Environ 60 000 candidats sont toujours sans affectation pour la rentrée prochaine. Le système APB, par tirage au sort, est jugé totalement caduque, voire injuste selon certains. Il cache, en réalité, des problèmes structurels plus profonds, de sous-effectifs dans les universités et de dotations.

« Mais où serais-je l’année prochaine ? » Cette question, ils sont encore de nombreux lycéens à se la poser, en plein été, alors que toutes les administrations sont fermées. « Cela m’a un peu dégoûté », raconte, dépité, Mourith Moustaine. Fraîchement diplômé d’un BAC pro, il a été refusé dans trois établissements. Le Lyonnais désespère, il est toujours sur liste d’attente pour les deux autres établissements. Les bacheliers avaient jusqu’au 21 juillet pour hiérarchiser leurs vœux sur la plateforme d’admission post bac (APB) et ainsi savoir où ils seront l’année prochaine. La procédure principale clôturée, les candidats sans affectation doivent désormais se tourner vers une procédure complémentaire, ouverte jusqu’au 25 septembre.

« J’ai fait 8 vœux. Je suis en liste d’attente en 6ème place pour Tech de co Bordeaux et Bayonne. J’ai été refusée pour tout le reste », explique Nina Delamare, qui va sur ses 18 ans. La filière Langues étrangères appliquées (LEA), placée en dernier vœu, demeure sa seule chance. Très « déçue » de ses résultats, elle ne pense pas se renseigner auprès des secrétariats – qui ouvrent fin août. « Sinon, tant pis, j’irais en fac », précise t-elle, sans conviction.

« Le tirage au sort via l’APB est injuste »

Un peu plus de 65 000 jeunes s’étaient inscrits sur la plateforme APB et sont toujours sans affectation dans l’enseignement supérieur, a indiqué le 21 juillet le ministère de l’enseignement supérieur dans un communiqué. Parmi ces 65 431 candidats, 38 780 n’ont reçu « aucune proposition sur les vœux formulés sur APB », et 26 651 ont postulé « uniquement dans des filières sélectives pour lesquelles leur candidature n’a pas été retenue ». Lorsque les demandes sont supérieures aux capacités d’accueil, les candidats sont alors tirés au sort. Un algorithme décide seul de l’avenir des bacheliers. Une procédure très critiquée par les jeunes en question et par… la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui soulignait qu’il n’était « absolument pas normal » que l’orientation de lycéens dépende d’un système informatique.

Le système APB est ouvert à tous les bacheliers (bacs généraux, technologiques et professionnels). La procédure propose aux candidats jusqu’à 24 vœux de formation, parmi les 12 500 répertoriés sur la plateforme. Ensuite, l’algorithme attribue une place à un étudiant en fonction du classement de ses choix. « C’est complètement injuste. On a passé ma scolarité à me parler de la méritocratie, du fait que je devais faire des efforts pour atteindre les études que j’envisageais. Résultat, j’ai bossé comme une acharnée, j’ai eu 13 de moyenne à l’année, mon bac avec mention bien, j’ai travaillé tous les weekends pour gagner l’expérience professionnelle demandée dans certaines écoles pour finir dans une filière qui ne me plaira pas », s’insurge la jeune Nina Delamare.

« Mettre son vœu par hasard et se retrouver finalement n’importe où pose un sérieux problème de modèle d’orientation », s’inquiète le doctorant en sociologie et chargé de cours à la Sorbonne Hugo Touzet. Kevin Pastakia, 18 ans, habitant de Bondy, avait mentionné au tout début de sa liste de vœux deux BTS. « J’ai eu un premier refus, j’attends le deuxième. Je suis en attente pour Staps, mais aussi en administration économique et sociale ». Puis, rajoute, hésitant : « Je ne suis pas très autonome. La fac, ce n’est pas pour moi ». Mourith Moustaine désigne l’APB, en cherchant ses mots, comme un « système très ancien pas du tout adapté. Comme si on était des milliers de pions, et celui qui a de la chance, il est reçu ».

Le syndicat lycéen UNL-SD a crée une cellule de contact sur son site afin de mettre en lien les lycées avec le rectorat et les universités. « Lors de la deuxième vague d’inscription, nous avons eu plus de 250 lycéens en deux trois jours. Puis, environ une dizaine par semaine », rapporte le secrétaire national, Sacha Mokritzky. « Depuis deux ans, les lycéens doivent mettre au moins une pastille verte dans leur liste. Il s’agit des filières dans lesquelles le nombre de demandes est inférieur au nombre de places. Mais même pour ces pastilles, il peut y avoir au final un tirage au sort, en plus de contraindre l’étudiant à choisir par défaut une filière qui n’a aucun rapport avec son projet initial », s’inquiète le militant.

Un baby boom prévisible

« Ils savaient très bien que le nombre d’étudiants aller augmenter en flèche cette année et ne ferait que d’augmenter ! » explique, agacée, la jeune Sarah*, redoublante en L1 de psychologie à Caen et toujours sans affectation pour la rentrée prochaine. D’ici trois ans, le nombre de néo-bacheliers connaîtra une augmentation de 170 000, expliqué par les babys booms des années 1999 puis celui de 2000.

« Ce boom, ils n’ont pas voulu l’anticiper, surtout ! » s’exaspère le maître de conférence en économie à l’université d’Angers David Cayla. « Ont-ils vraiment voulu absorber ce boom ? Non, c’est clairement une volonté politique », s’insurge quant à lui Hugo Touzet. Une source de l’ancien cabinet du Ministère de l’Éducation confie, par téléphone, que « la priorité du quinquennat, c’était d’abord de gérer le boom dans les lycées, pas dans les universités ».

