Nina*, élève de Terminale littéraire au lycée Suger de Saint-Denis, a commencé à s’inscrire sur le site de Parcoursup, aidée par son père, il y a un peu moins d’une semaine. « C’est pas évident comme démarche et il y a aussi des bugs, j’en ai connu en voulant faire des vœux ». Pas de quoi arrêter la jeune lycéenne qui sait exactement ce qu’elle souhaite faire l’an prochain : une licence en langues étrangères à Paris III Sorbonne Nouvelle.

Surprise quand elle a voulu renseigner son vœu : « Un petit encadré est apparu, indiquant que je ne fais pas partie du bassin de recrutement de cette licence et précisant qu’il existe des formations pour la même mention dans mon académie, celle de Créteil ».

Capture d’écran de la page du site Parcoursup pour une inscription par Nina, lycéenne de Saint-Denis, en licence langues étrangères appliquées à Paris 3

Ce message n’apparaît pas quand Nina fait une simulation pour une inscription en licence à l’université Paris VIII à Saint-Denis, dans son académie actuelle.

Pourquoi nous priver du droit d’aller étudier dans d’autres établissements, dans d’autres endroits ?

« On est en train de dire aux lycéens comme moi qui souhaitent étudier l’an prochain à Paris, que ce n’est pas possible, que ce sont les lycéens de Paris qui en ont le droit et ça me choque ! Quelqu’un qui veut sortir de son académie, il aura donc moins de chances ! Pourtant, autour de moi, on est beaucoup à vouloir aller ailleurs pour voir d’autres choses. Pourquoi nous priver du droit d’aller étudier dans d’autres établissements, dans d’autres endroits ? Avec ce message qui apparaît sur le site, c’est comme si on nous disait ‘on ne veut pas de vous !’ Avec Parcoursup, on nous enferme dans là où on vient, ça nous empêche de nous ouvrir. Saint-Denis, je connais cette ville par cœur, je suis au lycée Suger, trois ans que je fais le même chemin. Je ne remets pas du tout en cause les bons profs et les bons élèves mais j’ai envie et besoin d’aller voir ailleurs. Cette sectorisation doit disparaître ». 

Paroursup nous contraint à faire au moins un vœu dans notre académie actuelle

Même mauvaise expérience pour Chahinaz Berrandou, lycéenne en Terminale littéraire dans l’agglomération de Nancy, qui a découvert Parcoursup avec sa classe, accompagnée du professeur principal et du proviseur. « Ce que je veux moi, c’est aller étudier à Paris. C’est un projet de longue date et de plus, mon père vit à Nanterre. J’ai donc mis des vœux pour Paris et Nanterre ». Problème : pour s’inscrire à Paris, Chahinaz a été obligée d’enregistrer un vœu dans son académie Nancy-Metz au préalable, sans le vouloir. « Ce n’est pas un choix, Parcoursup nous contraint à faire au moins un vœu dans notre académie actuelle. D’ailleurs, cela nous a été très clairement dit au lycée par le conseiller d’orientation. C’est ce qu’ils appellent « un vœu de sécurité ». 

S’agissant de ses vœux à Paris, comme Nina*, la plateforme lui indique qu’ils sont « hors-secteur ».

Pourtant une chose intrigue. Lorsque Chahinaz clique sur les formations parisiennes qu’elle a choisies afin d’en savoir plus sur les critères d’admission, elle se rend compte qu’à la ligne « Formation sélective », toutes écrivent « Non ». C’est le cas pour la Licence Sciences Humaines et Sociales – Histoire à l’Université Paris 1, la Licence Information – Communication à l’Université Paris 3 et la Licence Sciences Humaines et Sociales – Histoire – Arabe à Paris 1.

« C’est incompréhensible ! s’exclame Chahinaz. On me dit que la formation n’est pas sélective mais en même temps, Parcoursup indique que mes vœux sont hors-secteur et au lycée, on nous informe que nous ne sommes pas prioritaires pour ceux-là ». La jeune femme regrette le flou qui entoure le nouveau dispositif, flou qui concerne, rapporte-t-elle, les lycéens mais également ses enseignants et les responsables de l’établissement. « Pour mon professeur de philosophie, c’est une manière de rendre la fac sélective et élitiste. Comment ne pas le penser avec tout ça ? Le problème, c’est que les profs et la direction du lycée n’en savent pas plus, ils prennent connaissance des infos quasiment en même temps que nous. Lorsque nous avons découvert la plateforme ensemble en cours, le principal avait plein d’interrogations. Ce n’est clairement pas rassurant ! (…) Au lycée, ma motivation c’était de me dire que je pourrais choisir là où j’irai étudier après le bac. Là, tout s’effondre. Je m’inquiète beaucoup et je me demande : « Est-ce que les gens comme nous seront acceptés? », conclut la lycéenne.

Le conseiller d’orientation a été très clair : les Parisiens seront prioritaires pour les vœux à Paris

Nina*, elle, préfère pour l’instant ne pas valider ses vœux. « Je suis obligée de mettre un vœu dans mon académie. Mais il n’y a rien qui me plaît à Créteil. Si je mets « un vœu de sécurité » dans mon académie actuelle, le conseiller d’orientation a été très clair avec moi lors de notre rendez-vous : les Parisiens seront prioritaires pour les vœux à Paris, donc le risque c’est que je sois prise à Saint-Denis et pas à Paris, du coup, je préfère attendre avant de valider ». 

Donc Nina* attend. Elle compte se rendre ce week-end aux journées Portes Ouvertes de Paris 3. La lycéenne de Saint-Denis regarde d’autres facs ailleurs « au cas où ». « J’ai aussi des amis qui revoient leurs vœux, qui revoient tous les projets, cherchent des plans B dans l’académie car préfèrent jouer la « sécurité ». C’est injuste. Sans parler du fait que tout cela se passe durant l’année du bac, période très stressante pour nous ». 

La stratégie est de maintenir les jeunes des quartiers dans les quartiers

Nous avons cherché à joindre à plusieurs reprises les ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Éducation nationale pour tenter d’avoir des explications, en vain. Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, qui réforme en profondeur les conditions d’accès à l’université, arrive au Sénat ce mercredi 7 février. Il avait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 19 décembre 2017.

Le père de Nina*, lui, ne décolère pas. « Nous avons le sentiment que la stratégie est de maintenir les jeunes des quartiers dans les quartiers. Nous avions fait un choix : maintenir nos enfants dans le public en pensant qu’après le bac, ils pourront faire ce qu’ils veulent, mais en réalité ils n’ont pas de choix, on leur dit ‘vous êtes de Seine-Saint-Denis, vous restez en Seine-Saint-Denis' ». Les réponses de Parcoursup à sa fille et à Chahinaz lui donnent, pour l’instant, raison.

Nassira EL MOADDEM

* Le prénom a été modifié sur demande

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