Lendemain d’élections législatives. Marine Le Pen n’a pas été élue députée de la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Ni Jean-Luc Mélenchon, tombé dés le 1er tour de ce combat électoral. Les car-régies des télévisions et les dizaines de journalistes sont repartis et les habitants du bassin minier ont repris le cours de leur vie loin des flashs et des caméras. Le calme apparent est revenu à Hénin-Beaumont.

Retour en arrière. Samedi 2 juin plus précisément. La campagne législative bat sont plein. Tous les regards des observateurs sont tournés vers les locaux de France 3 Nord-Pas-de-Calais à Lille où a lieu un débat sur le plateau de la télévision régionale entre les principaux candidats en lice, dont les ex-adversaires à la présidentielle qui rejouent le match pour arracher leur ticket pour l’Assemblée nationale.

Pendant ce temps, la Place de la République de Hénin-Beaumont se prépare pour une manifestation intitulée Goûter l’avenir. L’Escapade, le centre d’animation culturelle de la commune et la Compagnie artistique La Générale d’Imaginaire mettent les petits plats dans les grands pour que la restitution publique du travail de médiation culturelle qu’ils ont menée pendant l’année dans les maisons de quartiers de Beaumont, Thorez, Darcy, ou Kennedy soit une source de joie et de fierté pour la centaine d’habitants investie dans ce projet. Les deux structures, associées pour l’occasion, revendiquent une démarche collective et populaire, et dont la manifestation mêle générations, pratiques culturelles et visions du monde. Concrètement, les volontaires ont eu à envisager et concocter une spécialité culinaire à l’image des valeurs d’avenir qu’ils imaginaient  pour la ville. Travail qui s’est concrétisé dans les assiettes de ce Goûter géant, festif et musical, et, sur scène, avec l’atelier slam intergénérationnel auquel participaient Réjane et Simone, deux mamies de Kennedy.

Si Hénin-Beaumont est devenu un laboratoire politico-médiatique en dépit de la volonté de ses habitants pris en otage par les parachutages de Marine Le Pen il y a quelques années, puis plus récemment de Jean-Luc Mélenchon, des artistes de la Générale d’Imaginaire et d’autres acteurs culturels avaient décidé bien avant eux de s’implanter dans ce territoire. Car pour eux, ce bassin minier nécessite une reconquête citoyenne et un travail auprès d’une population dévastée par le chômage, et traumatisée par les fermetures d’usine ou le comportement de patrons voyous comme ceux de Samsonite.

Œuvrant sur ce territoire depuis six ans, Stéphane Gornikowski, le directeur de la compagnie raconte la genèse de ce projet culturel, un grand dessert conceptuel construit autour des symboliques culinaires faisant oublier le temps d’un après-midi ensoleillé tensions politiques et préoccupations sociales. « Pour nous, il n’y a pas de hiérarchie entre les pratiques culturelles des habitants et celles que nous amenons comme artistes. Travailler autour d’ateliers cuisine pour permettre aux gens de se parler et de construire un projet commun, c’est aussi valorisant que n’importe quelle autre pratique artistique. » Et pour Stéphane, comme pour les autres artistes associés, comme Camille Faucherre, qui organise les ateliers slam dans les maisons de quartier, la cohésion et le tissage de lien social n’est pas le seul but de leur investissement…

« A travailler au plus près des habitants, on sent le ras-le-bol généralisé et la tendance lourde à mettre tous les politiques dans le même sac. D’ailleurs, parmi les gens qui participent à nos projets, on sait que nombre d’entre-eux sont électeurs du Front national. En plus d’amener les gens à une réflexion participative et citoyenne sur le monde qui les entoure dans un but de transformation sociale, on espère aussi provoquer une reprise de confiance dans la politique au sens large, une réhabilitation du politique… »

 

Car selon Stéphane, si le Front national remporte autant d’adhésion à Hénin-Beaumont, c’est que Marine Le Pen, en proposant à beaucoup de la rejoindre dans son mouvement politique, remet des habitants au cœur d’une dynamique, celle de la conquête du pouvoir. « Elle comble un vide. En proposant à certains de tracter dans la ville par exemple, elle leur redonne une fonction et une importance » analyse Stéphane dont l’un des buts est aussi de redonner de l’espoir par les actions culturelles que sa compagnie propose. « Nous, même si on ne parle pas politique directement avec eux, on leur fait passer le message que les choses peuvent changer si on ne se résigne pas… » Sous entendu : que le FN n’est pas le seul espoir et l’unique choix possible en général, et à Hénin-Beaumont en particulier.

Et les prochains rendez-vous que propose la Générale d’Imaginaire aux Héninois sont les cafés-travail. Autour d’une boisson offerte, la compagnie va inviter les gens à s’exprimer, au-delà de situations professionnelles parfois difficiles, sur comment agir pour améliorer leurs conditions de travail… En parallèle, les artistes vont recueillir leurs témoignages qui serviront à la création d’un spectacle et à un manuel d’alter-management. Cette  future production intellectuelle collective et participative où sont conviés tous les habitants promet une nouvelle bouffée d’oxygène culturelle sur le bassin minier. A mille lieux des tensions et de la tornade médiatique qui a tonné pendant toute la campagne législative récemment achevée…

Sandrine Dionys

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