« L’APB cache des problèmes structurels de fond à l’université comme le sous-effectif »

9 726 lycéens parmi ces jeunes sans affectation avaient pourtant mis en premier une filière non sélective de leur secteur, c’est-à-dire un choix qui aurait dû leur garantir une place. Pourtant, l’université est censée être non sélective, malgré quelques filières ou certains cas de doubles licences, souvent dénoncées par plusieurs syndicats étudiants, comme l’UNEF. « L’APB, c’est un système D qui cherche à masquer le problème de fond, une sorte de symptôme, confie le doctorant Hugo Touzet. Si ça continue, on s’orientera vers une sélection en fac dès la première année, à l’opposé de l’idée de démocratisation et d’ascenseur social« . Dédoublement des élèves mais pas des salles ou des profs, des enseignants mutés ailleurs mais qui ne sont pas remplacés… Désormais, depuis la LRU, c’est l’université qui rémunère directement les enseignants. « C’est une conception politique depuis la LMD, la LRU et la loi Fioraso, qui vont dans le sens d’une autonomie des universités, ce qui a tendance à renforcer la concurrence entre elles », martèle Hugo Touzet.

Car le gouvernement, lorsqu’il dit créer des postes dans des universités en difficulté, « mentirait« , selon David Cayla, membre des économistes atterrés. Il octroie ce qu’on appelle des « dotations« , et ce sont désormais les facs, autonomes depuis la LRU, qui gèrent elles-mêmes leur budget. Or, elles pensent essentiellement à combler leur déficit plutôt qu’à créer de nouveaux postes, ou alors elles en suppriment. Depuis plus de dix ans, le nombre de postes à l’université n’augmente pas et a plutôt tendance à décroître. Ce que confirme la source du Ministère de l’Éducation du gouvernement précédent : « La LRU pose en effet de nombreuses questions, notamment sur les dotations. (…) Ça reste au président de la fac de décider où va l’argent ! »

Les dossiers refusés par l’APB peuvent être transférés au Doyen de l’université qui pourra décider au cas par cas et en fonction des places disponibles. Le Doyen devra aussi prendre en compte les redoublants, tout en sachant que le taux d’échec à l’université est bien souvent autour des 50%. Sarah fait partie de ceux-là. La redoublante souhaiterait retenter sa chance. « C’est obligatoire pour nous aussi de passer par l’APB », indique-t-elle. Sur quels critères ? « La décision du Doyen est souveraine, et les dossiers avec mentions seront sans doutes prioritaires », complète David Cayla. Impossible de joindre les universités qui ouvrent leur porte qu’à partir du 20 août, pour la plupart d’entre elles.

Au sujet de la LRU et des problèmes de sous-effectifs dans les universités, le Ministère de l’enseignement supérieur se veut rassurant. « L’augmentation structurelle du nombre d’étudiants demandera un accompagnement. Nous y travaillons, principalement autour de la refonte du premier cycle de l’enseignement supérieur. Pour rappel, il y a aujourd’hui 60% d’échec en licence, ce qui n’est bénéfique pour personne : les jeunes, leurs professeurs, les universités… Nous sommes mobilisés pour trouver un modèle alternatif », explique t-on, sans plus de précisions. Une certitude : les 331 millions d’euros d’économies dans le supérieur annoncés par le gouvernement.

Contourner l’APB en passant par le tribunal administratif ?

Il arrive souvent que l’université devienne le choix de la dernière chance pour de nombreux lycéens. Ils ne le savent peut-être pas mais ils peuvent, s’ils le souhaitent, saisir le tribunal administratif de leur ville, à condition que le doyen leur ait déjà refusé l’entrée. Pour se faire, il faut envoyer une « procédure écrite d’urgence pour la rentrée, demander un référé de suspension, puis une demande de suspension de la décision du rectorat (au travers de l’APB, ndlr)« , explique, par téléphone, un employé du tribunal administratif de Caen, avant d’ajouter « qu’il n’y a pas besoin d’avoir un avocat ». Puis de poursuivre : « Il y a eu un jugement, rendu le 21 juillet (date de la fermeture d’APB, ndlr) et l’autre aura lieu le 17 août. C’est très peu ». Il s’agit, dans les deux cas, de lycéens qui souhaitent rentrer en filière Staps. Le jugement rendu le 21 juillet n’a cependant pas pu permettre au lycéen d’y accéder pour la rentrée prochaine, du fait  essentiellement que la « condition d’urgence n’est pas remplie en raison de l’absence de décision définitive relative à son inscription ».

« Les plaintes commenceront fin août et début septembre majoritairement, pas tout de suite, les jeunes étant en vacances actuellement », précise le tribunal administratif d’Aubervilliers, joint par téléphone. « Ils n’ont pas forcément connaissance de leurs droits », ajoute l’enseignant d’Angers David Cayla. « Psychologiquement, cela peut parfois poser problème de franchir le pas, et entrer dans une relation conflictuelle avec le rectorat », tente de justifier le syndicaliste Sacha Mokritzky, tandis qu’Hugo Touzet, plus catégorique, estime que « les lycéens ont raison de le faire, c’est leur droit de rentrer à l’université. Car si tout le monde le faisait, il y aurait peut être une prise de conscience générale des problèmes de fond ».

Selim DERKAOUI

*L’interlocuteur n’a pas souhaité révéler son identité

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