Organisé grâce aux réseaux sociaux et non déclaré à la préfecture de Seine-Saint-Denis, un nouveau rassemblement en soutien au jeune Théo et pour dénoncer les violences policières, était prévu hier à Bobigny. Avortée, la manifestation s’est transformée en échauffourées entre jeunes et forces de l’ordre. Reportage.

Depuis plusieurs jours, l’information circule sur les réseaux sociaux : “Rassemblement jeudi à 16 heures à Bobigny en soutien à Théo”. Sauf que la préfecture assure n’avoir reçu aucune demande pour un tel événement. Certains préviennent que c’est un rassemblement de « casseurs ». Mais l’information est prise au sérieux par les forces de l’ordre : dès le début de l’après-midi, 450 agents se sont déployés dans le centre-ville de la préfecture de Seine-Saint-Denis.

Dans le métro de la ligne 5, il est 15h45 quand, quelques jeunes, à peine majeurs, passent quelques coups de fil. « On arrive à Boboche là, vas-y viens on va tout péter comme samedi ». Ou: « il y a des potes qui sont déjà là, les autres arrivent de Clichy dans 20 minutes ». Un petit groupe d’une dizaine de gamins, qui semble s’être formé depuis la gare du Nord à destination de la gare Pablo Picasso à Bobigny, a bel et bien prévu de venir au rassemblement non pas pour soutenir Théo, mais pour réitérer les violences qui ont touché la ville de Bobigny samedi dernier, après un rassemblement pacifique de 2 000 personnes devant le Palais de justice.

Des habitants tentent de calmer les tensions

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Les gilets jaunes se placent même entre la police et les jeunes sous tension, Bobigny, jeudi 16 février.

À 16 heures, les CRS et leurs camions encerclent le périmètre de la gare jusqu’à bloquer les rues alentours. La situation semble un peu plus maîtrisée que samedi dernier. Une centaine de jeunes, adolescents pour la plupart, se structurent en petits groupes éparses aux différents arrêts de bus. Mais une vingtaine de minutes après, la provocation commence. Pour s’amuser et créer de la confusion, certains jeunes se mettent à courir à plusieurs en hurlant. Sans hésiter, les forces de l’ordre envoient des gaz lacrymogènes. Le jeu se répète au moins cinq fois, avant que certains ne s’écartent.

Avec cet épais nuage de gaz irritant qui surplombe le terminus, le calme semble revenir et un collectif d’habitants, issus des quartiers de Bobigny pour la plupart, tentent d’apaiser les tensions. Vêtus de gilets jaune fluorescents, ils dissuadent les manifestants de se rassembler. De nombreuses personnes, venues pacifiquement, font alors demi-tour. Certains Balbyniens d’une vingtaine d’années restent, car ils viennent « pour la cause de Théo », nous confient-ils. Les gilets jaunes vont jusqu’à se placer entre la police et certains jeunes, alors que chacun se fait palper avant de pouvoir avancer dans la rue qui mène à l’esplanade Jean Rostand.

Un tir de gaz lacrymogyne sur le balcon d’une voisine

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Un épais nuage de gaz au-dessus surplombe le terminus, Bobigny, jeudi 16 février.

La plupart de ces jeunes sont arrivés en bus, tram et métro. A les entendre discuter entre eux ou au téléphone, ils viennent de toute l’Île-de-France. Sur l’esplanade devant l’immeuble Colombes du Conseil départemental qui porte encore les stigmates des débordements de la semaine dernière, des dizaines de policiers quadrillent l’espace. Bobigny est devenue une ville morte depuis le début de l’après-midi. Toutes les administrations, comme la préfecture et tous les commerces à l’instar du centre commercial ont baissé leur rideau très tôt dans l’après-midi. Deux agents de police en civils « espèrent que la situation ne va pas dégénérer » comme samedi dernier. “Ils sont très peu nombreux cette fois. C’était une grosse journée samedi et le communiqué du parquet suite au sauvetage de la gamine était une boulette niveau formulation. Ce jeune [Emmanuel Toula] a eu un grand courage ». 

