C’était le printemps dernier. Mon téléphone sonne. Le réalisateur Hughes Demeude m’appelle. Pour la faire courte, il me propose de tourner dans son reportage. Ce denier traitera de la Seine-Saint-Denis et pour cela, il a besoin de la parole de ses habitants, mais par faute de temps (j’étais en plein partiels), je n’ai pas pu participer à son projet. Le temps est passé et je n’ai plus entendu parler ni du réalisateur ni de son projet jusqu’à la semaine dernière.

« Bonjour Ndembo, c’est Hughes Demeude, je t’avais appelée il y a quelques mois pour participer au documentaire: 93 l’effervescence (je découvre le titre à ce moment-là). Le film est tourné et je t’invite à sa projection le 11 décembre. » Me voici donc le jour dit au cinéma 104 à Pantin. Les lumières s’éteignent et c’est parti pour 55 minutes de documentaire. Le Blanc-Mesnil, Montreuil, Bobigny, Clichy-Sous-Bois… La caméra d’Hughes Demeude revisite la Seine-Saint-Denis. Des gens parlent, et d’autres, qui font de temps en temps un passage dans le département, parlent aussi. Yannick Noah est l’un de ces visiteurs occasionnels. Il dit : « L’objectif des révoltes de 2005 était, pour les jeunes, de se faire entendre, je partage leur combat mais il y avait quand même d’autre moyens. » Le chanteur Sanseverino, un Montreuillois, lui, explique qu’il est toujours heureux d’entendre différentes langues se parler dans les rues de sa ville et est fier d’expliquer à sa fille qu’ « il n’ya pas que des Blancs » dans le monde.

Les « anonymes », maintenant. Une femme parle de Bobigny comme de « la capitale du monde ». Nabil : « Je ne savais pas qu’il y avait du travail à Saint-Denis. Pour moi, il fallait aller de l’autre côté pour trouver du travail. » Il conclut d’un: « Désolé pour ceux qui ont eu leurs voitures brûlées mais ça a ouvert des portes. C’était un mal pour un bien. »

Le documentaire nous montre des structures : l’école de la deuxième chance à La Courneuve, qui permet à des jeunes déscolarisés d’intégrer le monde du travail ; l’association balbynienne Oxmoz, dont le responsable explique qu’ « un système de portage a été mis en place. Ça consiste à porter les courses de personnes âgées jusqu’à chez elles ». Il n’est donc pas seulement question de sport ou de danse mais aussi d’entreprises et d’entraide. Une chose m’a fait sourire : cet extrait reproduit d’un film promotionnel des années 70, « Vivre en 93 », qui vantait le département et incitait les gens à aller s’y installer !

Hughes Demeude a réussi son film, même si plus de jeunes à l’écran auraient pu apparaître et s’exprimer à l’écran. « Je ne suis pas originaire de la Seine-Saint-Denis mais je commençais à en avoir ras-le-bol de ce que le département en soit perpétuellement réduit à son aspect fait divers. Je ne suis pas là pour dire que tout est rose mais pour donner la parole aux habitants, raconter le département sans commenter, c’est pour cela qu’il n’y a pas de commentaires dans le documentaire. »

Le public semble conquis. « J’ai bien aimé le film, on voit le 93 d’un bon côté, ça permet de le voir loin des clichés, réagit Merlin, 22 ans. On se pose beaucoup de questions et au fur et à mesure du film, on a les réponses à ses questions. Sinon, personnellement, je ne vis pas le 93 comme on essaie de nous le faire ressentir d’habitude. Quand je viens, je ne me dis pas : « Oh mon Dieu, je vais dans le 93!!!! «  ». Olivier, 42 ans, le père de Merlin, a trouvé le film « enthousiasmant. Ça fout la pêche. Le 93 est plein de richesses, comme c’est dit dans le film, c’est vraiment rare qu’on l’on reflète le potentiel du département ». Bernard, 44 ans, habite Pantin depuis sa naissance. « C’est un bon reportage qui montre que malgré les différences, on a tous les même pensées. J’ai retenu un truc dans le film : peu importe les racines il faut savoir vivre ensemble et dans la dignité. »

Le documentaire a été diffusé sur France Ô le 26 novembre dernier, et d’après le réalisateur, il y aurait des discussions pour qu’il le soit sur d’autres chaînes. Alors, patience…

Ndembo Boueya

Ndembo Boueya

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