Le Krump est un style de danse caractérisé par des mouvements souvent secs et rapides, très énergiques et explosifs. À Bobigny, au Canal 93, se tenait ce samedi une journée consacrée à cette forme d’art. Cette discipline, née fin 90 début 2000 dans les “bas-fonds” de Los Angeles, n’a depuis cessé d’évoluer et a trouvé une résonance chez beaucoup de jeunes danseurs du monde entier. Parmi les représentants de ce mouvement en France, on retrouve les deux hôtes du jour, Amok et Nightwing.

L’après-midi commence par la diffusion du film Rize (2005) de David LaChapelle. Les spectateurs s’installent, les lumières pâlissent et la projection démarre. Le film s’ouvre sur un rappel du contexte historique et social complexe de la banlieue sud de Los Angeles. South Central, Watts, Compton, des quartiers à la réputation particulièrement difficile, mais qui sont aussi et surtout des lieux de grande pauvreté et de marginalisation.

Tout commence par un clown

On y rencontre Tommy le Clown (Thomas Johnson). Après un séjour en prison lié à ses activités dans les gangs, l’homme a le sentiment qu’il doit changer de vie. C’est à cette période qu’on lui propose d’animer le goûter d’anniversaire d’une enfant de son entourage en se grimant en clown, et il a une révélation : il veut illuminer le visage des enfants des quartiers difficiles !

Il devient clown à temps plein, et réunit des jeunes du quartier pour l’assister dans cette entreprise. Dans son arsenal de divertissement, il intègre la danse d’une manière qui lui est propre, créant ainsi le “clown dancing”. Cette danse s’étend et se popularise et de multiples groupes de clowns se forment avec chacun un style qui leur est propre.

Inspiré par cette nouvelle forme d’expression, des jeunes danseurs (notamment Tight Eyez et Lil C’) vont en créer une variation, qui va ensuite évoluer de son côté de manière tout à fait indépendante. Ce nouveau style a une dimension spirituelle forte et des mouvements ayant pour but l’expression et l’extériorisation des émotions et de la colère. Les maquillages de clown évoluent en peintures symboliques, que le réalisateur du film met en parallèle avec les peintures spirituelles et guerrières ancestrales. Le krump, dès l’origine, apparaît comme étant une danse puissante et forte.

Une famille à part entière

L’autre aspect central de la culture Krump que nous présente le film, et que développeront ensuite Amok et Nightwing, c’est le mentorat. Dans des contextes sociaux difficiles, la famille ne peut parfois pas fournir la stabilité nécessaire au bon développement des enfants et des jeunes, les poussant ainsi à recréer une sorte de famille dans la rue. Le Krump veut récréer une instance de solidarité forte pour permettre aux jeunes de s’émanciper réellement à travers la danse.

Comme Tommy en son temps, les krumpers se réunissent en “familles” (souvent abrégé “fam”) avec différents degrés d’évolution (big homie, twin, junior, kid, lil homie), à l’image de Tight Eyez et Baby Tight Eyez (son petit au moment du film).

On veut que nos petits réussissent dans tous les domaines de la vie

Cet esprit de famille, c’est quelque chose qu’Amok et Nightwing veulent continuer à perpétuer. « Au-delà d’un mentorat autour de la danse, c’est un mentorat dans la vie. On veut que nos petits réussissent, on veut leur donner une vie stable, du succès dans tous les domaines de la vie », expliquent-ils.

Le film s’achève sur un souhait. « Nous aimerions que le monde sache que le krump réunit des danseurs avec des valeurs et de la morale, et que c’est nous qui la créons, qu’elle part d’en bas. » Les lumières se rallument et la foule applaudit. La projection a beaucoup plu.

Les deux krumpers grimpent sur scène pour répondre aux questions du public et engager conversation et débat. Que pensent-ils de l’institutionnalisation de leur culture ? Est-ce que tout le monde peut krumper ? Que voient-ils pour l’avenir du Krump ? Le public est définitivement intéressé et l’ambiance est intimiste et chaleureuse.

Amok et Nightwing au Canal 93 pour une initiation au krump, samedi 14 octobre. @AmbreCouvin

L’esprit du Krump

Nightwing constate un certain niveau d’institutionnalisation, mais ne pense pas qu’il pourrait se généraliser. « C’est un réel mouvement avec une essence et une identité forte. Quand on s’y met réellement, ça demande un tel travail sur soi, une telle introspection pour aller chercher et exprimer ce qu’on a au plus profond, que je pense que ce n’est pas si accessible », développe le danseur originaire du sud de la France.

Les deux jeunes hommes sont montés à Paris après avoir développé une scène Krump dans leurs villes d’origine. En effet, c’est à Paris que tout se passe (et notamment le battle annuel international de Krump : l’International Illest Battle à la Villette). Amok est initialement danseur hip hop, et Nightwing basketteur.

Tous deux sont tombés amoureux de la richesse de la culture et de la profondeur de la discipline. « Aujourd’hui, le Krump est présent en Russie, au Japon, en Espagne, en Allemagne, etc. Chacune de ses scènes a évolué à sa manière, en se nourrissant de ses spécificités locales pour créer quelque chose d’unique au sein de la culture globale », s’enthousiasme Amok.

« Jetez l’énergie, partagez-la, puis reprenez-la »

Après avoir répondu au public avide de questions, une pause s’impose afin de transformer une salle de spectacle en espace de danse. La dernière partie de la journée est une initiation au krump. Dehors, les participants discutent. Certains sont danseurs d’autres disciplines, d’autres des apprentis krumper, certains prennent ici un de leurs premiers cours de danse. Tous sont intéressés par son univers unique et la puissance qu’elle dégage.

Il est temps de reprendre et les professeurs mènent la danse de concert. Le bounce (rebond naturel du corps), les impulsions du tronc, les stomps (piétinement stylisés), les attaques de bras, sont autant d’ingrédients offerts pour permettre de créer une sauce singulière et personnelle au moment de freestyler.

Une fois tous ces éléments plus ou moins acquis, il est temps de les mettre en pratique. Deux colonnes sont formées en face de la scène. Chaque personne qui le veut doit passer au centre faire démonstration de ce que son corps et son cœur peut produire en freestyle. Avant de commencer, Amok tient à préciser un point très important : « Au Krump, le public est autant acteur que danseur, il va falloir hyper (vocaliser son appréciation) autant que possible, donner de la force au danseur ».

Démocratiser « une forme d’art qui vient d’eux et qui leur ressemble »

Le public est prêt, tout le monde bounce au rythme des morceaux de rap très west coast que libèrent les enceintes. Une première personne se lance. Ses gestes sont précis et maîtrisés, l’énergie est contagieuse. Après ce premier passage, tout le monde tente sa chance. Les différences de niveaux comptent peu, l’ambiance est bienveillante et l’attitude peut parfois faire la différence. La journée se termine sur ce moment de partage fort.

Amok et Nightwing invitent les participants à revenir. « On va créer des évènements récurrents ici, des battles avec des money prize, ça va être vraiment cool », annoncent-ils. Et de conclure : « On aimerait récréer à Bobigny ce qu’on a pu faire dans le sud. Aller à la rencontre des gens et montrer aux jeunes des quartiers de la ville qu’on peut s’en sortir en dehors du foot et du rap, avec une forme d’art qui vient d’eux et qui leur ressemble. » Rendez-vous est pris.

Ambre Couvin 

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