part où aller ».
Ce tract, très explicite, qui circule dans le village de Billal le voici. Il date du 15 avril et est signé par « Un collectif citoyen des Villageois de Choungui », sans plus de précision. Il appelle très clairement « les étrangers qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière à quitter le village le 30 avril ». « Passée cette date, la communauté villageoise informe que des actions seront menées dans tout le village en présence des autorités (telles que la gendarmerie et la police municipale) ». Quelles actions ? Les auteurs ne l’expliquent pas mais ils précisent que les étrangers ou étrangères mariés à un habitant (homme ou femme) seront « épargnés ».

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D’autres tracts de ce type circulent dans d’autres communes de Mayotte comme celui-ci où les étrangers sont accusés de tous les maux : « vols, agressions, meurtres »… Ici, c’est un collectif dit des « citoyens de la commune de Bouéni », village du sud de l’île, qui appelle à un « tour de la commune » pour expulser « l’immigration clandestine » dimanche 15 mai 2016.

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Il y a quelques années, Billal et sa famille ont déjà été victimes d’expulsion. C’était à Ouangani, au centre de l’île. « Des personnes sont venues dans notre quartier et nous ont dit que si nous ne partions pas, ils nous tueraient et ils brûleraient la maison. » A Ouangani, Billal raconte qu’il a été frappé par des inconnus alors qu’il marchait dans la rue. « Puis, ils m’ont enfermé pendant toute une journée dans des toilettes. J’ai réussi à m’enfuir par la petite fenêtre ».
Bakri* a 16 ans et demi, il est en 3ème au collège de Kani-Kéli lui aussi. A sa famille, le propriétaire a dit qu’il allait récupérer la maison et qu’ils devaient aussi quitter les lieux le 1er mai. Bakri vit avec sa mère et ses cinq frères et sœurs, tous scolarisés, dans un banga fait de tôle à Kani-Kéli, près de la mangrove. Il n’a pas connu son père. Sa mère paye ce logement 100 euros par mois. « On ne sait pas trop ce qu’il va se passer, on se sent mal. Nous avons une sœur à Kaweni [ndlr : quartier de Mamoudzou le chef-lieu du département]. On ira peut-être chez elle ». Sa petite sœur Anchoura* a 13 ans. Elle est élève de 5ème. Une bonne élève. Anchoura se fait embêter par ses camarades. Brimades, insultes. « Des gros mots », dit-elle, sans vouloir me dire lesquels, la honte dans la voix. « J’en ai parlé à mes professeurs. Moi je ne veux pas partir d’ici. C’est difficile mais je veux rester pour continuer mes études ». Anchoura veut devenir policière. « Pour amener la sécurité », dit-elle, la voix tremblotante. Bakri, Anchoura et leur famille n’ont personne d’autre sur l’île. Ni famille, ni proches.
Des récits comme celui-là, les professeurs en ramassent à la pelle ces derniers jours. « Les propriétaires des habitations disent qu’ils veulent récupérer les bangas pour les détruire et construire derrière, mais en réalité, ils sont eux-mêmes sujets à pression de la part du voisinage qui exigent que ces Comoriens partent du village », explique l’enseignant.
Contactée, la directrice de cabinet du préfet de Mayotte, Florence Ghilbert-Bezard, indique suivre les événements au fur et à mesure. « Evidemment que nous ne cautionnons pas ce type d’agissement. Nous rappelons qu’il est du devoir de chacun de respecter les lois de la République et qu’il ne s’agit pas de laisser les gens expulser manu-militari. Nous sommes attentifs à ce qui peut se produire, et nous mettrons en place des dispositifs adaptés à la situation avec les forces de l’ordre ».
Bilal, Bakri, Anchoura eux ont déjà prévenu leurs professeurs. « Comme ça, s’ils ne nous voient pas au collège lundi 2 mai, résume Bilal, ils sauront que nous avons été chassés de chez nous ».
Nassira El Moaddem, envoyée spéciale à Mayotte

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