On vit dans le même quartier mais on ne va pas dans la même école. Sorti en salle fin septembre, le film La Cour des miracles aborde frontalement la question de la mixité sociale dans l’Éducation nationale.

Avec finesse et humour, les réalisateurs Carine May et Hakim Zouhani nous emmènent voir de près la réalité de la ségrégation scolaire et des inégalités qu’elle provoque. Pèle-mêle : absence de mixité sociale, locaux non rénovés, galères de photocopieuses, profs non remplacés…

Des difficultés auxquelles ils ont eux-mêmes fait face lors de leur passage dans l’éducation nationale. Interview.

Dans votre film, vous soulevez beaucoup les difficultés qui sont propres aux écoles défavorisées. C’est une comédie qui porte un message très politique. Qu’avez-vous voulu transmettre ?

Carine May : Je voulais parler d’une équipe, d’un collectif, qui n’en est pas un au départ mais qui finit par se construire comme tel en portant un projet commun.

J’ai été professeur des écoles pendant quinze ans, donc l’univers scolaire m’est très familier. Hakim, lui, a beaucoup animé des ateliers vidéo avec des jeunes, ce qui reste aussi très lié à l’enseignement.

Au vu de nos expériences, il était logique que notre film porte sur l’école et les difficultés que nous avons observées et vécues. Ce projet a été en gestation durant au moins six ans.

On avait envie de rendre hommage aux équipes pédagogiques

Hakim Zouhani : Il y a beaucoup de films sur l’école, mais nous on voulait que le nôtre parle davantage des adultes. C’est à travers les yeux des adultes qu’on voit l’école Jacques-Prévert parce qu’on avait envie de rendre hommage aux équipes pédagogiques. Elles ne sont pas du tout aidées et se battent au quotidien pour que leurs élèves puissent s’épanouir le plus possible.

Pour la rentrée, l’Éducation nationale a recruté beaucoup de contractuels. Dans votre film, on voit justement des scènes de recrutements où les candidats envoyés par pôle emploi n’ont pas de formation…

C.M. : J’ai longtemps enseigné à La Courneuve et à Aubervilliers. Pour nous, ça fait des années que c’est comme ça. En septembre, la France entière s’est réveillée en dénonçant ces recrutements de contractuels. En Seine-Saint-Denis, c’est un phénomène auquel on est confronté depuis bien trop longtemps.

On a voulu montrer qu’on ne devient pas enseignant du jour au lendemain

H.Z. : Dans notre film, on voit un enseignant recruté comme ça et qui vient des Ressources humaines. Il n’a absolument aucune compétence pédagogique et c’est très dur pour lui de se retrouver devant une classe.

On a vraiment voulu montrer qu’on ne devient pas enseignant du jour au lendemain, ça s’apprend et tout le monde n’est pas fait pour ça.

Autre scène marquante : quand la directrice de l’école regarde les photos de classe de son enfance. À son époque, il y avait autant d’enfants de médecins que d’enfants d’ouvriers. Qu’est-ce que vous avez voulu montrer ?

H.Z. : Ce qu’explique la directrice dans le film, nous on l’a vécu, on a grandi à Aubervilliers (on se déroule le film, NDLR). À notre époque, dans la cour de récré, on côtoyait des gens de milieux sociaux différents, d’origines ethniques différentes, etc. Pour rien au monde on aurait aimé être scolarisés ailleurs. C’est vraiment cette mixité sociale et ethnique qui nous a construits en tant qu’humains.

Aujourd’hui, les jeunes ne sont entourés que de gens qui leur ressemblent. Et quand ils grandissent, le fait de travailler de l’autre côté du périph et de côtoyer des gens d’autres milieux peut être vraiment difficile.

Cette ségrégation sociale et ethnique, elle très violente

Là, ils se disent : « Ah mais en fait c’est bizarre, pourquoi, moi, dans ma classe, il n’y avait que des Arabes et des Noirs ? ». Cette ségrégation sociale et ethnique, elle très violente. Je trouve ça choquant de voir d’une part certaines classes où il n’y a que des Blancs, et d’autre part certaines classes où il n’y a que des Noirs et des Arabes.

C.M. : Si on a autant insisté sur l’importance de la mixité sociale à l’école, c’est parce ça peut être bénéfique pour tous les élèves.

C’est cliché, mais un fils de médecins, en dehors de l’école, il va être très stimulé culturellement. Il va aller voir plein de choses avec ses parents (expos, films, pièces de théâtre…). Puis, il va en discuter avec ses camarades et transmettre son savoir.

« Les élèves de milieux favorisés bénéficieraient eux aussi de cette mixité »

Mais ce qu’on ne dit pas assez, c’est que les élèves de milieux favorisés bénéficieraient aussi de cette mixité. Un enfant dont le père est chômeur va avoir une autre expérience de vie, de même pour un enfant d’origine étrangère, et tout ça leur permet de s’enrichir mutuellement. Ça crée une émulation bénéfique à tous.

Aujourd’hui, cette mixité n’existe quasiment plus. Quand la classe est homogène, on voit que les chemins sont tout tracés : c’est le déterminisme social, on n’invente rien. C’est triste à dire mais l’école est extrêmement inégalitaire. C’est ça qu’on veut combattre. D’une ville à l’autre tout est différent, que ce soient les moyens investis, l’état des locaux, les conditions de travail, etc. Après, on ose parler d’éducation nationale, mais elle n’a absolument rien de national.

Synopsis du film

La Cour des miracles, film de Carine May et Hakim Zouhani, sorti au cinéma le 28 septembre

Tourné à Aubervilliers – ville où le taux de pauvreté est l’un des plus élevés de France, selon l’Observatoire des inégalités – ce film suit les aventures de l’équipe enseignante de l’école primaire Jacques-Prévert, située au sein de la cité des Quatre-Chemins.

Zahia, la directrice, apprend qu’un écoquartier flambant neuf est en construction dans sa ville. Elle se réjouit en pensant que cela va attirer, dans son école, des enfants de familles plus aisées et apporter plus de mixité sociale.

Elle tombe des nues lorsqu’elle apprend que la mairie a décidé de construire une nouvelle école spécialement pour les futurs habitants de l’écoquartier. Les raisons de sa colère : les friqués bénéficieront d’une école neuve tandis que les autres se contenteront de l’établissement délabré de la cité.

La directrice se met alors en mode mission. Elle veut attirer les enfants de ces nouveaux habitants dans son école pour provoquer cette fameuse mixité sociale. Pour elle, si ses élèves, issus de milieux défavorisés, côtoient et étudient aux côtés d’élèves issus de milieux plus privilégiés, cela créera une émulation collective. De quoi relever le niveau de son établissement.

Ayoub Simour

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