Devant le tribunal, une quarantaine de personnes a fait le déplacement pour soutenir les deux prévenus. Les logos d’ATTAC, de FCPE93, de Solidaires colorent l’assemblée. Parmi eux, beaucoup étaient présents le 27 septembre 2017 lors de la manifestation devant l’usine Snem. « C’était important pour moi d’être là aujourd’hui surtout que tout s’est fait dans la non-violence de notre côté ! Pour moi, tout ça est fait pour casser le mouvement », réagit Laurent S., artiste plasticien, dont les deux enfants sont scolarisés à l’école Jules Ferry, située à quelques mètres de l’usine Snem, raison de leur mobilisation. « J’ai été frappé à coups de matraque par les forces de l’ordre ce jour-là, témoigne Xavier habitant de Montreuil. Je suis choqué et surpris par le développement de cette violence ! J’ai vu des parents attrapés, jetés au sol, une femme avec le pantalon déchiré ». Hélène, une autre habitante, enchaîne, consternée. « C’est aussi une forme de violence ce que fait cette usine. Nous, nous sommes levés contre cette violence et on nous a répondu par de la violence en nous accusant d’être violent ! « . « C’est traumatisant de se faire tabasser dans son propre quartier ! On y repense tous les jours en plus puisque ça s’est passé chez soi », souffle Véronique M., une autre riveraine. Elle fait partie du groupe de travail qui recense les problèmes de santé dans le quartier depuis septembre 2017. « Nous avons récolté plus de 70 témoignages. C’est alarmant. Il y a des pathologies rares, des cancers pédiatriques…  » Tout comme le reste du groupe de soutien, qui scande ce mot pendant dix secondes devant le Tribunal, elle n’exige qu’une chose aujourd’hui : la relaxe.

27 septembre 2017, tensions entre manifestants et policiers devant l’usine Snem

Les faits remontent au 27 septembre 2017 : ce jour-là, une manifestation et un blocage de l’usine Snem sont organisés par les riverains. Ils exigent la fermeture définitive de cette usine installée depuis 1972 dans leur quartier. Les manifestants critiquent l’émission de polluants, dangereux pour l’environnement et la santé, notamment celles des enfants scolarisés dans l’école Jules Ferry, située à une soixantaine de mètres de l’usine.

Après plusieurs rassemblements relayés par les réseaux sociaux, la mobilisation prend de l’ampleur et ce jour-là, ils sont nombreux devant l’usine. Après trois sommations, les policiers avancent sur le groupe pour le faire évacuer mais les manifestants, qui ont formé une chaîne humaine, refusent de quitter les lieux. La police a recours à la force, aidée d’une grenade de désencerclement et de gaz lacrymogène. Deux personnes seront interpellées : A.V. et B.B, qui comparaissent ce mardi devant le tribunal de grande instance de Bobigny.

Les deux prévenus nient les faits reprochés

Il y a du monde dans la 12ème chambre. Les 2 prévenus, A.V., 40 ans, et BB, 35 ans, ont un casier vierge. A.V. confiera être « un habitué des manifestations » mais BB, lui, raconte n’avoir « manifesté qu’une fois dans sa vie, en 2002 ». B.B. est pourtant celui sur lequel pèsent les charges les plus lourdes : « rébellion » et « violences » sur un policier, Monsieur R., qui dit avoir reçu un coup de genou ayant entraîné quatre jours d’incapacité totale de travail. C’est ce même policier qui aurait reçu le jet de projectiles lancés par A.V « une cagette, une bouteille d’eau et une boîte d’œufs » comme l’énonce la juge. Le policier, Monsieur R., s’est porté partie civile et est aujourd’hui représenté par une avocate. Un témoin, Marie, 43 ans, sera également appelée à la barre.

Lorsque la juge rappelle les faits, elle évoque la discussion sur les réseaux sociaux le 26 septembre, en vue d’une manifestation prévue le lendemain. « Pour permettre à l’entreprise de fonctionner, une sécurisation est mise en place. Deux salariés veulent rentrer et ça ne se passe pas bien. Les policiers vont alors regrouper les salariés pour permettre leur arrivée groupés dans l’entreprise et un passage en sécurité. La tension monte », résume-t-elle. La police appelle des renforts car impossible de créer un couloir de sécurité. « Tout se passe dans une ambiance tendue, poursuit la juge. Les policiers indiquent qu’ils ne relèvent pas tous les outrages proférés à leur encontre. Une première sommation d’évacuer l’usine est demandée à 10h ».

