Quand on la voit, pour la première fois, on marque un temps d’arrêt. Et puis, on se demande si c’est bien elle. Son visage vous revient dans la tronche comme une gifle qui vous replonge dans la réalité. Oui, elle est bien là. Elle s’appelle bien Florence Aubenas. C’est bien elle. Celle qu’on avait vu, visage dévasté, cheveux en pagaille, celle qui bidouillait quelques phrases « face caméra » au temps où elle était détenue otage en Irak. Éprouvée et dévastée. C’était en 2005.

Ce samedi 17 avril, elle est là, à Bondy. Debout. Sourit un peu, gênée, quand elle s’aperçoit, arrivée pile à l’heure, 9h30, qu’elle est quasiment seule. « Ils vont arriver », rassure Antoine, le rédacteur en chef. Elle prend un café. Et chacun arrive. Un à un. L’école du blog n’est pas une école comme les autres. On peut être en retard, pas trop, et éviter les châtiments corporels. La séance commence. Il y a du monde. Exposé du jour : le reportage.

Elle a fait le tour du monde. Connaît des coins qu’on visite rarement, jamais. Elle a été en Irak, auparavant dans les forêts de la République démocratique du Congo, en Algérie après l’assassinat des moines de Tibéhirine. Une baroudeuse qui s’envole avec un sac à dos et un stylo. Elle a été en Afghanistan comme au Kosovo, avec son courage et ses mots. Elle a chroniqué le procès d’Outreau. Et dernièrement elle a passé six mois, incognito, dans une localité du Calvados, pour un livre méchamment contemporain, « Le quai de Ouistreham » (éd.de L’Olivier). Elle a vu des guerres. Des corps. Elle a vu de l’horreur, l’a vécue, en est revenue.

« Le journaliste a deux facettes. En France, il est un salaud. En dehors du territoire, il est un héros », lance-t-elle. « Ce qui est plus compliqué pour un reporter de proximité, c’est qu’il a des retours. » Elle met les pieds dans le plat, s’élance tête la première dans un torrent rugissant : « Le reportage, c’est embarquer le lecteur avec vous. Si vous prenez le bus, vous devez l’embarquer à côté de vous. » Exemple : ce samedi matin, Florence Aubenas sirotait un café noir dans un gobelet en plastique blanc. Vous y êtes, vous sentez le goût du café sur vos pupilles gustatives ?

Avant de venir à l’école du blog, elle avait pris le temps de lire un reportage de chacun de nous. Les avait tous imprimés. S’était promis de les commenter, de donner son avis. « Avec votre reportage, dit-elle à l’une, vous avez vécu quelque chose d’exceptionnel mais vous ne nous avez pas emmenés avec vous. » Et l’« élève » d’approuver timidement. « Vous, dit-elle à un autre, le vôtre est pas mal, ajoutant des arguments. – Oh, ça m’honore venant de votre part. » Florence Aubenas esquisse un sourire, flattée. « Mais vous savez, le reportage, ce n’est pas inné, ça s’apprend, j’ai dû en réécrire des dizaines », révèle-t-elle, rassurante.

« Ce qui est important, en reportage, poursuit-elle, c’est le vocabulaire qu’on utilise. Quand vous parlez d’une mairie, décrivez-la. Votre mairie n’est pas celle d’un village rwandais avec des planches en bois et des poules. » Exemple : samedi matin, Florence Aubenas parlait devant une assemblée. Pas l’assemblée nationale, mais une trentaine d’élèves attentifs. « Et puis, le reportage, c’est avant tout raconter un instant. Raconter ce qui se passe vraiment, même si le sujet se dégonfle au dernier moment », indique-t-elle. Elle saisit dans sa pile un reportage qu’elle a trouvé très bien : « Regardez, dans sa classe, la prof n’est même pas baffée, il ne se passe rien d’exceptionnel, mais c’est aussi intéressant… »

« Le journalisme, c’est construit pour l’extraordinaire, dit-elle. Alors, quand il essaye de raconter l’ordinaire, il y arrive mal. » L’occasion pour des blogueurs de reprendre la main sur les professionnels ? Peut-être. « Sauf que sur un blog, tempère Florence, les gens utilise un « je » qui n’est pas forcément utile. C’est comme une voix-off dans un documentaire, ça peut faire office comme béquille. » Ne parlez pas de proximité à Florence Aubenas. « Ça fait 20 ans que je fais du journalisme, mais je n’ai pas d’amis politiques. Martine Aubry me fait peut-être la bise, mais je m’en fous. Vous êtes payés pour être mal-élevés, alors… »

Avant de s’éclipser, la journaliste définit le propre de son métier : « Le reportage, c’est un exercice au-dessus du vide, il faut rester suspendu au-dessus de rien. » C’est pour cette raison que pour la rédaction de cet article nous nous sommes installés sur un balcon. Maintenant, on a fini, on peut lâcher… Merci.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Philippe Rochot, ex-otage au Liban, a également animé une séance de l’Ecole du blog en 2010.

« Le journaliste, quand il travaille en France, c’est un salaud »


L’école du blog : Florence Aubenas
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Vidéo : Aladine Zaiane

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