Des banderoles, des tee-shirts et un cri de ralliement : « Justice pour Théo ! » Ce lundi 6 février, en début d’après-midi, plus de 300 personnes, mères de famille en première ligne, ont participé à une marche à Aulnay-sous-Bois pour demander justice pour Théo, un jeune homme de 22 ans qui a été gravement blessé jeudi lors de son interpellation par une équipe de police. Le rassemblement a débuté au pied de l’immeuble où vit le jeune homme, dans la cité des 3000.

Dimanche 5 février, quatre policiers ont été mis en examen pour violences volontaires en réunion dont un également pour viol. Les quatre agents de la paix ont été suspendus de leurs fonctions. « Des policiers qui sont censés nous protéger et qui nous attaquent, comment est-ce qu’on peut expliquer ça à nos petits frères et à nos petites sœurs ? », se demande Sammy*, la vingtaine, qui ajoute avoir grandi avec Théo.

« Si ces policiers ne sont pas condamnés, les jeunes n’auront jamais confiance en la police et en la justice »

« Tout le monde ici est choqué par ce qui s’est passé. On refuse cet acte de barbarie, c’est un dérapage qui ne doit pas se reproduire. Nous réclamons justice. Si ces policiers ne sont pas condamnés, les jeunes n’auront jamais confiance en la police et en la justice », s’indigne Aïcha, 48 ans, accompagnée de sa fille. « Théo, ça aurait pu être mon fils, ça aurait pu être le fils de toutes les mamans présentes ici », poursuit l’Aulnaysienne.

FullSizeRender

C’est l’association « Femmes Relais » d’Aulnay-sous-Bois qui est à l’initiative de cette marche. « Depuis l’incident, les familles viennent me voir et me disent que l’on doit faire quelque chose, sinon demain on va trouver un de leurs enfants à la morgue », justifie Aïssa Sago, directrice de la structure. Fondée en 2000, l’association des « Femmes Relais » mène des actions d’alphabétisation, de soutien scolaire, d’accompagnement administratif, des ateliers de socialisation, organise des sorties culturelles et des animations de quartier. Le cortège fait un arrêt devant l’antenne de quartier du commissariat. « C’est symbolique, c’est aussi pour dire aux policiers : « ce sont des jeunes que vous connaissez, que vous appelez par leur nom, vous savez qui est qui ». Nos enfants sont des êtres humains et pas des animaux », avance cette mère de famille et habitante du quartier. Derrière elle, un mur sur lequel est inscrit ce tag : « Policiers violeurs, baise les flics (sic) ».

« On est là pour que ça change, poursuit une autre maman de la cité. On n’est pas là pour passer à la télé. On étouffe ici. Comment nos enfants vont continuer à vivre avec ça ? (…) On ne repartira pas. Nos enfants, sont nés ici. Ils sont Français. Ils ont des droits ». Puis les habitants continuent sur la route qui traverse le quartier que l’on appelle aussi la Rose-des-Vents. Le commissariat s’est engagé à recevoir une délégation de dix habitants dès le lendemain.

Matraque enfoncée dans les fesses

Le maire (LR) de la ville, Bruno Beschizza, a apporté très tôt son « soutien plein, entier et total » à la famille de Théo. Pourtant, les manifestants ont pointé son absence lors de ce rassemblement aux cris de « Beschizza où es-tu ? ». Un collaborateur de l’édile s’explique en off : « Au départ, c’est une manifestation de mamans, la famille a demandé à ce qu’elle ne soit pas politique, le maire a respecté cette volonté ». Un argument qui ne tient pas la route selon une mère de famille d’Aulnay, qui tient à garder l’anonymat. « C’est bien Aïssa Sago, présidente de Femmes Relais mais aussi 13e adjointe au maire en charge de l’action sociale, qui est en première ligne. On voit bien qu’il y a une récupération politique de ce rassemblement en sous-main. C’est pour cette raison que beaucoup de mes amis n’ont pas voulu venir ». D’autres élus ont fait le déplacement : Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis et Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

