BEST OF. La photographe Sabrina Mariez a réalisé une série de photos consacrée aux travestis. Elle y explore la féminité chez l’homme et met en scène son modèle Lachantal Peemzhawell dans des décors années 50. Ils nous parlent tous les deux de leur collaboration autour du travestissement.

L’univers de Sabrina Mariez est coloré, enchanteur et en même temps inquiétant. La mise en scène de ses portraits est proche du monde fantasmagorique d’Alice au pays des merveilles par certains aspects. On trouve dans le travail de la photographe une dimension à la fois tragique et extrêmement enfantine. Cela s’exprime aussi bien par les regards bouleversants de Lachantal que par le raffinement des décors qui l’entourent et les tenues portées. La fusion de l’imaginaire respectif de Lachantal et de Sabrina crée un résultat aussi original qu’esthétique.

Mauvaise image et stéréotypes

Par incompréhension ou peur de la différence, les stéréotypes ont la peau dure. Surtout quand il s’agit de sexualité et de mélange des genres. « Les travestis souffrent d’une mauvaise réputation et d’amalgames insupportables, tout de suite les gens pensent qu’ils sont gays, qu’ils se prostituent et sont malsains, mais ils ne les connaissent pas » explique la photographe. Selon elle, on pourrait presque parler de double identité. « C’est un moyen de vivre leur féminité, souvent ils ont une malle avec des vêtements de femmes cachée, ils doivent s’angoisser tous les jours à l’idée que leur famille puisse les trouver ! ». Car contrairement aux idées reçues, de nombreux travestis sont hétérosexuels et ont une vie de famille, alors cette féminité trop présente peut être dissimulée à la sphère privée.

S.Mariez-1Le facteur esthétique joue également un rôle important dans leur décision de se travestir, « la plupart du temps ils trouvent les hommes moches et admirent la beauté féminine ». Sabrina travaille de manière très douce avec les travestis qu’elle photographie. Elle tend davantage à recréer un cadre onirique sans jamais tomber dans le « gore » ou « l’obscène ». Le contact est très fort avec Lachantal, « il m’a tout de suite accueillie chez lui, le rapport de confiance s’est instauré rapidement ». La démarche artistique de « L’homme est une femme pas comme les autres » ne s’est pas faite sur un coup de tête. C’est un projet qu’elle rêvait de réaliser depuis longtemps. « J’ai toujours été fascinée par les travestis et la photo a été un bon moyen d’entrer en contact avec cet univers, ce sont des gens magiques je trouve, j’avais l’impression d’être dans un film. » La série a été réalisée en format argentique.

Quelle femme incarner quand on est un homme ?

David alias Lachantal est ravi du résultat de sa collaboration avec Sabrina Mariez. Il revient sur leur première rencontre. « Elle est venue chez moi, j’étais assez flatté, j’ai l’habitude qu’on me photographie, je n’ai pas trop d’a priori quand je suis dans la peau de mon personnage. J’étais chez moi, donc en confiance. » Le modèle est musicien, il se définit lui-même comme « auteuse compositeuse ». Avec un humour rafraichissant, il s’est confié sans tabou à la rédaction sur son quotidien peu commun. « Lachantal c’est mon côté féminin sans passer par la case travesti en permanence ou opération. » Ce pseudo vient du milieu des travestis espagnols qu’il a beaucoup fréquentés. « Les drag-queen là-bas ont des noms de guerre, de personnages caricaturaux et humoristiques. » David a demandé à ses amis quel était selon eux le prénom français le plus moche et ridicule. Il l’a transformé en une seconde identité.

« Je n’ai jamais été rejeté, même dans ma famille »

Avant d’être Lachantal, David était un petit garçon qui se rêvait petite fille. « Je faisais des tours dans la ville d’Amiens habillé en fille j’avais une robe dans mon cartable, au début la féminité pour moi c’était mettre des robes de princesses ». Préadolescent, il a eu peur de l’accouchement. Il explique simplement cette angoisse « je me sentais petite fille ». Quand il aborde cette période de sa vie, l’homme précise qu’il s’agissait des années 70. Difficile aujourd’hui quand la société a tellement évolué de remettre son enfance dans son contexte. Quand il se tourne vers le passé, il affirme avoir été chanceux. « Pourtant, même dans les années 70, je n’ai jamais été rejeté, même dans ma famille ».

S.Mariez-8Justement, sa famille a joué un rôle essentiel dans son épanouissement. Sa mère a d’ailleurs été son premier modèle féminin. « À l’époque il n’y avait pas de revues, pour moi c’était Télé 7 jours et Catherine Deneuve. Ma mère se crêpait les cheveux, se mettait des collants et quand il pleuvait un petit fichu sur la tête. » Pour lui être femme c’est une question de chic, de prestance, « être glamour sans être vulgaire ». Il garde un souvenir ému d’un défilé de majorettes en Picardie qu’il trouvait tellement beau qu’il a eu envie de « défiler au milieu de ces femmes ».

Qu’est-ce qu’il y a de si beau chez la femme ?

Lachantal répond avec poésie. « C’est le maquillage, les talons. Tu peux être très moche, mais très belle si tu t’arranges. » Il y a également une grâce naturelle « en fonction de ton port et de tes attitudes ». Il continue d’une voix émerveillée. « La femme est transfigurée quand elle se pare d’atouts. Elle a un mélange de force un peu animale et de douceur. » Quand il parle de « force un peu animale » il veut dire instinctive. « Elles pleurent devant un film, elles prennent leur force dans le cœur et pas dans le slip. » Pour lui ce sont des êtres éminemment raffinés qui s’illustrent aussi bien dans « leur maternité, leurs façons de s’habiller que dans leur relation aux autres parce qu’elles sont plus dans le dialogue. »

Victoire Chevreul

Article initialement publié le 08/03/2015.

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