La Grande Famille aspire à aider les étudiants des IUT de Seine-Saint-Denis et à former leur réseau professionnel. Ce jeudi soir, les lauréats de la quatrième édition recevaient leurs prix. Reportage.
Rendez-vous est fixé dans le très luxueux hôtel particulier de la Païva, à deux pas de la boutique du PSG des Champs-Elysées. Depuis plus d’un siècle, ce lieu, fait de magnifiques dorures et vitraux et de lustres étincelants, accueille les soirées les plus mondaines de la capitale. C’est sûrement pour cette raison que ce jeudi soir tout le monde s’est mis sur son 31 : les filles  en talons élégants et robes de soirée chic, les garçons avec leurs plus beaux nœuds papillon.
C’est dans une ambiance feutrée et dorée que s’est déroulée la cérémonie de remise des prix de la Grande Famille. Il y a quatre ans au cabinet Cohen Amir-Aslani, la Grande Famille naît d’une volonté de solidarité. « Nous, avocats bien installés dans la vie, voulions partager notre réseau avec ceux qui en avaient le plus besoin », explique Gérard Cohen, avocat du cabinet. Décision est prise de se concentrer sur des formations universitaires très classiques plutôt qu’un nouveau dispositif égalité des chances dans les grandes écoles. « Nous souhaitions vraiment être le plus utile possible. Nous considérons que les grandes universités parisiennes, les grandes écoles n’ont pas tellement besoin de nous. Alors, nous avons décidé d’établir des partenariats avec trois IUT de Seine-Saint-Denis. Dans ces formations IUT, on s’est rapidement rendu compte que les étudiants n’osaient même pas imaginer leur avenir, cachaient leurs ambitions au fond d’eux-mêmes. Notre rôle est de leur faire prendre confiance en eux, et ça marche ! ». Avec la Grande famille, les avocats apportent une aide et soutiennent dans leurs démarches professionnelles les étudiants des IUT de Saint-Denis, Villetaneuse et Bobigny.
Soutien relationnel avant tout
Chaque rentrée, l’initiative est présentée aux étudiants de première année. Tous les ans, une centaine parmi eux candidatent au prix de la Grande famille et après sélection, cinq d’entre eux deviennent lauréats. Au bout de la course : une bourse de 3 000 euros, un parrainage de deux ans par un membre du cabinet avec stages rémunérés à la clé. Un stage à l’étranger est même proposé au lauréat jugé le plus méritant. Mais c’est surtout le soutien relationnel qui est le plus important dans ce coup de pouce. « C’est souvent lorsqu’on cherche un stage, une formation en alternance qu’on se rend compte à quel point le réseau est important, sauf que c’est déjà trop tard », constate Benjamin Thomé, ancien lauréat. C’est à 21 ans que ce jeune homme a rencontré la Grande Famille à l’IUT de Bobigny. Et c’est au sein de « cette famille » qu’il a fait la connaissance de ses futurs employeurs, aux commandes d’une start-up de marketing. Il y décroche un contrat en alternance et intègre ainsi un Bachelor en commerce international. Aujourd’hui, son aventure continue dans cette entreprise puisqu’il y poursuit actuellement ses études en alternance en master de management,  spécialité marketing digital.
« Les lauréats des années précédentes deviennent des référents, des grands frères, des grandes sœurs au sein de cette grande famille. Il est important d’avoir des modèles qui nous ressemblent pour évoluer », constate Ardavan Amir-Aslani, associé au cabinet. Si ce projet de Grande Famille existe, c’est en partie lié à son histoire, celle d’un immigré iranien arrivé en France dans les années 70. « J’avais à peine 14 ans et je ne parlais pas un mot de français. Au cours de mes études, j’ai cherché des stages. Je n’en ai jamais trouvé. Pourtant, j’étais très bon élève, major de ma promotion. Je suis aujourd’hui avocat et je n’ai jamais fait de stage, n’est-ce pas incroyable ? A l’époque, je me disais ‘si un jour j’occupe un poste qui me place en position de pouvoir,  je ferais l’inverse’. Voilà le résultat ».
« Si on attend qu’une solution vienne de nos responsables politiques, on risque d’attendre longtemps »
Les résultats, dix étudiants sélectionnés les attendent avec impatience. Ils savent que seuls 5 prix seront attribués. Parmi eux, Whalid Allam, 19 ans, étudiant à l’IUT de Saint-Denis. Pour lui, la Grande Famille est un tremplin. « Cet IUT je l’ai choisi, personne ne m’a forcé d’étudier à Saint-Denis. Seulement, je sais qu’on part avec une longueur de retard, je sais que les IUT de Seine-Saint-Denis souffrent de leur réputation, mais à partir du moment où on en est conscient, il faut savoir agir en conséquence. La Grande Famille sera peut-être pour moi un moyen d’agir ». À quelques mètres, Yousraa Belabed n’en peut plus d’attendre. Cette jeune fille de 18 ans, originaire de Sevran, étudie en filière carrières juridiques à l’IUT de Villetaneuse. Son ambition : devenir professeur de droit et avocate. Elle voit la Grande Famille comme une passerelle qui lui « permettrait de grandir professionnellement auprès de personnes qui pratiquent vraiment le métier que je vise ». Pour Yousraa, ce genre de dispositif est indispensable dans les quartiers populaires. « Ici tous les ans, cinq personnes sont prises en charge. C’est bien mais que fait-on des autres ? Et des autres étudiants de la classe, des autres élèves de l’IUT ? Je pense qu’il faut multiplier les dispositifs comme celui-ci qui sont extraordinaires ». Gérard Cohen partage le même avis. « Il y a de gros efforts à faire en France concernant l’acquisition du carnet d’adresses, le partage de réseau. Attendre qu’une solution vienne de nos responsables politiques à ce sujet ? Je pense qu’on risque d’attendre longtemps ! En revanche, ce qu’il faut faire c’est s’organiser localement, à sa petite échelle et ne pas regarder les choses se passer ».
Armés de patience, les étudiants, attentifs aux discours prononcés, auront attendu plus d’une heure avant d’avoir le verdict final. Claude Bartolone est le parrain de cette quatrième édition et pour lui, ce type de prix et de soutien est capital. « Il faut que ce pays comprenne que ses enfants sont de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les religions. Il faut leur montrer qu’ils ont leur place, c’est avant tout à la France qu’on donnera une belle chance ». Les lauréats sont enfin appelés : Lucas, Paul, Hervé, Pauline et Yousraa sont les cinq lauréats de cette année. Yousraa a du mal à y croire. « Je vais vraiment me rendre compte de ce qui se passe dans plusieurs jours ». Sa mère, elle, semble déjà réaliser. « Je suis tellement fière de ma fille, elle a beaucoup travaillé pour parvenir à ce résultat ». A côté, une autre maman est envahie par l’émotion lorsque son fils, Hervé, est appelé. « Evidemment que je suis fière de lui. A travers lui je suis un peu fière de moi, parce que c’est une partie de moi ».
« Vous savez franchir le périph’ ce n’est pas seulement aller à Paris. Franchir le périph’ c’est aussi passer les barrières sociales », déclarait durant la cérémonie et avec beaucoup de conviction Karine Lamiaux-Charet, directrice du département gestion et administration de l’IUT de Saint-Denis. Quelques barrières ont été franchies ce jeudi soir. Certains devraient voir ces barrières s’ouvrir plus facilement grâce à leur  nouvelle famille, d’autres devront encore les forcer un petit peu. D’ici là, il faut attraper le dernier train pour rentrer, de l’autre côté du périph’.
Sarah ICHOU
Crédit photo : Silvia Gigliodoro

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