Les deux prévenus réfutent les faits rappelés par la juge, qui s’appuient sur les procès verbaux des policiers lors de leur interpellation. B.B. d’abord nie toute résistance et surtout, toute violence de sa part. Il insiste, la voix tremblante. « Dans ma vie entière, j’ai fait en sorte de ne jamais donner de coups à personne. Je respecte les fonctionnaires de police ». Question de la juge. « Pourquoi n’êtes-vous pas partis comme il vous était demandé ? Il n’y aurait pas eu de problème’. Ce que B.B. explique à la barre, en toile de fond, c’est une forme de désobéissance civile dans un but qui lui semble légitime : la santé de ses enfants et la sécurité de son quartier. Mais la juge recadre son propos. « Qu’on soit bien clair, je vous le dis tout de suite : nous sommes sur des faits. Ici, ce n’est pas une tribune ».

Dans une déclaration de Monsieur F. , collègue du policier plaignant, qui a procédé à l’interpellation de BB, la juge remarque: « Il dit qu’un collègue l’informe d’un coup de genou reçu mais lui n’est pas témoin de ce coup. Il est alors décidé d’interpeller la personne identifiée ». Dans sa plaidoirie, Me Irène Terrel, l’avocate des deux prévenus, reviendra sur cette identification. « Monsieur B. était dans une masse, comment l’identifier ? Et pourquoi n’a-t-il pas été interpellé à ce moment là ? ».

« Le joyeux mélange » des policiers selon la juge

A.V., à la barre, explique son geste du 27 septembre. « J’étais dépité. Dans un geste de colère, je prends une boîte d’œufs et je la jette en cloche ». Au sortir de l’audience, il insistera. « Je n’ai jamais visé quiconque en jetant cette boîte et cette cagette ! J’étais outré par la violence que je venais de voir, deux personnes avaient été jetées devant moi. La cagette est retombée au sol, contrairement à ce que disent les policiers ». Plus tard durant l’audience, la juge qualifiera de « joyeux mélange » la saisine de la justice par le même fonctionnaire de police pour les faits reprochés à A.V. et à B.B.. L’avocate de la partie civile ne contestera pas et les exclamations fuseront dans la salle. 

Je n’ai donné aucun coup de pied

La juge, incrédule, leur demandent. « Vous n’êtes donc ni l’un l’autre la personne qui aurait frappé ce fonctionnaire de police ? Le coup de genou c’est faux ? ». « Mon seul objectif était de rester ancré dans le sol à ce moment là », répond BB. « J’ai pris la décision de ne pas bouger, de rester dans la chaîne humaine et de ne pas faciliter le travail des forces de l’ordre. Ma volonté n’a jamais été de frapper », insiste-t-il encore. « Et faire des allusions aux années 1940 ? », l’interroge la juge en faisant référence à des propos proférés par B.B. aux policiers. « Mes mots ont dépassé ma pensée », plaide-t-il. « C’est quelqu’un de profondément non-violent. Lorsqu’il fait sa déclaration, il est bouleversé », insiste son  avocate, Me Irène Terrel. « Ne répondez pas à sa place« , lui rétorque la juge qui lit la déclaration du policier qui fait part d’insultes, de doigts d’honneur et d’état d’excitation et d’énervement avancé de B.B. une fois interpellé. « Le fonctionnaire de police dit que seul vous pouvez dire si ce coup de pied était intentionnel ou non. Qu’en dîtes-vous ? », l’interroge la juge. « Tout ce que je peux dire, c’est que je n’ai donné aucun coup de pied », répond fermement B.B.

4 mois de prison avec sursis contre B.B.

Marie, 43 ans, est appelée à la barre. Elle revient sur le 27 septembre. « C’était très bon enfant. Un policier est venu nous dire qu’on allait nous déloger et que ça serait brutal ». Sa voix tremble, elle fait des pauses, cherche ses mots. « Nous sommes solidaires, nous sommes tous parents d’enfants qui sont scolarisés à côté de cette usine qui utilisent des produits très dangereux. Je suis restée parce que je suis arrivée à Montreuil il y a 2 ans et que depuis que mon fils est à l’école, il se plaint de maux de tête ». Elle décrit la scène, l’arrivée de la police en « tapant avec leur bouclier. On s’est serré les uns contre les autres. Ils ont tiré des gens et très vite, c’est devenu très violent ». Ce qu’elle décrit c’est une scène de « chaos », des gens en pleurs, des personnes blessées. 

L’avocate de la défense présente ensuite trois vidéos à la Cour : les premières minutes du documentaire d’Envoyé Spécial diffusé en janvier 2018, une vidéo qui montre l’interpellation de B.B. et une autre, prise en hauteur, où on aperçoit le jet de projectile par A.V. « On voit très bien que Monsieur B. est hébété, très calme »,  souligne Me Terrel. La juge la coupe. « Non, mais on ne voit pas l’interpellation, on voit qu’il est calme ». Me Terrel renchérit. « Si, on voit l’étranglement. Et il n’y a aucune insulte ». La juge promet qu’elle revisionnera cette vidéo au ralenti.

