Deux femmes, deux miroirs autour d’une question universelle : la maternité. Saint-Omer d’Alice Diop retrace le procès de la mère infanticide Fabienne Kabou. Méprisée et conspuée, elle a pourtant été un objet de fascination médiatique. Fabienne Kabou, renommée dans le film, Laurence Coly, est incarnée à l’écran par Guslagie Malanda. Nous sommes allés à sa rencontre. Interview.

Vous avez été révélée dans Mon amie Victoria de Jean Paul Civeyrac, il y a 8 ans. Comment et pourquoi avoir accepté de jouer Laurence Coly dans le film Alice Diop ?

D’abord, j’y ai vu un scénario fort. J’ai senti que c’était un grand rôle qui nécessitait de dompter la peur et l’effroi. J’avais une confiance totale en Alice, je savais qu’elle irait jusqu’au bout, car c’est quelqu’un d’exigeant. Moi-même, je suis très exigeante dans mon métier. Ça ne pouvait être qu’un grand oui !

L’affaire Fabienne Kabou dont est inspiré Saint-Omer a été très médiatisée. Comment interpréter cette femme désignée dans la presse comme « cassante, excessive et menteuse » ?

Je n’ai pas l’impression d’être passée de Fabienne Kabou à Laurence Coly. Le texte était en partie issu des transcriptions de l’audience. En tant qu’actrice, je suis partie du scénario. Il y a eu une forme de « rencontre » avec Fabienne Kabou à partir de ce qu’elle avait dit au procès. En me concentrant sur ce texte et avec un travail acharné, je parvenais à incarner le personnage de Laurence Coly : nuancée, froide et fragile à la fois.

Au final, il y avait trois femmes dans un seul corps : moi, Laurence Coly et Fabienne Kabou 

Par le texte, j’ai commencé à entrer dans le personnage puis le personnage est devenu mien. Je suis entrée dans le rôle pendant un an, entre la première audition, les essais et les répétitions. C’est un long processus de travail.

Alice Diop affirme sa volonté de « racont(er) la complexité d’une femme noire » dans le personnage de Laurence Coly. Comment l’avez-vous racontée ?

L’intention d’Alice était d’aborder cette complexité au travers d’une histoire. Il s’agit du rôle d’une femme qui, lors d’un procès, oscille entre une parfaite maitrise de ses émotions et une fragilité apparente. Je pense que ce qui crée le personnage, c’est surtout cette fragilité. Au début, je me disais « mon Dieu, c’est si difficile de jouer cette femme ».

C’est un rôle extrêmement difficile où le talent ne suffit pas 

Il faut du travail : sur l’apprentissage du texte, la posture, le physique. C’était d’une rigueur absolue. Je me souviens quand j’ai parlé du rôle pour la première fois à une amie comédienne, elle m’a dit : «  Tu ne peux pas y aller au talent ».

Qu’avez-vous ressenti quand Saint-Omer, un film traitant de maternité et mettant en lumière les biais racistes et patriarcaux de la société, a été choisi pour représenter la France aux Oscars ?

Ces questions de racisme et de patriarcat sont intégrées au destin (plus large) de femmes. Avec Saint-Omer, nous ne sommes ni dans une critique sociale ni dans une sentence ou un constat, c’est un destin unique. Il y a une dénonciation du racisme, mais pas seulement, il y a une dénonciation du patriarcat, mais pas seulement.

Il y a une dimension tragique au sens classique du terme. On peut voir en Laurence Coly une Médée. Cette histoire nous renvoie à de nombreux problèmes présents dans notre société. C’est ce qui rend le film si moderne et intemporel. 

Le choix de Saint-Omer pour représenter la France aux Oscars n’est pas qu’un choix esthétique 

Il penche plutôt sur cet aspect : qu’est-ce que ce film raconte de la société d’aujourd’hui ? Pour ne pas être manichéen, il faut aussi comprendre que ce n’est pas qu’une tragédie. On convoque cette intention de pouvoir incarner l’abîme et le gouffre dans lesquels on plonge avec ces personnages. On s’arrime à un récit fort. Et il n’y a que le récit qui permet d’avoir une histoire commune. En ce moment, il y a une bataille contre les postcolonial studies. Pourquoi ?  Parce que l’on raconte une autre histoire, une histoire différente.

Propos recueillis par Malika Cheklal

Crédit photo ©SRAB 

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