FullSizeRender(3)

Sur leur chemin, les manifestants ont traversé la place du Cap, lieu de l’interpellation qui a dérapé comme disent certains autres médias, « lieu où on massacre nos enfants », lâche une voisine de la famille de la victime. Ce fameux jeudi, jour de l’interpellation, les policiers de la BST (brigade spécialisée de terrain) « procédaient au contrôle d’identité d’une dizaine de personnes après avoir entendu les cris caractéristiques de guetteurs de points de ventes« , selon un communiqué du parquet de Bobigny. Théo qui s’était arrêté pour saluer les jeunes sur la place a également été interpellé par les policiers. Selon une source proche de l’enquête, citée par l’AFP, l’un des policiers a sorti « sa matraque télescopique et [a] port[é] des coups au niveau de [s]es jambes dans l’idée de faire fléchir ses genoux. (…) D’après les images, le pantalon de la personne interpellée semble glisser tout seul. »

Théo, lui, maintient que l’agression des policiers était volontaire. « J’étais de trois quarts, je voyais ce qu’il faisait derrière moi. Je l’ai vu avec sa matraque : il me l’a enfoncée dans les fesses, volontairement. Je suis tombé sur le ventre, j’avais plus de force, on dirait que mon corps m’avait laissé », raconte-t-il à l’un de ses avocats avant de poursuivre : « Dans la voiture, ils m’ont mis plein de coups, des patates, m’ont matraqué les parties intimes, m’ont craché dessus, traité de négro, bamboula, salope« . Gravement blessé au niveau de la zone rectale, le jeune homme, qui a dû être opéré, est toujours hospitalisé. Il s’est vu prescrire par un médecin de l’hôpital 60 jours d’incapacité totale de travail (ITT). Le Défenseur des droits, saisi par l’avocat du jeune homme, a annoncé qu’il lancerait une enquête sur cette « dramatique affaire qui illustre les conflits qui naissent parfois des contrôles d’identité ».

« Pour les policiers, tous les jeunes ici sont des délinquants »

« Théo est arrivé au mauvais endroit au mauvais moment », résume Khalil*, 21 ans, ami d’enfance du jeune homme, présent au moment des faits. Pour calmer le jeu, il s’est mis entre un jeune et un policier qui venait de lui coller une grosse baffe. Théo s’en est pris une direct. On n’a pas compris, on a voulu s’interposer. Les policiers ont balancé une grenade lacrymogène pour nous disperser », détaille le jeune salarié en CDI au Burger King d’O’Parinor, à Aulnay-Sous-Bois. Pour les policiers, tous les jeunes ici sont des délinquants ». Il a perdu tout espoir de voir un jour des policiers en faute être condamnés. « Ils doivent être bien là, à la maison avec leur famille. Ils ne s’inquiètent pas. Au pire, que risquent-ils ? Ils vont être mutés, ils vont refaire une dinguerie ailleurs… », se désespère-t-il. « Les insultes et les coups, c’est devenu quelque chose de banal dans le quartier. Mais ce qu’ils ont fait à Théo, c’est inhumain. Ils lui ont pris sa dignité. Il pourrait être handicapé à vie », s’emporte un jeune qui souhaite garder l’anonymat. « Ouais ça passe ! » hurle un autre jeune lorsqu’une voiture banalisée, avec à l’intérieur quatre hommes, passe devant le groupe d’amis. « Ils patrouillent, lâche l’un d’entre eux. Parfois, ils nous voient posés ici et ils sortent leur extinct’ sans raison. Ils t’insultent pour voir si tu réagis ». Un papy vient interrompre la conversation pour mettre en garde les jeunes : « Pas de conneries les gars, un policier blessé et tout tombe à l’eau ». Le groupe acquiesce.