Le réquisitoire de l’avocate de la partie civile est bref. Elle précise que son client, le policier plaignant, a été sensible à la revendication de ses parents, « étant père lui aussi ». Elle tient à rappeler les « comportements agressifs de B.B. qui commet des violences à deux reprises : un coup de pied et une résistance à son interpellation ». Elle demande une amende de 1000 euros d’indemnisation et le remboursement des frais de procédure.

Le procureur demande l’abandon des poursuites pour A.V. « dans la mesure où elles sont mal rédigées », plaide-t-il. En s’appuyant sur les PV des policiers, le procureur évoque ensuite le cas de B.B. « Il est certain qu’il ne répond pas à la sommation et qu’il va résister. Il l’a dit tout le temps, dans la confrontation et on le voit sur la vidéo. S’il y a une opposition, les policiers seront d’autant plus violents. Leur rôle est de faire respecter l’ordre. C’est ce qu’ils ont fait ». Et en s’adressant à BB pour une leçon de morale. « Il faut que B.B. comprenne l’équilibre entre le droit de chacun de s’exprimer et le maintien de l’ordre ». Il requiert quatre mois de prison avec sursis.

Dans sa plaidoirie, Me Terrel souligne que ces deux clients sont « deux parents qui veulent protéger leurs enfants. Il n’y a eu aucun dialogue. Alors que leur but est légitime et que les pouvoirs publics devraient être les premiers à protéger les enfants, pourquoi en arrive-t-on à ce genre de mobilisation ? Pour se faire entendre, comme l’a dit mon client. Elle dénonce la seule réaction de la préfecture qui « décide d’emblée d’envoyer la force publique et d’ordonner la charge ». Pour l’avocate, l’usage disproportionné de la force est clair tout comme le pacifisme de la manifestation du 27 septembre. « Il y a eu trois plaintes suite à cette journée. De quel côté était la violence ce jour-là ? C’est la question que doit se poser le tribunal ». Tout en dénonçant un manque d’enquête de voisinage, l’avocate souligne également une volonté de casser ce mouvement en s’appuyant sur une source interne à la préfecture. « Un témoin nous dit que c’était prémédité. On discrédite alors cette lutte. Le préfet aurait annoncé qu’il y aurait des interpellations. Le but n’était-il pas de faire dégénérer cette mobilisation ? » L’avocate dénonce une distorsion de la vérité et revient sur la définition pénale de la rébellion. « C’est de commettre un acte de violence délibéré à l’encontre d’une personne qui vous interpelle. Or, de la résistance passive ne peut pas être considéré pénalement comme une rébellion ». Elle s’appuie sur les vidéos visionnées pour contredire les dépositions des policiers qui font part de résistance de la part de B.B. et souligne qu’il n’y a, en réalité, aucun témoin du coup de genou. Elle demande la relaxe pour B.B.

Rappelé une dernière fois à la barre, B.B. tient à réagir aux mots du procureur. « J’ai reconnu toutes les actions effectuées. Pour moi, tout est proportionnel aux enjeux qui ont lieu dans l’usine. Depuis les manifestations, les salariés doivent porter des masques ». En somme, B.B souligne l’impossibilité de se faire entendre autrement que par cette mobilisation.

Délibéré le 3 avril

Au sortir de l’audience, B.B., visiblement bouleversé, refuse de répondre à nos questions.  Il revient rapidement sur sa culture de non-violence et son respect des forces de l’ordre. Tremblant, il confie brièvement que ce sont toutes ses convictions qui sont ébranlées aujourd’hui.

Christine Bombal, qui réside juste en face de l’usine, présente le 27 septembre, a assisté à l’audience : « C’était long et éprouvant. Me Terrel a vraiment pu démonter tous les dysfonctionnements et les incohérences des accusations contre A.V. et B.B. ». Elle revient sur une remarque du procureur qui critiquait, à demi-mot, les sourires qu’ont provoqué le jet de cagette. « C’est surtout pour l’absurdité de ce qui est reproché qu’on a sourit : un jet de cagette ! Et 4 mois de prison avec sursis, c’est complètement délirant ! »

« C’est nous les prévenus aujourd’hui mais ça aurait pu être plein d’autres gens, commente A.V. au sortir de l’audience. Aujourd’hui, les personnes qui ont participé à cette journée sont toujours très choquées, parfois même ont encore des problèmes physiques. Et cette violence dont on nous accuse vient des forces de l’ordre. C’est évident sur les vidéos ! » Pour lui, « on a essayé de casser ce mouvement, de faire peur, puisque la plupart des manifestants ne sont pas des habitués des manifestations. On discutait même avec les policiers pour leur expliquer notre combat ; on ne s’attendait pas du tout à cet usage de la force. » Les délibérés seront énoncés le 3 avril prochain.  

Amanda JACQUEL

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