« La littérature est un puissant moyen d’être soi-même ». Plus qu’une affirmation, c’est une philosophie adoptée par Xavier de Moulins. « Je revendique la capacité de pouvoir porter deux étiquettes », expliquait le journaliste du JT de M6 sur un plateau de télévision. Alors, sans détours, ni langue de bois, jongler avec deux carrières, ce n’est pas aussi tenter d’atteindre « les hautes lumières », au risque de s’y brûler ? Être écrivain et journaliste peut-il s’apparenter à un numéro d’équilibriste ?

Absurde de se dire qu’un présentateur TV n’a que pour attribution dans la vie d’avoir un bon débit de parole et d’être séduisant, photogénique, ou de s’étonner qu’après l’exercice télévisuel, il n’a pas l’occasion de pouvoir penser le monde, le refaire à sa sauce, de ne lui prêter aucune réflexion, aucun sentiment. Sois seulement une gravure du mode, lis ton discours, souris et après tais-toi ! L’époque où le journaliste était forcément un littéraire, où les deux mots allaient de paire est sorti de nos mémoires. Balzac, ou plus proche de nous Jean d’Ormesson, imposaient à la récitation de goût du bon mot, de la saillie spirituelle. Les nouvelles formes du journalisme ont procédé à ses dichotomies fallacieuses. Xavier de Moulins en vient à revendiquer une place qui lui sied déjà.

Le roman Les hautes lumières, le cinquième de la famille, installe un décor, qui sera la clef de voûte d’une œuvre littéraire ancrée dans la réalité du quotidien, l’intime des gens, vous et moi, et de ce que la vie en commun a d’indicible parfois. L’intrigue rachète notre temps perdu à somnoler intérieurement devant le vide de sens, l’acculturation normative de la télévision. L’empathie amène davantage de profondeur au roman.

Un enfant, à quel prix ?

La fiction se déroule entre Paris, Bondy et El Jadida au Maroc, entre trois personnages aussi qui commutent, se construisent et se brisent à tour de rôle : Tahar, Nina et Françoise. Nina la coiffeuse aime Tahar le chauffeur de taxi et Tahar le chauffeur de taxi aime Nina la coiffeuse. Leur histoire était a priori de celles qui se terminent par « ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants ». À un détail près : Nina ne peut pas avoir d’enfants. Le couple originaire de Bondy s’est rencontré il y a une dizaine d’années. Dix années d’amour et de désir d’enfant. Dix années « à se cogner contre la vitre de leur rêve ». Tous les progrès et tous les efforts de la médecine moderne n’y font rien. Une question demeure toutefois : jusqu’où peut-on aller par désir d’enfant ?

La plus touchante, Nina, le point d’ancrage de ce drame romantique, est celle qui nous aspire dans le récit. Son intimité est ce qui est exploré, décortiqué au peigne fin. L’intimité d’une femme vivant dans les vagues impétueuses du désespoir et qui mène un combat pour un droit de toute personne qui le souhaite, celui d’avoir un enfant. Ses souvenirs, ses états d’âmes, tout ce qui la compose est exploré avec minutie, une précision médicale bien que le narrateur ne soit pas je dans cette histoire. Ses hontes, d’être une paria, pointée du doigt par des membres de son entourage. On l’accompagne dans son combat pour être mère avec son lot d’angoisses et de frustration, de soulagement et de joie. Xavier de Moulins parvient à une prouesse littéraire en nous plongeant dans la psyché d’une femme.

Le temps qui passe, qui se fige, qui se morcelle 

Le temps prend aussi ses marques dans le roman. Il est omniprésent, et s’exprime à travers les souvenirs et les aspirations des personnages. Le temps est morcelé, alternant sans cesse les schémas passé, futur, présent ; futur, présent, passé. Des flashbacks, en grand nombre planent au-dessus du récit. On se surprend à se reconnaître dans les rêves de Tahar à devenir un footballeur professionnel. Cette mélancolie qu’il a, qu’il porte sur lui comme un fardeau, le conserve dans le passé. Tahar est presque robotique dans ce roman. On se surprend aussi à lui accorder une conscience lorsque celle-ci est mise à rude épreuve par l’entrée en scène de Françoise dans la vie de Tahar.

Cette rencontre est brusque, soudaine. Elle constitue une césure entre le passé et le présent chez Tahar. Peu à peu, Tahar noue des liens avec Françoise. La relation brise cette dichotomie passé / présent pour ne laisser place qu’à l’instantané, à ces moments fugaces que l’on souhaite éternels mais qui nous échappent. Françoise est photographe, elle désire faire un reportage sur la banlieue. Elle propose à Tahar d’être un de ses modèles, au volant de son taxi. Le fait que Françoise soit photographe n’est pas un hasard, car son boulot justement, c’est de capturer ces instants à l’aide de son arme : l’appareil photo.

Comme dans ses deux précédents romans, Xavier de Moulins explore le couple, le milieu familial. La souffrance est entrevue avec clarté, toujours intériorisée chez Tahar et Nina. Chez cette dernière, elle s’exprime dans le long et éprouvant parcours médical qu’elle suit pour devenir mère, elle s’exprime dans les épreuves des fécondations in vitro, les espoirs déçus, le corps qui se déforme à cause des traitements médicaux, la culpabilité et la honte de n’être pas capable d’enfanter. Chez Tahar, la souffrance est évacuée à travers ses déambulations entre Paris et la banlieue à bord de son taxi. Ces promenades l’aident à fuir une réalité oppressante, une vie privée marquée par son désir de paternité contrarié. Le lecteur se retrouve au cœur de la vie bouleversante de ce couple, frissonne et espère au fil des pages. Difficile de se remettre de l’intrigue une fois le livre terminé.

Jimmy SAINT-LOUIS

Xavier de Moulins, Les hautes lumières. JC Lattès, 356 pages, 19 euros

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