FullSizeRender(5)

Oussouf Siby, lui, a grandi à Aulnay-sous-Bois. C’est « un enfant du pays ». Aujourd’hui attaché parlementaire de Daniel Goldberg, il se souvient des relations tendues qui existaient à son époque entre policiers et jeunes. « Elles se sont ternies avec les années, précise le trentenaire. Il faut que les policiers respectent les jeunes, ça commence par arrêter le tutoiement qui est devenu banal à Aulnay. (…) On humilie, on rabaisse ces jeunes, ça ne contribue pas à ce qu’il y ait un climat sain dans la population ». Il souhaite « le retour de la police de proximité ». Dans les faits, la BST (ancien Uteq, unités territoriales de quartier) est censée l’être mais en 2010, Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, décide de muscler ces brigades en armant et équipant les policiers pour affronter les violences urbaines et instaurer de l’ordre. Installées physiquement au cœur des cités, elles sont sectorisées sur les quartiers difficiles, dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP) où existe le trafic de drogue. Dans le département, on en compte six (Saint-Denis, Aubervilliers, Saint-Ouen, La Courneuve, Aulnay et Clichy-sous-Bois). Celle d’Aulnay a vu le jour en 2010. Les méthodes, souvent très critiquées, ont du mal à passer, dans des quartiers déjà en proie à une nervosité croissante.

Un gamin sans problème

Théo, dont le véritable prénom est Théodore, est le dernier d’une fratrie de huit frères et sœurs. Sa famille est connue et appréciée à Aulnay-sous-Bois. Il est décrit par les habitants du quartier de la Rose-des-Vents comme un jeune homme « souriant, sympathique, serviable » et « sportif » du haut de son mètre 93. Sans emploi actuellement, il a été animateur jeunesse pour la municipalité dans le quartier de Mitry durant les vacances de Noël de 2015, où il s’occupait des plus jeunes. Théo est d’abord un passionné de foot, comme sa sœur Aurélie et son grand frère Mickaël qui le pratiquent à haut niveau. Théo, lui, joue à l’Espérance aulnaysienne, l’un des clubs les plus connus de la commune. L’un de ses coéquipiers parle d’un « mec au grand cœur » impliqué dans différentes actions pour les jeunes. « Il organisait des tournois de foot tous les mercredis pour rassembler des quartiers d’Aulnay, il a même offert un voyage aux vainqueurs d’un des tournois, explique Khalil. Ça n’est peut-être que du foot, mais quand Théo organisait ces tournois, il rassemblait tout le monde, des jeunes de différentes cités d’Aulnay : les 3000, Les Etangs, Les Perrières… On était tous ensemble ».

FullSizeRender(4)

« Il ne cherche jamais d’histoire », résume un proche. En témoigne son casier judiciaire, vierge. « Aucun dossier au commissariat », souligne pour sa part Yaya, 21 ans, ami de Théo. Même son de cloche du côté de Oumar et Sehkhena, respectivement 33 et 36 ans : « C’est un gamin sans problème. Un gamin plein d’humour qui aime faire des blagues et qui aide les gens. C’est un exemple pour tous dans le quartier ». Les deux trentenaires craignent de revoir aujourd’hui le spectre des révoltes de 1995 et 2005 après cette nouvelle bavure policière.

Malgré les appels au calme lancés par les mères de familles du quartier et les responsables associatifs, de nouveaux incidents entre groupes de jeunes et policiers ont éclaté, ce lundi soir, pour la troisième nuit consécutive. Un dispositif policier renforcé a été déployé. Un hélicoptère a survolé le quartier toute la soirée. Plusieurs voitures et poubelles ont été incendiées. Les habitants ont également signalé des jets de cocktails Molotov ainsi que des tirs de flashball. Au total, 24 personnes ont été interpellées selon la préfecture de Bobigny.

Leïla KHOUIEL et Kozi PASTAKIA

*Les prénoms ont été modifiés

Articles liés