Il est environ 17 heures. Les tensions sont de plus en plus palpables. Encerclés devant la cité Hector Berlioz, un groupe d’adolescents s’attaque à une poubelle de tri pour le verre. La riposte de flashball et gaz lacrymogène ne se fait pas attendre. Le jeu du chat et de la souris commence alors. Pendant près de deux heures, les provocations des casseurs et la riposte des forces de l’ordre vont résonner entre la cité et l’esplanade Jean Rostand. Jets de pierre, de bouteilles en verre, mais aussi de mortiers et autres pétards seront de la partie. On entend un jeune en doudoune, cheveux noirs mi-long, crier « on est là pour faire courir la police aujourd’hui ». Mais ce sont surtout eux qui courent à chaque détonation de grenade de désencerclement et de gaz lacrymogène. Des dizaines d’entre eux se réfugient entre les immeubles de la cité Hector Berlioz. La police tente alors de les viser avec des gaz mais certains rebondissent sur les façades. Une habitante de quartier confie même qu’un tir a atterri sur le balcon d’une voisine. Les affrontements dans le quartier dureront plus d’une heure.

« Ils ne peuvent s’exprimer que par la violence sinon on ne les entend pas »

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Laëtitia , militante pacifiste, présente à quasiment tous les rassemblements contre les violences policières.

« Il ne reste plus que des casseurs maintenant, c’est triste », raconte Lætitia, mère de famille et militante pacifiste qui a participé à quasiment tous les rassemblements de soutien à Adama Traoré et Théo. Les gilets jaunes ont dissuadé les manifestants de rester, du coup on se retrouve qu’avec eux. Je suis révoltée mais pacifiste. Ce qui est malheureux, c’est qu’ils ne peuvent s’exprimer que par la violence sinon on ne les entend pas… »

Un hélicoptère survole soudain la ville. De retour vers le quartier Hector Berlioz, deux jeunes femmes de 18 ans se tiennent contre un muret. Meryam, habitante de Cergy-Pontoise et Khadija, originaire de Villejuif, pensaient assister à une manifestation calme. ‘On voulait venir samedi mais beaucoup nous ont mises en garde, nous disant que ça allait péter très vite, vu le monde. On a décidé de venir aujourd’hui et au final, ça n’a servi à rien », explique l’une d’entre elles. « On voit clairement que la justice n’est pas la même pour tout le monde, poursuit Meryam, étudiante en droit. Quand on voit les politiques qui s’en tirent sans rien, tout comme de nombreux policiers impliqués dans des violences, alors que des jeunes prennent plusieurs mois ou années de prison pour une petite histoire, ça me révolte. Il faut une justice égale pour tous ». Khadija de son côté a déjà eu à faire à la police. « J’ai déjà été contrôlée trois fois alors que je n’avais que 15 ans. Je ne comprenais rien et depuis, je me rends compte qu’on a peur des flics. Ce n’est pas normal », rapporte-t-elle. Meryam déplore « le manque d’expérience de certains policiers sur le terrain » et craint déjà que « les jeunes interpellés qui ont cassé du mobilier auront une peine plus grosse que les flics qui ont fait ça à Théo ».

La pluie disperse le groupe

Il se met à pleuvoir des cordes vers 19h30. « Stoppez les tirs », lance un CRS à ses collègues. Une vingtaine de jeunes se rejoignent sur l’esplanade Jean Rostand mais les tensions s’apaisent. La foule retourne vers la gare. Là, un homme chante, acompagné de sa guitare Il appelle « à manifester sans casser ». Encerclé par de nombreux jeunes qui le filment et l’applaudissent, il pousse un peu plus sa voix. « Ni oubli ni pardon pour les saligots. Justice, justice pour Théo, justice justice, pour Adama, ça jamais on n’oubliera ».

Un jet de pétard en direction des policiers et une tentative de briser les vitres de la gare viennent interrompre l’ambiance bon enfant. Chargement des CRS, et de nouveaux des gaz lacrymogènes. Le retour de l’hélicoptère au-dessus de nos têtes mettra un terme à cette tentative de rassemblement qui se terminera à Drancy. Sur leur route, les casseurs briseront des vitres de voitures en stationnement. Au moins trois jeunes, dont un semblait mineur, ont été interpellés jeudi soir. Après de nombreux tours dans la ville, notamment du côté du quartier Chemin-Vert, les forces de l’ordre ainsi que l’hélicoptère ont quitté la ville vers 21 heures.

Inès EL LABOUDY

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